FORMAT (PDF) du Memorandum sur les
massacres répétitifs des hutus au Burundi.
APPEL
A LA CONSCIENCE MONDIALE
En 20 ans,
l'armée TUTSI a massacré environ 700.000 HUTU au Burundi, soit
16% de la population HUTU, 14% de la population totale ou
l'équivalent de la population TUTSI
Janvier 1992.
IN MEMORIAM
Il s'appelait SIMBIZI Audace, il était militant de première
heure du Mouvement pour la Paix et la Démocratie. Son supplice
fut celui de centaines de milliers d'autres Hutu assassinés
depuis 1962. En leur mémoire a été créé le Centre d'Etudes
SIMBIZI Audace.
CENTRE D'ETUDES SIMBIZI AUDACE
Deuxième édition. Janvier 1992.
Adresse : M.P.D.
B.P. 110 Bujumbura Burundi
B.P. 2101 B - 1000 Bruxelles 1 Belgique
Compte bancaire no : 068 - 2096515 - 81.
TABLE
DES MATIERES
Chapitre 1 : Prise
de position du Mouvement pour la Paix et la Démocratie au
Burundi.
Chapitre 2 : Les génocides de 1965
et 1969
- l'assassinat du premier ministre Pierre NGENDANDUMWE
- Le coup d'Etat de 1965
- Les témoignages dans les journaux
- Le plan Arthémon SIMBANAMIYE d'extermination des Hutu
- Les exécutions de 1969
Chapitre 3 : Le génocide de 1972
- Les mécanismes du génocide de 1972
- Les témoignages d'élèves et étudiants rescapés
- Le génocide sélectif au Burundi (Minority Rights Group)
- Les témoignages dans les journaux
Chapitre 4 : Le génocide de 1988
- Les témoignages dans les journaux
- Massacres d'enfants par les troupes gouvernementales (Amnesty
International)
Chapitre 5 : Quelques aspects de l'Apartheid au Burundi
- Apartheid dans les fonctions suprêmes de l'Etat
- Apartheid dans l'administration
- Apartheid dans l'armée
- Apartheid dans les tribunaux
- Apartheid' dans les sociétés commerciales
- Apartheid dans l'enseignement
La
Convention de l'ONU pour la prévention et la répression du
crime de génocide définit ce dernier comme étant "l'un
quelconque des actes commis dans l'intention de détruire, en
tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux".
Cette Convention condamne les actes suivants . le génocide,
l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe
et publique à commettre le génocide, la tentative de génocide
et la complicité dans le génocide.
La Convention de lONU sur l'imprescriptibilité des crimes
contre l'humanité condamne ces crimes, même si ces actes ne
constituent pas une violation du droit interne des Etats où ils
ont éte commis.
CHAPITRE 1 : Prise de position du
Mouvement pour la Paix et la Démocratie au Burundi (MPD)
Prise de position du Mouvement pour la Paix et la Démocratie au Burundi (MPD)
Le Burundi est un petit pays d'Afrique Centrale où cohabitent tant bien que mal ou plutôt mal que bien trois ethnies : les Hutu - (85 %), les Tutsi (14%), les Twa. Depuis quelques centaines d'années le pouvoir a été exercé sans partage par les Tutsi. Même l'intermède colonial n'a pratiquement pas modifié cet état de choses, le colonisateur ayant, selon le principe du "Divide ut imperes", renforcé leur domination en facilitant l'accès à l'école aux enfants de princes, de chefs et de sous-chefs tutsi. Comme conséquence de cette domination politique le pouvoir économique devait fatalement se concentrer également entre les mains de cette ethnie.
Cependant, à partir de l'accession du Burundi à l'indépendance en 1962 et grâce aux contacts qu'un certain nombre de Hutu ont établi à l'extérieur, les idées démocratiques se répandirent dans le pays avec un désir de plus en plus grand de justice sociale et une volonté de plus en plus affirmée d'opérer une transformation profonde des structures et du régime politique en vigueur. On assista alors à la naissance d'un certain nombre de partis politiques groupant essentiellement des Hutu. Aussitôt averti du danger que pourrait représenter cette volonté de transformer ces rapports de domination séculaires, les tenants de la minorité tutsi se mirent, d'abord sous le manteau protecteur et avec la complicité active de la monarchie, puis au grand jour, sous les différents régimes républicains qui lui ont succédé, à échafauder des plans diaboliques d'extermination des Hutu pour régner à jamais sans partage. L'instauration en septembre 1966 du parti unique, ce démiurge à l'abri duquel se développent généralement le déni des droits des gens et toutes les forfaitures, constitua une étape marquante dans le renforcement de cette domination. La mise en oeuvre de ces plans diaboliques s'est traduite par le bilan suivant en pertes de vies humaines
Année |
Hutu tués |
Hutu exilés |
Tutsi tués |
Tutsi exilés |
1965 |
10.000 |
500 |
||
1969 |
500 |
300 |
||
1972 |
500.000 |
300.000 |
200 |
|
1988 |
50.000 |
63.000 |
40 |
|
1991 |
3000 |
4o.ooo |
7 |
Précisons au passage que ces massacres ont toujours
frappé par priorité les éléments alphabétisés de la
population Hutu. Parallèlement aux liquidations physiques, on a
assisté, surtout à partir de l'avènement de la Deuxième
République (le ler novembre 1976), à la mise en place d'un plan
de génocide intellectuel des Hutu, lequel plan organisait
systématiquement le maintien de ceux-ci dans l'ignorance et
l'analphabétisme.
Comble de machiavélisme, au cours et après les tueries
évoquées ci-avant, les autorités burundaises ont toujours
affirmé que ce sont les Hutu qui se sont ligués pour exterminer
les Tutsi, mais elles n'ont jamais expliqué comment la guerre
d'extermination de Tutsi a fait plus de 500.000 victimes Hutu
contre seulement 240 victimes Tutsi.
La vérité doit donc être recherchée ailleurs.
A l'occasion de ces massacres répétitifs, les régimes minoritaires tutsi ont chaque fois refusé l'organisation' d'une commission Internationale d'enquête.
2
Pourquoi le pouvoir tutsi s'oppose-t-il fermement à une enquête internationale, impartiale et neutre, qui le laverait de tout soupçon, se contentant d'instituer simplement des commissions gouvernementales dont les conclusions épousent toujours les thèses officielles ? Voilà la question que devraient se poser toute personne, tout gouvernement ou toute organisation un tant soit peu préoccupés par le sort des droits de l'homme au Burundi.
Suite aux événements de 1988, et sous la pression de certains gouvernements, le régime de Bujumbura a entrepris des manoeuvres visant à convaincre l'opinion nationale et internationale de sa réelle volonté de promouvoir un climat de réconciliation nationale :
Toujours dans cette même logique, le régime de Buyoya a
procédé à l'injection de quelques Hutu au sein des
représentations diplomatiques accréditées à l'étranger et
pour ne pas paraître en reste par rapport au courant de
démocratie qui a soufflé sur. tous les continents, a commandé
un rapport sur la démocratisation des institutions et de la vie
politique qui, levant quelque peu le voile sur les intentions
réelles de ses promoteurs, préconise un "multipartisme
réglementé".
Ces différentes actions, quoique purement cosmétiques, ont
incontestablement contribué à redorer l'image du régime et de.
son chef Pierre Buyoya qui a pu faire croire qu'il est promoteur
d'une vision des rapports interethniques au Burundi
qualitativement meilleure par rapport à celle de ses
précédesseurs, Micombero et Bagaza.
Dans la réalité, la politique intérieure du régime de Buyoya
n'a pas changé pour ce qui concerne les rapports interethniques
car les Tutsi occupent toujours la quasi-totalité des postes
clés à tous les niveaux.
Pour faire face à cette situation socio-politique qui n'a que
trop duré, des citoyens burundais épris de paix et de justice
ont créé en 1988 un parti politique, le "MOUVEMENT POUR LA
PAIX ET LA DEMOCRATIE" (MPD). Fidèle à la culture
burundaise et à la tradition humaniste, le MPD a de bonne heure,
considéré que la voie pacifique doit être explorée pour
résoudre le conflit qui oppose depuis plusieurs années les Hutu
et les Tutsi au Burundi, Toutefois, les Tutsi et les Hutu étant
les deux parties en conflit, ils ne peuvent pas être en même
temps juges dans cette affaire. C'est la raison pour laquelle le
MPD a proposé dans son Memorandum de 1989 un arbitrage
international en demandant à l'ONU ainsi qu'aux pays limitrophes
de se concerter et d'organiser une conférence internationale sur
la paix et le règlement du conflit hutu-tutsi au Burundi. A cet
égard, le MPD a émis des propositions de solution en quatre
phases, à savoir :
1. Le remplacement de l'armée actuelle par une armée nationale
représentative de toutes les ethnies et de toutes les provinces
du Burundi.
2. L'élaboration d'une constitution basée sur la séparation des pouvoirs, le pluralisme politique et la garantie des libertés individuelles.
3
3. La tenue d'élections libres et pluralistes,
ouvertes aux Burundais de l'intérieur et de l'extérieur, pour
choisir les bourgmestres et les membres de l'Assemblée
communale, les gouverneurs et les membres de l'Assemblé
provinciale, les membres de l'Assemblée Nationale et le
président de la République.
4. Le rapatriement et l'installation des réfugiés en toute quiétude et sécurité.
Ces différentes propositions de solution ont été par la suite
affinées et précisées davantage à travers les différentes
prises de position ultérieures rendues publiques par le parti.
Malheureusement le président Buyoya et son parti unique UPRONA ont fait la sourde oreille à toutes les propositions constructives du MPD, préférant piloter seuls le processus de démocratisation des institutions à mettre en place au Burundi, On notera que lors des débats organisés en 1990 par le parti unique UPRONA sur la Charte de l'Unité Nationale, les propositions qui n'épousaient pas les thèses du régime n'ont pas été retenues et que par ailleurs les régions où les résultats ont été faibles lors du referendum de février 1991 sur la charte de l'unité sont les cibles privilégiées des massacres en cours.
La phobie de la démocratie dont paraissent souffrir les
autorités burundaises, la crispation sur les privilèges acquis,
les refus d'un rééquilibrage ethnique de l'armée, la
marginalisation des réfugiés dans la recherche d'une solution
aux problèmes du pays, reflètent les véritables visées du
régime en place au Burundi.
Pour la cinquième fois en vingt 7six ans, le Burundi vit depuis
le 23 novembre 1991 une nouvelle période tragique caractérisée
par des massacres des populations hutu. Des crimes sont encore
une fois en train d'être commis sur le territoire burundais.
Mais par qui ? De toute évidence, la responsabilité du régime
en place au Burundi est pleinement engagée. En effet, le
comportement du pouvoir en place, malgré ses déclarations de
bonnes intentions sur la démocratisation des institutions et de
la vie politique ne pouvait que conduire aux massacres actuels
des Hutu. Pendant que ce régime prêchait la réconciliation
nationale, il n'a cessé de perfectionner ses méthodes pour tuer
et réprimer l'opposition montante des Hutu. Le virage
démocratique que le régime a été obligé de prendre sous la
pression internationale s'opère avec un balisage tellement
compliqué dans ses projets de démocratisation que peu de
citoyens s'y retrouveront. En effet, parallèlement à ce
balisage intervenu après une longue période d'hésitation le
régime a préparé et exécuté visiblement un plan de massacres
ethniques de Hutu conçu de longue date pour empêcher la
démocratisation intégrale du pays.
Le MPD rejette donc catégoriquement la thèse des autorités burundaises selon laquelle le Burundi a été victime d'une attaque d'éléments armés venus du Rwanda et de la Tanzanie, thèse inconsistante que le régime a d'ailleurs très rapidement abandonnée. D'ailleurs les faits ci-après accréditent plutôt l'hypothèse d'une simulation d'attaque pour justifier des massacres des Hutu :
1° L'imposition d'une Charte de l'Unité Nationale à fondements
totalitaires "qui sera au-dessus de la Constitution et des
lois, qu'aucun régime politique ne pourra changer ni abroger, à
laquelle tout parti politique, toute organisation, toute
religion, toute institution devra se conformer..." Dans le
chef du régime de Buyoya, cette charte vise un double objectif:
d'une part, laver les crimes commis contre les Hutu pendant les
massacres
4
organisés au cours de ces trente dernières années et d'autre part, mettre la corde au cou de tout opposant politique puisque "selon cette même charte tout murundi présent ou à venir qui ira à l'encontre de la présente charte se sera rendu coupable d'un acte de haute trahison à l'endroit de la nation et du peuple burundais". Prenant la pleine mesure de ce piège, le MPD a rejeté le projet de charte dans sa prise de position de mai 1990.
2° Les propos menaçants du Président Buyoya le ler juillet 1991 (en langue nationale) invitant le parti unique UPRONA et son armée à sévir contre tout élément soupçonné d'appartenir à l'oppositon politique qu'il a désignée comme ennemi actuel de- l'Unité nationale.
3° La résurgence du discours traditionnel et violent du parti unique qui situe les causes des problèmes intérieurs dans les complots organisés contre lui à partir de l'étranger par les réfugiés burundais.
4° La fermeture des points de passage sur la frontière entre le Burundi et le Rwanda en redésignant ce pays comme boue émissaire.
5°La publication en août 1991 d'un rapport de la Commission Constitutionnelle du parti unique UPRONA qui prévoit pour février 1992 l'imposition d'une constitution taillée à l'image du parti unique préconisant un multipartisme règlementé, légalisant les formations politiques proches du parti unique,' le maintien du bannissement des partis opposés au pouvoir actuel et l'interdiction des élections pluralistes au niveau de la Commune.
6° La
conférence de presse du Premier Ministre et Ministre du Plan en
août 1991 et à l'occasion de laquelle un journaliste aux ordres
du courant d'extrémistes tutsi a réclamé plus de répression
des populations qui ne soutiennent pas la politique du parti
unique UNPRONA.
7°L'évacuation des populations tutsi vivant dans les zones ciblées pour les massacres (Cibitoke, Bubanza, Kayanza, etc... ).
8° La déclaration du Ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales le lundi 25 novembre 1991 selon laquelle les tirs d'armes automatiques entendus dans la ville de Bujumbura provenaient uniquement des forces armées burundaises.
9° Les déclarations des habitants de la ville de Bujumbura qui, interrogés le ler décembre 1991 par un journaliste de la presse officielle, ont nié avoir vu un seul assaillant.
10° Le fait qu'aucune formation politique d'opposition ne dispose ni de branche armée ni de soutien d'un pays quelconque.
11° Les déclarations des autorités burundaises elles-mêmes selon lesquelles les prétendus infiltrés arrêtés au mois d'août 1991 ne portaient pas d ' armes.
En conséquence, le MPD lance un appel pressant à tous ceux qui peuvent contribuer au changement de la vie politique au Burundi et demande :
1° Aux forces patriotiques et démocratigues du Burundi
de garder courage, rester vigilant et se désolidariser d'avec la
poignée d'oligarchistes qui conçoivent et dirigent les crimes
de génocide qui ont, à plusieurs reprises, endeuillé le
Burundi, coûté la vie à des centaines de milliers de citoyens
burundais et contraint des milliers d'autres à l'exil.
5
2°
Au régime en place au Burundi
- de trouver une solution équitable et durable au conflit ethnique au Burundi ;
- de négocier le passage pacifique de la dictature du parti unique à la démocratie pluraliste ;
- de remplacer l'armée actuelle qui en fait, depuis le coup d'Etat de 1966, n'a fait qu'anéantir l'opposition politique,_par une véritable armée nationale représentative de toutes les ethnies et de toutes les provinces du pays ;
- de mettre en place des dispositifs de protection de la sécurité de l'opposition politique au Burundi ;
3° Aux partis d'opposition
de promouvoir la formation d'une coalition des forces d'opposition en vue d'aboutir par le dialogue sincère à l'instauration d'une démocratie réelle et d'un multipartisme intégral. A cet égard, des accords séparés avec le régime en place sont à proscrire.
4° Aux pays limitrophes
- d'accorder l'asile politique aux réfugiés burundais conformément aux dispositions des Conventions internationales de Genève et de l'OUA en matière de réfugiés ;
- de faciliter le travail de la Commission d'enquête internationale sur les massacres de novembre 1991 ;
- de ne pas se laisser abuser par les déclarations du Président Buyoya
- de condamner les cycles de violence au Burundi qui touchent naturellement et directement les citoyens burundais, mais aussi indirectement les citoyens et les gouvernements de ces pays 'tant en ce qui concerne l'accueil incessant de réfugiés burundais sur leur territoire et l'impact sur leurs ressources qu'en ce qui concerne le blocage du développement socio-économique intégré entre le Burundi et ses voisins dû à la persistance du problème Hutu-Tutsi au Burundi ;
- de participer à la recherche d'une solution juste et durable au problème ethnique au Burundi.
6
5°
A la communauté internationale
- d'organiser rapidement une enquête internationale et impartiale sur massacres de novembre 1991 ;
- d'arrêter l'aide militaire au régime en place et surveiller de fa stricte l'utilisation d'aides économiques accordées au Burundi afin s'assurer qu'elles ne soient pas accaparées par la minorité oligarchi. au pouvoir aux dépens des intérêts de la Nation Burundaise ;
- de venir en aide aux réfugiés burundais en général et particulièremeni ceux ayant échappé aux massacres de novembre 1991 ;
- de prendre les sanctions qui s'imposent contre le régime du Burundi cas où il refuserait l'organisation d'une enquête internationale sur récents massacres des populations innocentes et l'organisation d'i conférence politique nationale ;
- d'exercer une pression sur le régime de Buyoya afin que soit instauré multipartisme intégral et non un multipartisme règlementé et contr~ comme le préconise déjà le rapport de la Commission Constitutionnelle
- de ne plus jamais croire sur parole les déclarations des autoril burundaises sur le fait que le Burundi n'a pas de prisonniers politiqI étant donné que les régimes qui se sont succédés au Burundi, soucieux ne pas s'encombrer de prisonniers politiques qui terniraient leur imé diplomatique ont procédé directement à des exécutions sommaires personnes arrêtées et désignées rapidement comme ennemis de la nation
Enfin, le MPD prie tous ceux - qui recevront ce document de faire tout qui est en leur pouvoir pour le rétablissement de la paix, de la liberté,la justice et de la démocratie véritable au Burundi.
Le Président du MPD.
7
CHAPITRE 2
: Les génocides de 1965 et 1969
8
L'assassinat du premier ministre
Pierre NGENDANDUMWE.
Le 7 janvier 1965, Pierre NGENDANDUMWE, après avoir longtemps hésité, accepte de former le nouveau gouvernement. Les groupes extrémistes Tutsi, ceux-là même qui avaient manifesté contre le gouvernement NGENDANDUMWE en décembre 1963, c'est-à-dire la J.N.R.,la F.T.B. et l'Union des agents de l'administration, envoient une vigoureuse lettre à MWAMBUTSA, lui signifia qu'ils étaient toujours opposés à NGENDANDUMWE comme premier ministre.
Malgré cette mise en demeure des extrémistes Tutsi, Pierre NGENDANDUMWE forme un gouvernement de 13 membres comprenant 7 Tutsi et 6 Hutu.
MWAMBUTSA se réserve les secrétariats d'Etat à l'armée et à la gendarmeriE à la tête desquels se trouvent déjà respectivement les Tutsi Michel MICOMBERO et Pascal MAGENGE.
Le 15
janvier à midi, ce gouvernement est rendu public.
Quatre heures plus tard, le groupe extrémiste Tutsi, dit pro-chinois tient un meeting de protestation contre le nouveau gouvernement.
A vingt heures, Pierre NGENDANDUMWE est abattu devant l'hôpital Prince Louis RWAGASORE, alors qu'il allait rendre visite à sa femme qui venait d'avoir son troisième enfant.
Le seul témoin déclaré de cet assassinat est un des fils du Muhutu MUHAKWA Mathieu. Il dira aux enquêteurs et devant le tribunal qu'il a vu quelqu'un s'enfuir en criant : "Ndaguhaye jewe umwana w'abatutsi" (Je vous ai abattu moi enfant des Tutsi.)
MUHAKWANKE Mathieu se retrouvera en septembre dans le premier gouverne ment BIHUMUGANI, comme vice-premier ministre et ministre des finances.
Son fils, le principal témoin de l'assassinat de Pierre NGENDANDUMWE, sera cité en 1968 au côté des BAREDESTE A.M., BANKANURIYE Pascal et autres MPOZENZI Pierre, par BUSIGO Alphonse, ancien aide de camp de MWAMBUTSA, parmi les Hutu influents les plus fidèles à la monarchie.
Notons que ces fameux Hutu influents dont parle BUSIGO, faisaient partie du groupe CASABLANCA, dominé par des extrémistes ségrégationnistes Tutsi hostiles à NGENDANDUMWE !
Le 17 janvier, l'assassin présumé de NGENDANDUMWE est arrêté.
Il s'agit d'un employé de l'ambassade des U.S.A. à Bujumbura,
du nom de MUYENZI Gonzales. Entretemps, le 16 janvier, le
secrétaire d'Etat à la gendarmerie, le Muganwa MAGENGE est
démis de ses fonctions et est remplacé par le Muhutu SERUKWAVU
Antoine.
Plusieurs arrestations ont lieu dans les milieux extrémistes
Tutsi. La J.N.R. et la F.T.B. sont suspendues. L'enquête est
confiée au substitut Hutu BUTOYI Marcien. Le bruit court à
BUJUMBURA, dans les milieux Hutu, que l'assassinat de Pierre
NGENDANDUMWE a été préparé à l'ambassade de Chine Populaire
et a été exécuté par les extrémistes Tutsi pro-chinois. Pour
accréditer la piste chinoise,l'ambassade de Chine sera cernée
par la gendarmerie avant la supension officielle des relations
diplomatiques le 29 janvier et l'expulsion des diplomates
chinois.
Entretemps, Joseph BAMINA, Hutu du groupe CASABLANCA, remplace
P.NGENDANDUMWE à la tête du gouvernement le 20 janvier.
*J.N.R. jeunesse Nationa1iste Rwagasore
F.T.B. Fédération des Travailleurs du Burundi
9
LE
COUP D'ETAT DU 18 AU 19 OCTOBRE 1965.
1- LES
FAITS
1°Dans la nuit du 18 au 19 octobre, vers 2 heures du matin, des
coups
de feu éclatent à la résidence du premier ministre. Celui-ci
est
sérieusement blessé. D'autres coups de feu sont entendus du
côté de
la résidence de MWAMBUTSA et à la caserne de la compagnie
support de
l'armée.
C'est la panique, la confusion et la peur dans les foyers de
BUJUMBURA.
2° Au petit matin, le palais royal de BUJUMBURA est encerclé
par des militaires sous le commandement du capitaine Michel
MICOMBERO.
3° Entre 9 et 10 heures du matin, des échanges de tirs de
mitrailleuses et de canons d'artillerie ont lieu au camp
militaire de la compagnie support de BUJUMBURA,près de la
rivière MUHA.
4° Dans la journée et la nuit du 19 octobre, des arrestations
de députés, sénateurs, hauts fonctionnaires, militaires et
gendarmes Hutu sont opérées.
5° Eclatement de troubles dès le 20 octobre, dans 1a région de
BUGARAMA (MURAMVYA) au lieu d'origine de Paul MIREREKANO,
également arrêté.
6° Fusillades dans la nuit du 21 au 22 octobre et au stade Louis
RWAGASORE de 34 miliatires et gendarmes Hutu.
7° Fusillades, tout au long d'octobre, novembre et décembre, de
la plupart de Hutu arrêtés, et ce en,violation des dispositions
constitutionnelles et judiciaires de l'époque.
2-
HYPOTHESES
Que s'est-il donc passé dans la nuit du 18 au 19 octobre ? A
l'heure actuelle, personne parmi les Hutu ne connaît la
vérité. Nous sommes réduits aux hypothèses.
- La première hypothèse est la plus connue.. L'opinion publique
a en effet retenu qu'il s'agissait d'un coup d'Etat Hutu. Le
comportement et les déclarations de certains policiers Hutu au
cours de l'été 1965 le laissaient supposer, comme nous l'avons
vu après la formation du gouvernement BIHA.
Mais, qui alors est allé attaquer le premier ministre ? Qui a
tiré les coups de feu à la résidence de MWAMBUTSA ?
Pour les Tutsi, le coup d'Etat était conduit par le secrétaire
d'Etat à la gendarmerie, Antoine SERUKWAVU. Mais, celui-ci a
toujours affirmé n'avoir joué aucun rôle dans les événements
du 10 au 19 octobre. Il n'a cependant pas expliqué pourquoi et
comment il a quitté BUJUMBURA pour le Rwanda dès 7 heures du
matin.
-
La deuxième hypothèse est la mutinerie simple d'une partie de
l'armée ou de la gendarmerie. Mais, quels étaient les chefs des
mutins ? Quels étaient leurs mobiles ?
Est-ce la "compagnie support" de l'armée commandée
par le capitaine Hutu Fidèle NDABAHAGAMYE, qui a été
encerclée et neutralisée le 19 octobre à 10 heures par un
détachement des commandos de KITEGA ? Est-ce une partie de la
gendarmerie de BUJUMBURA ?
- La troisième hypothèse est la provocationn. Les extrémistes
Tutsi ont pu eux-mêmes organiser un simulacre de coup d'Etat
pour ensuite
exécuter plus facilement le fameux plan SIMBANANIYE-MUHIRWA.
D'après plusieurs témoignages, les deux premières hypothèses
ne sont pas à écarter. Quant à la troisième, elle est tout
aussi vraisemblable, surtout quand on se réfère à la suite-des
événements et leurs conséquences tragiques pour les Hutu.
Bilan du génocide contre les Hutu en 1965
- environ 10.000 Hutu tués par les autoritéés du Burundi (dont
parmi les tués : 50% de fonctionnaires Hutu et 70% de militaires
Hutu)
- environ 2.000 réfugiés Hutu.
Extraits
de "L'historique des relations Hutu-Tutsi", Oeuvre
collective de la communauté des réfugiés burundais en Belgique
1986-1987.
19
LE PLAN ARTHENON SIMBANANIYE D'EXTERMINATION DES HUTU
RAPPORT POLITIQUE
MINISTERE DE LINFORMATION
CABINET DU MINISTRE
N° 093/100/CAB/68
Objet : Rapport Politique
A Monsieur le Président de la République du Burundi
à Bujumbura
Monsieur le Président,
Conformément à la politique du nouveau régime de confronter nos vues et de conjuguer nos efforts pour réaliser les idéaux de la révolution, jai lhonneur démettre quelques commentaires sur la situation politique du pays.
Le climat politique accuse une certaine tension. Des bruits de coup dEtat et des incendiaires circulent et tourmentent lopinion publique. La population sinquiète, se méfie et veille.
Fort heureusement, des meetings dinformation et dapaisement organisés par le Ministère de lIntérieur et le parti ramènent peu à peu la quiétude dans les esprits.
Si lon analyse la cause de cette petite crise quon vient de passer, on remarque un refroidissement des rapports entre citoyens qui peut se développer en une haine raciale.
En effet, il existe aujourdhui des manières et des façons non cartésiennes daborder les problèmes chaque fois quils se posent. Les suspicions sont devenues "à sens unique". Et ceci sexplique à la longue parce que les diffuseurs des faux bruits développent toujours le même thème : la récidive de 65. Alors ce thème diaboliquement répandu dans la population provoque le réflexe de défense et devient "le péril hutu" réclamant "une lutte pour la survie". Résultat, on constate une vigilance pré-orientée qui guette et traque les mêmes cibles. Et une ethnie est sujette à des suspicions permanentes, chaque hutu devenant nécessairement raciste et subversif.
Si lon se réfère à la vie courante, on relève vite ce regrettable état de choses. En effet, aujourdhui quand deux ou trois Hutu se rencontrent pour trinquer un verre, on conclut tout de suite à un complot de subversion. Alors limagination féconde des esprits malicieux tisse une épopée autour du fait; et voilà une crise qui jette la masse dans la stupeur!
20
Si un Hutu monte pour visiter ses parents à l'intérieur, les autorités provinciales sonnent l'alerte et le filent indiscrètement et sans façon. Après son départ, elles organisent des interrogatoires pour toutes les personnes visitées, orchestrent des rumeurs diffamatoires et montent des complots de tactique pour simuler des incidences fâcheuses de sa visite. Et souvent des arrestations arbitraires s'ensuivent. Résultat, il y a des gens qui n'osent plus aller chez eux pour ne pas exposer leurs parents à des machinations torturantes.
Essayons d'éclaircir la situation en dénonçant les tactiques, les pratiques et les esprits en présence. C'est peut-être le seul moyen de sauver l'unité en péril. Car nos sermons et l'état actuel des choses démontrent la vulnérabilité des principes quand on les oppose aux passions.
La situation empoisonnée actuelle prouve l'existence d'un racisme hutu-tutsi dans nos murs.
Du côté hutu, on compte des théoriciens d'une vraie démocratie à instaurer. Ceux-ci constatent que la structure administrative jusqu'en ses échelons les plus modestes est tutsi et condamnent le népotisme conscient ou inconscient qui résulte de ce monopole. En plus de ces incriminations, ils s'insurgent contre les tyrannies et les injustices facilitées par cette forte homogénéité éthnique dans l'administration de l'Etat.
Face au principe tutsi d'auto-défense, les Hutu trouvent que les Tutsi ont inventé des thèses du "péril hutu' et de la "lutte pour la survie" pour créer des occasions de les torturer et de prolonger ou perpétuer leur domination.
C'est ainsi, disent-ils qu'on jette la terreur dans la masse, qu'on oriente des suspicions préconçues aux Hutu devenus nécessairement racistes et subversifs, qu'on le guette, qu'on leur attribue des complots invraisemblables et qu'on les mine moralement et physiquement par des malices diaboliques.
On parle même d'un "apartheid" tutsi qui se prépare !
Voilà l'histoire : une organisation raciste tutsi possède un programme d'action dont SIMBANANIYE Arthémon serait l'auteur'. Le programme vise l'instauration d'un certain "apartheid" au Burundi. Sa réalisation s'opérerait en trois étapes :
1. Semer la haine entre les ethnies en noircissant fortement quelques hauts intellectuels Hutu ;
2. Vous faire disparaÎtre physiquement pour plonger le pays dans la confusion et la colère ;
3. Tablant sur les faux bruits déjà en circulation, crier haro sur les Hutu pour récidive de 65.
Alors il ne restera plus qu'à lancer une répression sanglante sur des cibles choisies d'avance et à se montrer très actif dans l'épuration criminelle pour réclamer le pouvoir comme rançon de son zèle. Après ce coup de balais, l'apartheid règnera au Burundi et le "péril hutu, sera anéanti à jamais.
La position hutu se définit essentiellement par cette peur, ces
incriminations et ces revendications. Le Hutu regrette en outre son absence dans les organes de vigilance (la sûreté et la justice) et son accession difficile aux postes de confiance.
Mais, à mon avis, tous les Hutu, sauf certains qui sont à l'étranger et qui doivent justifier l'argent reçu des forces du mal, ne réclament que de vivre en paix et de bénéficier de la justice. Quant aux droits à recouvrer, je crois que tous confient cette mission au jeu de l'histoire dans une compétition loyale. Le mythe d'incendiaires et des subversifs qu'on leur attribue s'explique uniquement par l'adage : "Qui veut noyer son chien l'accuse de rage".
Aussi lorsqu'il y a une petite crise à caractère racial, il faudrait beaucoup d'impartialité, beaucoup d'exigences pour apprécier la valeur des renseignements et arriver à des conclusions justes de l'enquête. Et on devrait bannir la manie de coffrer les gens avant que le culpabilité ne soit établie ; car l'innocent qui y passe croit tout de suite à la complicité des organes de vigilance dans l'injustice endurée.
Ceci est vrai puisque souvent dès esprits chagrins mus par des rancunes ou des inimitiés personnelles fomentent une crise et s'arrangent avec des faux témoins pour faire coincer leurs ennemis personnels. Autre chose qui contribuerait à assainir les méthodes de répression, serait de sévir contre les faux témoignages et les faux renseignements. Car aujourd'hui, pour en avoir plus ou moins souffert tous, nous savons qu'il y a des gens qui s'évertuent à diffamer et à noircir des honnêtes hommes. Il est étonnant de constater qu'aucune répression ne se fait de ce c8té et qu'on se plait plut8t à se laisser prendre dans leur piège, alors que ces gens-là sont responsables des crimes que nous vivons trop souvent.
Aussi longtemps que toutes ces précautions et ces mesures ne seront pas prises, un fossé est en train de se creuser et une haine s'installe dans nos populations. L'unité que nous chérissons tous est donc au prix de la justice.
Du côté tutsi, beaucoup ont cru à la force du "péril hutu et s'organisent en défensive ou en offensive. L'exemple rwandais les hante et le coup de 65 les raffermit dans leur position. Il en résulte des méfiances et des suspicions envers tout geste hutu.
Et il se crée tout le climat dont les Hutu se plaignent.
En conclusion, comme l'a constaté le conseil du Cabinet du 12 avril 68 dernier, nous nous trouvons en face d'un faux problème mais qui risque de devenir un vrai. Car ceux qui dénoncent le péril hutull cherchent par ce truchement de haine à servir leurs ambitions personnelles ou à se maintenir à des places acquises indûment, comme ceux qui parlent des droits à recouvrer veulent se hisser à tout prix à des postes convoités (ou sont à la solde des étrangers). Ce que veut le peuple, c'est le pain, la paix et la justice (le reste faisant l'objet d'une concurrence loyale. Cependant si le problème n'est pas traité adéquatement et impartialement pour que la sauvegarde, l'unité soit une conviction appliquée, il deviendra un vrai problème qui compromettra notre Révolution).
Il nous faut donc maintenant prêcher par la parole et par l'exemple pour sauvegarder et raffermir l'unité monolitique de tout le peuple murundi sur les plans politique et idéologique. C'est alors, et alors seulement
que se créera l'ambiance propice au rayonnement de la Révolution et où l'enthousiasme politique et l'ardeur au travail de tout le peuple s'élèveront d'une façon extraordinaire dans tous les domaines de la reconstruction nationale.
Le
Ministre de l'Information, NDAYAHOZE Martin.
cfr. TINA
Noveri "Burundi Requiem" per ABELE, Edizione Dehoniane,
Bologna.
ARRESTATIONS ET FUSILLADES EN 1969
Au
lendemain du coup d'Etat militaire du capitaine Michel MICOMBERO,
furent supprimés : le pluralisme politique en vigueur depuis
l'indépendance, le sénat, le parlement et tous les partis
d'opposition. Tous les Burundais furent forcés d'intégrer le
parti au pouvoir UPRONA, ainsi que ses mouvements intégrés.
(J.R.R., U.F.B., U.T.B.) (1) Les rares leaders encore vivants,et
les intellectuels ou étudiants Hutu prirent plus que jamais
conscience de leur situation de "majorité minoritaire"
perpétuellement en danger de mort. La plupart d'entre eux
adoptèrent un profil bas : "Hagupfa wozanzama" (mieux
vaut survivre que trépasser) telle semblait être leur devise.
Seule, une minorité d'étudiants Hutu à l'étranger, essaya de
s'organiser.
- En 1967, vu le vide politique laissé par les massacres de 1965
chez les BAHUTU, les BATUTSI évoluaient sans entraves : une
propagande effrénée à travers les médias nationaux et
internationaux rendait les Hutu responsables des événements
d'octobre 1965. On alla jusqu'à les qualifier du terme infamant
"d'abamenja" (régicides). Ce terrorisme intellectuel
savamment entretenu par MICOMBERO et ses acolytes porta ses
fruits : les Hutu avaient tellement peur de s'organiser, qu'ils
en arrivèrent à éviter de se parler en public, vu le système
d'apartheid et le terrorisme psychologique installés depuis le
coup d'Etat de novembre 1966. Les extrémistes Tutsi achèvent
d'affiner la réalisation du "plan-génocide" concocté
par André MUHIRWA et ses amis politiques dès 1962. Ce fameux
plan sera porté à la connaissance des Hutu grâce à Martin
NDAYAHOZE, ministre dans l'équipe de MICOMBERO.
- En 1968, celui-ci commença à dévoiler queelques coins de ce
plan, et lors de son discours du ler juillet, il expliqua sa
tactique : quand on a un fagot à brÛler, il vaut mieux s'y
prendre arbrisseau par arbrisseau, sinon on se complique la vie.
- Ainsi dit, ainsi fait, puisqu'un an plus tard, il procédait
aux arrestations massives et à l'exécution d'un grand nombre de
Hutu en vue à l'époque, non sans avoir hypocritement dénoncé
"le tribalisme", lors de son discours inaugurant les
cérémonies du 2ème anniversaire de la République, le 28
novembre 1968.
-------------------------------------------------------------------------
UPRONA: Union pour
le Progrès National
J.R.R.:Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore
U.F.B.:Union des Femmes Burundaises
U.T.B.:Union des Travailleurs du Burundi
Dès le 18 septembre 1969, Michel MICOMBERO fit procéder à des arrestations dans les milieux militaires, civils et religieux Hutu, touchant des leader comme Charles KAROLERO, Nicodème KATARIHO, Mathias BAZAYUWUNDI, Cyprien HENEHENE, ...
Trois mois après, soit à l'aube du 25 décembre 1969, 23 parmi
les prisonniers furent passés par les armes, sans oublier ceux
qui sont morts en prison suites à des tortures.
Ces Hutus furent fusillés, malgré de nombreuses démarches et pressions extérieures auprès du gouvernement Tutsi.
Les
exécutions des Hutu se poursuivirent tout au long de l'année
1969.
Le bilan du génocide de 1969.:
- 500 Hutu tués par les autorités du Burunddi
(dont - parmi les tués - la quasi totalité des officiers et
sous-officiers
Hutu, ainsi que la plupart des hauts fonctionnaires Hutu)
- 300 réfugiés Hutu.
Extraits de "L'historique des relations Hutu-Tutsi", Oeuvre collective de la communauté des réfugiés burundais en Belgique 1986 - 1987.
CHAPITRE 3:
Le génocide de 1972
MECANISMES DU GENOCIDE DE
1972.
Dans le dossier "Naufrage au Burundi" de septembre 1972, on lisait :
"Dans ce pays sans statistiques et sans informations libres, comment pourrait-on savoir ? Qu'importe. De tels massacres ont déjà eu lieu en territoire décolonisé, mais une tentative de naufrage radical par la suppression de l'élite politique, sociale et culturelle d'une ethnie par l'autre, a-t-on vu cela ? même au Biafra ? même au Bengale ? Lorsque les haines raciales se déchaÎnent, il est rare que les bourreaux se trouvent dans un camp et les victimes dans l'autre".
Les faits
Le 15 mars 1972, Mgr Makarakiza dénonce un complot hutu. La sûreté générale administrée par Bizindavyi et le commandant NDIKUMANA partent en Tanzanie pour organiser une surveillance des Hutu, les frontières restent ouvertes.
Le 30 mars 1972 se passe le kidnapping de Ntare V en Uganda grâce à la complicité d'Idi Amin et de Micombero. Ramené à Bujumbura, il est accusé d'avoir voulu renverser la république pour réinstaurer la monarchie avec l'aide des mercenaires blancs et des Burundais monarchistes. La radio invite la population à veiller.
Le 26 avril 1972, une assemblée du parti Uprona prend des mesures de répression contre tous ceux qui n'ont pas encore adhéré à la JRR et demande au président de la république de décréter une loi instituant la suprématie du parti Uprona.
Le 27 avril 1972 Shibura Albert, ministre de l'Intérieur, va à Nyanza Lac et distribue des armes aux intellectuels Tutsi et ceux qui sont influents dans la masse ; par erreurs quelques Hutu en reçoivent.
Le 28 avril 1972 se réunit le Conseil des ministres. On ne sait trop ce qui s'est décidé, mais il semble que l'unanimité ne s'est pas faite quant au sort à réserver à Ntare V. Le tiraillement décida probablement
Micombero à révoquer son gouvernement. Les ministères sont dirigés par les directeurs généraux.
Le 29 avril 1972 Shibura et Yanda terminent la distribution des armes dans la province de Bururi et reviennent à Bujumbura dans la nuit. Une fête des officiers était organisée. Plus tard le gouvernement dira que le complot des Hutu consistait en une exécution de tout le monde participant à cette fête. Remarquons qu'il n'a pas exhibéles preuves de ce complot Hutu.
près des bâtiments administratifs ou dans des lieux publics. Remarquons que le gouvernement a parlé de "Mulelistes", sans doute pour attirer l'attention de Mobutu, d'"Inyenzi" pour ne pas inquiéter Kayibanda et de 11 monarchitesl' pour endormir les Hutu. Le 2 mai 1972 la radio annonce que le devoir et le droit de tout Burundais sont de dénoncer tout fauteur de trouble. La révolte est cette fois attribuée aux tribalistes, sous-entendu les Hutu, dans le but de mobiliser les Tutsi contre les Hutu et attirer la sympathie de la Tanzanie, de toute l'Afrique au sein de l'OUA ainsi que l'opinion internationale.
Synthèse des mécanismes du génocide
Les mécanismes du génocide sont synthétisés dans "le plan de génocide" élaboré par André Muhirwa et repris par Simbananiye.
1. Semer la haine entre les ethnies en noircissant fortement quelques hauts intellectuels Hutu.
2. Faire disparaÎtre physiquement le chef de l'Etat pour plonger le pays dans la confusion et la colère.
3. Tablant sur les faux bruits déjà en circulation, crier haro sur les Hutu pour la récidive de 1965. Alors il ne restera plus qu'à lancer une répression sanglante sur les cibles choisies d'avance et se montrer très actif dans l'épuration criminelle pour réclamer le pouvoir comme rançon de son zèle. Après ce coup de balais, l'apartheid règnera au Burundi et le "péril Hutu" sera anéanti. à jamais (rapport politique 093/100 Cab/68, Bujumbura 1968).
Remarquons que le plan de génocide a connu quelques modifications : ce n'est pas le chef de l'Etat de l'époque, Michel Micombero, qui a été éliminé, conformément au point 2 du plan de génocide, mais l'ex-chef' d'Etat, Ntare V.
Les méthodes utilisées pour tuer
Les listes :
Les listes des fonctionnaires et des personnes influantes d'ethnie Hutu avaient été faites longtemps à l'avance. Néanmoins, dans les écoles, ce sont les élèves Tutsi qui établissaient les listes de leurs camarades. Quant aux paysans, ils ne nécessitaient pas de listes. Comme la JRR et l'Uprona avaient encadré le pays depuis 1968, les paysans Tutsi savaient très bien qui était Hutu et qui ne l'était pas ; le ramassage se faisait sans aucune confusion.
Les responsabilités :
La responsabilité ou l'établissement de la culpabilité du régime ségrégationniste Tutsi est aisée à établir étant donné les faits cités plus haut.
Grâce à la Sûreté les listes des Hutu étaient centralisées et confiées soit à l'armée quand son concours était nécessaire, soit à la JRR organisée en milice paramilitaire par le Parti Uprona.
Quant à la radio nationale elle servait de courroie de transmission rapide entre les mains des commanditaires du génocide dont Micombero était le chef. Elle trompait les Hutu pour mieux les faire attraper, tout ignorants qu'ils étaient du programme en cours de réalisation. Elle annonce aussi que quelques-uns ont été capturés et que certains rebelles se dirigent vers Ngozi. "Habwirwa benshi hakumva benevyo", les Tutsi, à partir de ce jour mettent à jour les listes des Hutu et certaines étaient déjà dans les mains de la Sûreté, les rafles avaient déjà commencé.
Le 3 mai 1972, des munitions, deux cents hommes de troupes et deux bombardiers arrivent du Zaîre. La radio nationale annonce pour la première fois que des étudiants et des mercenaires entraînés à l'étranger ont envahi le pays.Le 4 mai 1972 la radio nationale répète que le soulèvement est l'oeuvre des tribalistes (sous-entendu Hutu) antirévolutionnaires et que les auteurs ont été arrêtés. Elle demande à la population de former des groupes de vigilance et appelle les membres de la JRR à Ngozi à coopérer pour combattre l'ennemi.
Depuis le ler mai 1972 les habitants de Bujumbura voient des camions chargés de prisonniers et de cadavres dissimulés sous les bâches, s'en aller vers des charniers où les buldozers les recouvrent de terre.
Les fonctionnaires, les dirigeants d'entreprises, les responsables, les étudiants, les professeurs, les possesseurs de comptes dans les caisses d'épargne ou à la poste, les employés, les ouvriers, même des domestiques ... tous d'origine Hutu, ont été arrêtés et exécutés. Quant au peu de Hutu qui étaient encore à l'armée, leur sort avait été réglé au début des massacres.
Le 14 mai 1972, Nyamoya Albin est nommé premier ministre et deux jours après la formation du gouvernement les massacres de Hutu continuent.L'armée continue à tuer à Bubanza, Bujumbura, Ngozi, Gietaga et Muramvya. Quant à Burui la tuerie n'a plus de raison d'être, vu l'extermination des Hutu qui s'y était opérée depuis le 29 avril et la grande masse qui avait fui en Tanzanie.
Le 24 novembre 1972, des promotions sont décernées au sein de l'armée. Le Lieutenant-Colonel
Ndabemeye Thomas devient Général et Chef d'Etat-Major, le Major Nzohabonayo et le Capitaine Bagaza deviennent
Lieutenants-Colonels, en même temps que ce dernier est nommé Chef d'Etat Major adjoint. On peut se poser la question suivante : est-ce que ces promotions n'étaient pas une récompense à leur bravoure dans les massacres des Hutu.
Le 5 juin 1972, le "Pourquoi Pas ? "avançait le chiffre de deux cent mille victimes contrairement au chiffre de dix mille rebelle tués avancé par le gouvernement pour cacher son ignominie, le 30 mai 1972. Dans toutes les guerres il existe des prisonniers et les victimes dans les deux camps, mais dans celle qui s'est déroulée au Burundi il n'y a eu que des victimes Hutu.Si la thèse que le gouvernement avance, à savoir des combats sanglants dans tout le pays, pourquoi n'y a-t-il eu que des réfugiés hutu dans les pays limitrophes ? La seule thèse que nous pouvons retenir pour nous et faire valoir à l'opinion internationale est qu'il y a bel et bien eu un génocide dirigé contre les Hutu, qui tire ses sources des structures héritées de la colonisation et de la féodalité qui ont favorisé les Tutsi, et qui a été orchestré dans le cadre d'un plan préétabli (cfr. plan de génocide).Bilan : environ 300.000 morts, soit plus de 7 % de la population et plus de 13 % de la population masculine de l'ethnie hutu.
Tel un serpent qui hypnotise un rat, le gouvernement empêchait les Hutu de fuir ou de se défendre en leur répétant sans cesse qu'il n'y avait que les coupables qui étaient visés. Alors, les Hutu se sachant honnêtes ne voyaient pas la nécessité de s'inquiéter, jusqu'au moment où le rouleau compresseur frappait à la porte. En outre, la radio nationale servait les sanguinaires en trompant l'opinion internationale par la diffusion de fausses informations, comme on l'a vu plus haut. La Sûreté, l'armée, le parti Uprona et ses mouvements intégrés, font partie intégrante du régime, leur responsabilité dans ces tueries est nette.
L'attitude de la population :
a) La population Tutsi :
Pendant cette période, la population tutsi s'est révélée d'une cruauté et d'un sadisme jusque là insoupçonnés. L'union tutsi, ayant été renforcée après l'affaire des Banyaruguru. Jusqu'à l'adolescent, ils se sont montrés très actifs dans l'élimination des Hutu pour mieux exécuter le plan de génocide. Par exemple, des jeunes Tutsi de neuf' à douze ans établissaient des listes de leurs camarades de classe pour qu'ils soient exécutés. Quant aux adultes, leur comportement barbare dépasse l'entendement ; ils allaient jusqu'à éventrer les femmes enceintes, soi-disant pour éradiquer la mauvaise graine hutu.
b) L'attitude des Hutu :
Contrairement aux Tutsi unis, pour eux c'était le sauve-qui-peut. Un
c) L'attitude du clergé burundais
Contrairement à la réaction de l'épiscopat burundais lors du procès de
Banyaruguru (Tutsi), qui demandait l'arrêt de l'arbitraire et le respect
des droits de l'homme, cette fois la réaction des évêques allait dans le
sens voulu par les auteurs du génocide. L ' évêque de Bujumbura, Michel
Ntuyahaga; s'en prit aux tribalistes "Hutu" au cours d'un sermon à la
cathédrale Regina Mundi. L'archevêque du Burundi, André
Makarakiza, fut
encore plus virulent dans son célèbre sermon du 15 août 1972 à la grotte
Marielle de Mugera contre les tribalistes, "fauteurs de troubles". Bref,
ils soutinrent l'injustice.
L'attitude du monde extérieur :
Ce n'est qu'après l'exécution du plan de génocide que le monde extérieur a
été mis au courant de ce qui s'était passé au
Burundi. Ceci est dû au fait que les autorités burundaises avaient verrouillé les
frontières jusqu'aux environs du 20 mai 1972. C'était trop tard. Les
observateurs étrangers ne pouvaient plus rien voir : tous les cadavres
étaient déjà enterrés et les traces de sang minutieusement effacées.
Néanmoins, le monde extérieur a été horrifié. Le premier ministre belge de
l'époque a parlé de génocide, le secrétaire général de l'ONU a parlé de
tragédie, le pape a envoyé une lettre de protestation à
Micombero...Toutefois, nous regrettons vivement le silence des chancelleries
étrangères établies à Bujumbura, qui n'ont rien dit alors qu'elles avaient
les moyens de contourner le verrouillage de l'information imposé par le
gouvernement.
Extraits de "L'histoire des relations Hutu-Tutsi",
par la Communauté des réfugiés burundais en Belgique
1986-1987
IL FAUT RESTER ENFERME AU COLLEGE
TEMOIGNAGE D'UN ELEVE DU COLLEGE DON BOSCO (NGOZI)
Voici quelques détails des événements au collège Don Bosco durant les derniers mois de l'année scolaire 1971-1972.
Samedi, 29 avril, rien de particulier. Même la nouvelle d'après laquelle Micombero a dissous le gouvernement n'a pas encore pénétré l'intérieur de nos toits. Mais la paix n'allait point durer.
Dimanche matin, une voiture vint s'arrêter à l'entrée de notre salle d'études. Un homme en sort, en tenue militaire ; le commandant des forces armées de Ngozi, Mr Bizoza Joseph. Il s'avança vers notre groupe avec un air empressé. Sans doute a-t-il quelque chose de très urgent à nous dire : "Citoyens, notre pays est en danger, une bande de mercenaires veut s'emparer de notre cher patrimoine. Déjà à Bururi, des gens ont péri ; pour éviter que le désordre ne gagne votre secteur, vous devez rester enfermés au collège ; plus de consersations avec les ouvriers et n'écoutez plus la radio. Si l'un d'entre vous viole un de ces ordres il sera poursuivi par la justice. A vous de veiller de lutter". Puis il disparaÎt nous laissant dans le doute. Pourquoi de telles mesures ? Pourquoi un ton pareil ? Pourquoi de telles menaces ?
Nous avons observé à la lettre les ordre de Bizoza, mais cela n'empêcha
pas que mercredi 16 mai (ou le 17), les militaires pénétrèrent à
l'intérieur de notre institut. Trois étudiants furent emportés par les
ravisseurs ce jour-là. Le lendemain nous réservait une surprise.
Il était neuf heures du matin lorsque les mêmes militaires cernèrent le collège : trente-cinq élèves furent appelés et arrêtés, vingt-et-un hutu et quatorze tutsi. A sept heures du soir, la "belle" ethnie revint toute joyeuse. Il était inutile de leur demander où étaient leurs vingt-cinq autres condisciples. D'ailleurs, nous connaissions leur jugement sur les vingt-quatre hutu du cycle supérieur qui avaient déjà disparu.
Jusqu'à ce moment, nous sommes restés calmes et aimables envers les morts et les assassins. Les militaires, voyant qu'ils avaient tout leur temps et que nous étions étroitement surveillés, ne vinrent plus nous déranger dans les jours qui suivirent. Seul, le commandant Bizoza Joseph passait chaque jour au collège pour voir si tous les septante-quatre étaient là et qu'il n'y avait pas quelque problème à régler.
La vie continua dans la même atmosphère jusqu'au 23 juin, veille de nos vacances. Mr Bizoza qui n'avait cessé de perturber notre tranquillité revint nous donner ses derniers ordres : "Demain, vous irez en vacances. Vous rencontrerez des gens qui vous diront toutes sortes de choses, et gare à vous si vous les croyez ! Vous ne pourrez partir qu'avec un laissez-passer que je vous donnerai tout à l'heure. Ce papier, vous irezle présenter à votre administrateur quand vous serez rentrés. J'insiste encore une fois pour que tout le monde aille chez lui et veille à ce que je viens de dire. Merci".
Après ce discours sec, des laissez-passer nous ont été distribués et nous sommes allés faire nos valises." Ce fut mon dernier jour au collège.
QUAND L'HOMME NE TROUVE PLUS DANS L'HOMME UN SEMBLABLE
TEMOIGNAGE D'UN ETUDIANT A L'UNIVERSITE OFFICIELLE DE BUJUMBURE
Tout commença dans la nuit du samedi 29 avril 1972, alors qu'à midi, le président Micombero venait de révoquer son équipe ministérielle. Ce soirlà, j'avais eu l'occasion de passer la nuit dans ma famille, à la maison, en compagnie de mes frères et soeurs, comme c'était le cas chaque week-end.
Le lendemain matin, à mon réveil, des bruits couraient comme quoi il y avait eu une attaque en ville, que des hommes avaient été tués, des véhicules brûlés. Ces racontars ne me terrifièrent pas. J'y voyais un rejaillissement de ce régionalisme séculaire des Tutsi qui était le problème à la page. Je n'imaginais surtout pas un affrontement entre Hutu et Tutsi, car je savais que tous les Hutu intellectuels, fils issus des masses populaires, avaient été décimés au cours des dix années d'indépendance. J'étais sûr que le pays appartenait désormais aux Tutsi pour un certain nombre d'années et que le peuple n'arriverait plus à prendre les rênes du pays.
Le pays appartenait aux Tutsi, minorité seigneuriale et oisive passant une grande partie de son temps à parler de sa beauté et tenant en tutelle, en esclavage une majorité paysanne, travailleuse séculaire produisant pour la petite minorité. Et cette majorité c'est le peuple Hutu, d'origine bantoue.
Donc, ce lundi matin, je me rendis à l'université. Là comme toujours quand il y a un incident politique, on ne voyait que des groupes hermétiquement fermés ici des Tutsi du Bururi, là des Hutu, plus loin des Tutsi de Muramvya tout cela rendait la situation plus confuse. Petit à petit je commençais à y voir un mauvais présage : "Si c'est nous, me disais-je, nous seront particulièrement raccourcis".
Très vite, le voile fut levé, la situation devint claire. Ce soir-là, une petite camionnette arriva au campus universitaire avec deux agents de la Sûreté. L'un d'eux sortit un petit billet sur lequel étaient inscrits des noms. Et quand il commença à faire l'appel, il n'y eut plus de doute, nous étions visés. Des étudiants hutu, les plus remarquables, étaient convoqués afin de subir un interrogatoire comme dans toute société respectant la dignité humaine. Nous ignorions que c'était là l'extinction brusque de leur vie encore fleurie de jeunesse et de volonté. Ce qui fut surtout remarquable c'était que ce coup frappa d'abord les garçons intelligents des faculés de médecine et de sciences. Car il faut l'avouer, sans aucune prétention, ces deux facultés constituaient le fief des étudiants hutu tandis que les étudiants tutsi s'inscrivaient à la Faculé de Lettres et de Droit. La raison est simple : les Hutu savaient qu'il leur fallait posséder une carrière technique sérieuse, exigeant une formation incontestable et exigeante pour trouver un emploi.
Donc, on emmena les vingt premiers étudiants hutu, tout le monde s'attendait un peu naïvement à leur retour, après un interrogatoire ; pour moi, le sort des Hutu était déjà décidé. Conscient du caractère sanguinaire des Tutsi et sur-tout de leur cynisme et de leur haine envers les masses paysannes hutu et envers la jeunesse intellectuelle montante, j'entrevis le prétexte dont ils allaient se servir pour laisser exploser leur haine, déjà difficilement contenue et pour massacrer impitoyablement le peuple. D'autres étudiants avaient aussi compris, mais sachant leur tristesse dans l'incapacité de se révolter et dans la réserve bien connue du peuple hutu, ils ne pouvaient que se taire et subir innocemment ces atrocités.
Hécatombe des universitaires hutu (5 mai)
Il était neuf heures, nous étions en classe. Brusquement un bruit se fit entendre à
l'extérieur. Cric ! Crac ! Un bruit sec, saccadé. Et tout à coup, en un instant, la porte
de l'auditorium s'ouvre. Trois hommes armés, en tenue de campagne, revolver au
poing,
prêts à tirer, font irruption dans la salle. Un soupir bref de désespoir s'échappe de la
poitrine des étudiants "Silence", ordonna le premier des trois militaires. Il sortit
alors d'un énorme livre, un papier qu'il présenta au Doyen de la faculté. Je pus voir sur
la feuille deux photos - format de passeport - l'une du Président
Micombero, l'autre du
Procureur de la République : c'était le mandat d'arrêt.
Après avoir vu la signature même du Président, le professeur était désormais dans
l'impuissance de dire quoi que ce soit. Le militaire était un commandant, homme noir,
avec un nez en falaise, de petits yeux enfoncés profondément dans le crâne, un vrai
représentant de la mort. Il se tourna vers les étudiants et vociféra
"Certains parmi vous doivent être arrêtés. Tout le monde dehors Je vis tout d'un coup, parmi les étudiants,
des visages pâles et décolorés, des visages sans plus aucun espoir dans la vie, et
d'autres, au contraire, souriants et cyniques, des visages de trahison.
Quant à moi, je tremblais , une sueur formée de gouttes aussi grosses que des gouttes
d'eau me dégoulina tout le long du visage. La mort était devant
moi. C'était fini ! Les
forces tribalistes avaient explosé, il était impossible de les
retenir. Ou fuir, ou ne
pas fuir ? Des instruments de mort étaient braqués dans tous les
sens, tout le campus
était encerclé ; des soldats avec armes lourdes : jeep, blindés,
mitraillettes,
mitrailleuses et 1es autres machines encore que le monde moderne a pu inventer. Un
observateur étranger aurait cru deux fronts sérieux en guerre. C'était horrible à voir
tout cet attirail d'armes légères et lourdes, de baïonnettes et de petits couteaux
arrondis, que le gouvernement tutsi avait osé mobiliser pour réduire en pièces quelques
étudiants innocents, complètement ignorants de ce qu'on leur
reprochait.
Cher lecteur, je ne trouve pas les mots pour vous exprimer les tortures, combien inhumaines, que cette première victime dut subir. Le visage contre le sol, un soldat le piétina, lui frappa la tête avec sa balonnette, il lui transperça le côté avec un long couteau. Après l'avoir déshabilé, il lui trancha froidement et cyniquement les organes extérieurs de l'appareil reproducteur. Devant cet horrible spectacle, je fus glacé, je m'abandonnai à Dieu, car pour la première fois de ma vie, je me reconnaissais tout à fait impuissant. Je préfère qu'on me tue avec un revolver plutôt que de subir ce martyre. Je regardais, contemplais ce sang innocent qui coulait clair et limpide comme de l'eau jaillissant d'une source et je restai convaincu qu'il ne serait jamais pardonné à ces animaux à face d'homme.
"Nzoramba Dismas", le commandant continua la liste, et chaque étudiant cité, devait subir le même carnage. Chaque nom qui retentissait, symbolisait la disparition d'une élite qui se désagrégeait lentement.
A chaque nom appelé, mon coeur battait comme un tambour, mon âme s'évadait pour un instant. Au rythme martelé de chaque nom proclamé tout le monde fermait les yeux comme pour ne pas entendre le sien. C'était inutile, l'effectif diminuait, les hutu disparaissaient, la jeunesse intellectuelle issue de la masse de la nation subissait ces inqualifiables atrocités.A la fin le commandant s'arrêta, les yeux rougis par ses crimes, insensible aux sentiments humains. Il vociféra : "C'est fini pour le moment, nous reviendrons demain". A ces mots, je respirai profondément : "Je ne suis pas du nombre!" me dis-je intérieurement. Ceux qu'on avait pris, furent embarqués dans un grand camion, les uns déjà morts,d'autres à moitié et un bon nombre encore vivants. Une trentaine de soldats montèrent dans le même camion et continuèrent leur inqualifiable boucherie.
Rushubi représentait pour moi un lieu de refuge, un lieu de bonheur et de salut. Situé à vingt-cinq kilomètres de Bujumbura, Rushubi hébergeait ma grand-mère et avait vu naÎtre maman. J'y espérais des lendemains
Dans toute la région, il ne resta qu'un garçon nommé Honoré et moi-même. Honoré
était un garçon arrivé en classe terminale des humanités au Collège du St. Esprit,
dirigé par les Jésuites. Il avait pu échapper à la mort après avoir reçu des
blessures graves lors d'une bataille qui avait opposé Hutu et Tutsi au Collège du
St. Esprit. Mais à peine venait-il d'entrer en convalescence qu'il allait partager
le sort commun. Les troupes gouvernementales le trouvèrent caché sous son lit et
c'est ici que s'exprime une fois de plus la cruauté la plus horrible du Tutsi.
"Petit animal, pourquoi as-tu quitté l'école ?" interrogea un des
flics. Sur ce, avec
ses énormes bottes, il s'amusa à danser sur le ventre du garçon. Ensuite avec son
couteau, il lui transperça le cou jusqu'à ce que la pointe ressorte dans la
nuque. Satisfait, il contempla alors le sang qui s'écoulait sur le ventre du pauvre
Honoré. Son camarade lui prêta ensuite main forte et avec un énorme
marteau, à deux, il écrasèrent le crâne de
l'adolescent. Honoré rendit l'âme à son Créateur.
Son père et son oncle furent soumis aux mêmes atrocités. Toute la famille disparut
ainsi. Qui pardonnera à ces hommes ?
Quand les personnes qui assistèrent à la tuerie me dirent ce qui s'était passé, je
fus secoué par la peur et allai passer la nuit dans une bananeraie. Le matin
venu,
je décidai de redescendre à Bujumbura, à Kamenge, espérant que le déchaînement de
violences serait ralenti là-bas. Je me déguisai en paysan avec des vêtements en
haillons, en prenant soin de porter sur la tête un régime de
bananes, car au
Burundi, il faut être paysan pour survivre.
Encore trente jours à rester enfermé
En chemin, Dieu me garda jusqu'à la maison. Personne ne me reconnut, tellement
j'étais changé. Et je m'engouffrai rapidement dans l'habitation
familiale? Je m'y
cachai pendant exactement trente jours, ne sortant que la nuit pour les nécessités
habituelles.
L'absurde des philosophes existentialistes se réalisait. Dès ce moment, je commençais à former des plans pour une évasion, il fallait à tout prix quitter ces lieux.
Lueur d'espoir
Un jour je me décidai. D'intelligence avec mon grand frère, je me dirigeai
vers la frontière du Zaïre. Maintenant la question la plus importante se
posait : comment passer les postes de police ? Là, des milliers de vies
humaines s'étaient éteintes en tentant une évasion.
Heureusement, nous
parvinmes à nous arranger avec de jeunes pêcheurs. Après avoir accepté une
petite somme, ils nous conduisirent à sept heures précises vers le
Tanganyika. La barque y était déjà prête.
Une lueur d'espoir m'envahit : l'enfer allait disparaître par morceaux pour faire place à une vie nouvelle toute pleine d'espoirs nouveaux.
De temps en temps les vedettes militaires qui sillonnaient le lac braquaient leurs phares de mort vers notre pirogue, mais le bon Dieu avait décidé de nous sauver. Notre pilote maîtrisait sa barque avec une adresse des plus rares. Lorsque les phares nous illuminaient, il stoppait la pirogue, immobile comme un arbre mort, tandis que nous nous écrasions contre le fond de la barque pour nous cacher. La lumière passait.
Finalement, nous arrivâmes à Uvira, sur la côte du Zaïre. Nous avions la vie sauve. Désormais, j'étais loin des cruels humains, face à une nouvelle existence.
J'AI CONNU LES PRISONS, LES MASSACRES ET LA CHASSE A L'HOMME
TEMOIGNAGE D'UN ELEVE DE PREMIERE (ATHENEE DE GITEGA)
La vie est dure partout de la haine, de la jalousie,partout les hommes s'entredéchirent! Que ne ferait-on pas pour que tous les hommes sachent qu'ils ont un seul Créateur ?
Qui a donné un pourboire pour naître hutu ou tutsi ? Je n'y suis pour rien! Alors pourquoi fait-on cette différence entre Hutu et Tutsi ?
Dès 1962, le Tutsi a commencé la persécution du Hutu. J'étais jeune, mais j'avais des yeux et des oreilles. A l'école où un Tutsi enseigne, la majorité des Tutsi réussissent, tandis qu'une minorité de Hutu seulement percera. Ainsi il arrive que des Tutsi qui monte de classe sont intellectuellement inférieurs aux Hutu qui ont échoué.
Jusqu'à la fin de ma troisième année post-primaire, j'ai pu monter de
classe, grâce à mon
physique. A ce moment, mes condisciples voyant que je ne participais pas à leurs
activités criminelles contre les Hutu s'informèrent de mon origine. Il la découvrirent en
1969. Ils tentent alors de me faire emprisonner ; leurs accusations étant totalement
fausses, ils échouent. Je remercie Dieu de m'avoir sauvé.
Les séparations entre étudiants deviennent complètes ; un Tutsi ne se promène pas avec un
Hutu. Une jeune fille tutsi ne parle pas à un jeune homme hutu. N'y a-t-il pas un
proverbe qui dit "Impene ntiziba mu ntama" (les chèvres ne fréquentent pas les
brebis) ?
Etudes secondaires à Matana et à Gitega
J'ai suivi mes études secondaires jusqu'en seconde scientifique à Matana dans le
Bururi.
Cette région est fort anti-hutu ; on y rencontre les Tutsi les plus durs :
Abahinda, Shibura, Sota, Abahima et le clan de
Simbananiye Artémon. Il est presque impossible pour un étudiant hutu d'achever ses études à l'école secondaire de Matana, dirigée par un Rwandais tutsi Aimable NT. Dans toute la région, il n'y a pas un fonctionnaire hutu.
Grâce à mon physique, j'ai pu achever ma seconde scientifique en 1970-71 à Matana et comme il n'y avait pas de première, je suis passé à l'Athénée de Gitega. Dans les deux premières à Gitega (économique et scientifique), nous étions quarante-trois étudiants dont neuf Hutu (les autres avaient été systématiquement éliminés). Au début les étudiants de Gitega n'étaient pas tribalistes ni extrémistes, mais ils le deviendront sous l'influence des Tutsi venus avec nous de Matana : Joseph No, Séverin Si. et Juma de Bururi. C'est à cause de ces trois étudiants et de leur professeur, actuellement directeur de l'Athénée, que le sang des élèves hutu a été versé dès le 4 mai 1969.
Peut-on mentir plus effrontément ? L'athénée de Gitega est à cinq cents mètres du camp militaire et à un kilomètre de l'ex-palais royal où Ndizeye était prisonnier. Pendant la nuit du 29 avril, je préparais une interrogation de dessin et me couchai à minuit. Je n'ai rien vu ni rien entendu de cette "sanglante bataille".
Dans l'après-midi un soldat tutsi de garde au palais nous dit qu'ils ont reçu l'ordre de l'état-major de Bujumbura de tuer froidement Charles Ndizeye, car "des mercenaires étrangers allaient attaquer le pays pour le libérer". C'est ainsi que le jeune ex-roi, revenu avec une garantie du chef de l'Etat, fut tué et enterré d'une façon ignominieuse près de la prison de Gitega sur la colline Nyabiharaga le ler mai 1971.
Entretemps, le gouverneur civil, Septime Bizimana, proclame le couvre-feu et fait barrer toutes les routes. Des fonctionnaires d'autres provinces, venus pour fêter le ler mai, sont arrêtés et jetés en prison. Les patrouilles militaires se multiplient, les écoles sont surveillées. Dès 16 heures, tout étudiant doit se mettre au lit, sauf les Tutsi qui tiennent des réunions hors de l'école pendant la nuit et rentrent sans aucun ennui. Par contre, tout Hutu pris à l'extérieur après 17 heures est immédiatement conduit en prison. Personne n'est tué en rue, et dans les villages pas un seul coup de feu n'éclate. L'ethnie Hutu sera décapitée dans un silence lourd et tragique.
Le dimanche 7 mai, à 3 heures du matin, les soldats arrêtent tous les petits fonctionnaires (surveillants, domestiques, plantons) de Gitega et des environs : les mains derrière le dos, ils sont conduits à la rivière Ruvyironza et fusillés.
Lundi, les étudiants - tutsi sur le conseil du ex-proviseur Astère Ka. cachent leurs cahiers et nous accusent de les avoir volés. Ils commencent à nous injurier, torturent les plus jeunes Hutu de 6ème et 5ème moderne ; ils crèvent les yeux d'un domestique hutu ; tout cela pour nous provoquer. Leur but est clair : ils veule nt nous faire réagir et alors appeler les soldats sous prétexte qu'ils sont menacés et nous faire emmener. Nous sentons le piège et tâchons de rester calmes.
Dix-huit étudiants conduits en prison (9 mai)
Le mardi 9, à l'heure du petit déjeuner, arrive un véhicule rempli de
militaires.
Ils entourent le réfectoire. Ils présentent une liste au
surveillant, un Tutsi
rwandais : son nom figure en tête de liste. Je me présente, les autres
suivent.
Nous sommes dix-huit étudiants conduits en prison. Ils nous enlèvent tout ce que
nous avons : montre, argent, ceinture, souliers, quelques habits. Avant d'entrer
au cachot, chacun de nous passe au bureau pour déclarer son identité, cela se
résume à être hutu ou tutsi.
Au cachot, nous retrouvons nos cinq camarades encore en vie. Il nous racontent comment les soldats torturent et tuent les prisonniers ; nous sommes effrayés et impuissants à fuir. C'est au moyen de marteaux, de machettes, de lances et de baïonnettes qu'ils massacrent. Chaque jour arrivent des camions remplis de hutus venant de tous les coins de la province de Gitega, parfois six camions en un jour. Quand vient l'appel pour la tuerie, il semble que les étudiants soient réservés pour la fin.
Après une semaine, le capitaine arrête le massacre par les armes et propose l'asphyxie : les Hutu sont amenés en grand nombre, attachés à une même corde et sont entassés dans un même réduit de deux mètres de long sur un mètre de large. Ils étouffent lentement et crient pour avoir de l'eau; on leur répond par des injures et des coups de bâtons. C'est pendant deux semaines que nous assistons à ces massacres, sans manger, ni boire.
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Tentative de révolte du 22 mai
Le 22 mai, notre heure arrive. Le capitaine, responsable des massacres entre, il nous dit que nous allons chercher de
l'eau. Nous nous présentons,
nous sommes septante-six étudiants, treize étudiants du Médico, sept
infirmières et monitrices dont une vieille de septante ans. Mais nous
sommes ligotés et entassés dans deux cachots.
Nous prions le capitaine de
nous tuer au fusil, il refuse et ferme la porte du cachot.
Nous sommes
écrasés, respirant avec peine, sans force.
Au bout d'un quart d'heure, une trentaine s'écroule, épuisée par manque d'air. Que faire ? Ensemble, nous rassemblons nos dernières forces et, Dieu nous aide, nous parvenons à briser la porte. Les militaires sont surpris et se retirent car nous lançons des pierres.
La porte extérieure de la prison est fermée, impossible de fuir par là et les militaires ouvrent le feu sur nous. Nous essayons de grimper sur les murs, mais les militaires tirent partout sur les étudiants révoltés. il faudra donc finir par mourir. Trois d'entre nous sont déjà tués dans la bagarre et d'autres blessés. Dans l'obscurité je me dirige vers un petit réduit sombre et infect, presque* pas moyen de respirer à cause de l'odeur d'urine mélangée de sang humain. Nous sommes trois ; les autres se sont rués ensemble sur la porte extérieure et sont parvenus à l'enfoncer. Les soldats en ont tué quelques-uns, les autres ont réussi à s'évader.
Toute la nuit on entend des coups de fusil. Nous perdons courage et nous décidons de nous présenter aux soldats. A ce moment j'aperçois dans le plafond un trou sombre, à trois nous y grimpons et nous cachons entre le plafond et les tôles. Des soldats recherchent tous les prisonniers dans le camp, ils tuent ceux qu'ils trouvent, mais ne nous aperçoivent pas. Dieu nous est venu en aide ! Ils ont épargné les filles et les enferment dans une chambre en-dessous de nous. Parmi les filles il y a une soeur, enseignante au Centre Médico-Social. Ses compagnes la trahissent en l'appelant "soeur". Les militaires s'en emparent et la torturent horriblement et la forcent aux relations sexuelles ; toutes ses compagnes subissent les mêmes tortures ; quand les soldats sont partis, nous avons pu parler à ces malheureuse épuisées et sans force. Le mercredi 25 mai, elles seront conduites au carnage.
Maintenant la fuite vers le sud, vers la Tanzanie, commence. Je me vois obligé de passer par la maison, car de là les chemins vers la Tanzanie me sont connus. Je pars avec un ami, l'autre va à Gitega pour y être caché par ses frères, je n'ai plus eu de nouvelle de lui.
A deux nous reprenons le voyage, habillés comme des paysans. Arrivés à la limite de la province de Gitega pour entrer dans le Burundi, les JRR de
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Gishubi nous arrêtent et nous voilà de nouveau en prison. Les prisonniers nous racontent la douloureuse histoire de nos camarades évadés de prison. Ils ont été arrêtés dans cette même forêt de Gishubi et mis à mort après différentes tortures. On leur a enlevé les vêtements, ils'ont été mutilés et enfin tués, puis jetés à la rivière.
Grâce à mon physique, ils me prennent pour un des leurs. Ils me posent des questions et je réponds comme un Tutsi. Après une semaine de prison, les autres, y compris mon ami, sont conduits à la tuerie alors qu'un laissez-passer m'est accordé pour regagner mon domicile.
J'arrive à la maison dans les heures de la nuit, de crainte que ceux qui pourraient me reconnaître n'aillent le dire aux autorités. Comme je suis dans un milieu où tout le monde se connaît, je resterai enfermé à la maison sans sortir durant trois semaines.
Durant ce temps, ma charitable maman et mon petit frère me servent avec un grand dévouement et ma maman se donne toutes les peines du monde et court même le risque de se faire arrêter en allant se renseigner sur les chemins qui sont gardés dans la direction de la Tanzanie.
Le 26 juin, avec trois compagnons, pendant la nuit, nous quittons la maison et en suivant les rivières pour éviter les routes barrées, ne marchant que la nuit et passant les journées dans la forêt. Après deux jours, nous atteignons la Tanzanie.
Nous passons trois mois à Kigoma dans des familles tanzaniennes. Chaque jour arrivent des centaines de réfugiés car la persécution continue ; parmi eux se trouvent des étudiants cachés par les Pères et les Frères, qui cherchent à se regrouper à Kigoma. Les Tutsi rappellent les réfugiés par radio en leur faisant croire qu'ils peuvent rentrer en paix et que tout est fini, mais c'est faux ; dès que des réfugiés hutu rentrent au pays, ils sont refoulés dans la forêt pour être tués. J'ai quitté le Burundi parce que je suis Hutu ! Ah, si les hommes pouvaient comprendre qu'ils sont tous égaux devant le Créateur et que personne ne peut mépriser un autre. Je supplie tous les hommes droits à s'informer sérieusement sur les événements qui se sont passés au Burundi et à chercher à connaître la vérité.
P.S. Etudiant à l'UNAZA
République du Zaîre
MEME DES JEUNES ELEVES DE 10 A 14 ANS DEVAIENT ETRE MASSACRES
TEMOIGNAGE D'UN ELEVE DE L'ECOLE NORMALE DE KIREMBA
Les soldats investissent l'école
Samedi 29 avril, le directeur de l'internat interdisait aux élèves de rentrer chez eux à l'occasion du congé du ler mai. Le lendemain matin, les soldats envahissaient, armes à la main, le quartier où résidaient les missionnaires de l'école et de l'église. Ils s'emparaient d'un camion de l'école qu'ils allaient dorénavant employer pour le transport de leurs proies humaines.
A 9 heures, les élèves assistaient au culte à l'église située au bord de la route Bururi-Makamba. Tandis qu'ils célébraient l'office, le premier pasteur Mr Madengo Abel-Nego était appelé par des soldats qui rôdaient autour de l'église. Ils lui signifièrent de faire sortir tous ceux qui priaient de l'église.
Arrestation des professeurs hutu
Terrifiés par la fureur des soldats, tous les élèves voulaient s'enfuir mais le pasteur Madengo les rassura mensongèrement en prétendant qu'il n'y avait aucun danger et que les soldats les protégeraient. Ils restèrent donc tous à l'internat.
Le soir du 2 mai, des soldats vinrent s'informer auprès d'un élève tutsi s'il n'y avait pas de querelles. Comme il répondait que tout était calme, le militaire quitta, mais mal en prit l'élève qui fut rossé par les autres Tutsi, pour avoir dit la vérité.
Jeudi 4 mai, les autres professeurs hutu et un surveillant furent arrêtés. Le soir quelques élèves ont tenté de s'enfuir, mais la plupart d'entre eux furent rattrapés et massacrés en chemin.
On prépare l'arrestation des élèves
Le jour suivant, le faux pasteur - car il était d'une fausseté et d'une
fourberie majuscules - conseilla aux élèves de ne pas tenter la fuite :
"Vous êtes innocents, leur disait-il, tout cela ne vous concerne pas, vous
êtes trop jeunes, il n'y a pas de raison de vous enfuir". Or, déjà il
s'était entretenu avec les soldats de la façon dont il fallait s'y prendre
pour arrêter le plus grand nombre d'élèves. Cette nuit-là les JRR sont
venus, lances et machettes à la main, fouiller les armoires des élèves hutu
pour voir s'ils ne cachaient rien de suspect. Ils n'y trouvèrent rien.
Arrestation de septante-deux élèves du cycle supérieur
Samedi, le 27 mai, le commandant du Centre d'instruction de Bururi, Nduwingoma Samuel, se
présenta à notre école et entra dans le bureau du directeur. Un peu plus tard il en sortit et fit
signe à sa troupe qui, aussitôt, investit l'établissement de toute part. Les élèves n'avaient pas
les moyens d'échapper, d'autant plus qu'ils étaient tous en classe.
Un des soldats, muni d'une liste nominative, dressée par les élèves tutsi, dont faisait partie le fils du premier pasteur, Nathan Madengo, proclama le nom d'un grand nombre d'élèves, qui devaient être emmenés. Tous ces élèves du cycle supérieur, étaient poussés hors de la classe à coups de crosse, et forcés de monter dans le camion qui stationnait devant le bâtiment. Le nombre des élèves conduits' ce matin-là à la mort dans les pires tortures s'élève à septante deux.
Arrestation de cinquante-sept élèves du cycle inférieur
Mardi 30 mai, un soldat déguisé en civil se présenta auprès du directeur de l'internat et demanda
à pouvoir parler aux élèves. On sonna la cloche. Les élèves arrivèrent et se rangèrent selon les
classes. Alors le militaire tira de sa poche une nouvelle lsite et commença par appeler le nom de
nombreux élèves. Ceux-ci étaient tirés hors des rangs et au même moment ils se virent encerclés
par un grand nombre de militaires armés, surgis d'on ne savait où. Cette
fois, le cycle inférieur
était amputé on lui ravissait cinquante-sept victimes.
Tous ces garçons dirent adieu à leurs camarades et partirent pour ne plus jamais
revenir. Ils
regardaient une dernière fois leurs petits frères qui restaient en 6ème
moderne. Et parmi ceux
qui étaient conduits à la mort se trouvaient deux jeunes filles de lère
normale. Ceux du deuxième
groupe furent les plus cruellement massacrés, transpercés par des lances et des baîonnettes.
On veut arrêter les jeunes de 10 à 14 ans
Les plus jeunes élèves de 6ème étaient désormais exposés sans défense aux vexations et brimades des grands élèves tutsi. Ceux-ci poussèrent leur ruse jusqu'à déchirer la photo de Micombero puis rejetèrent la faute sur les élèves hutu et particulièrement sur une jeune fille : elle eut le privilège d'être renvoyée de l'école bien qu'elle était totalement innocente.
A la moindre occasion on voyait les élèves tutsi se ruer sur les petits hutu, les battre jusqu'à ce que le sang coule, parfois leur infliger de profondes blessures et leur arracher la peau. La cruauté de ces tutsi parvint aux oreilles de Mgr Martin, évêque de Bururi., Il en avertit le président lui-même. Celui-ci intervint pour arrêter ces atrocités. Ainsi ces jeunes eurent un peu de répit et à la fin de l'année scolaire ils sont rentrés chez eux, mais Dieu seul sait s'ils sont arrivés sains et saufs, eux les derniers survivants de notre Ecole normale. Du reste, le palmarès
offrait de nombreuses pages presque entièrement blanches, à tel point que certaines classes étaient réduites à une petite dizaine d'élèves.
Si jamais une école à souffert et fut martyrisée, c'est bien l'école protestante de Kiremba. Et tout le monde songe au grand coupable : Madengo Abel-Nego. Car s'il l'avait voulu, aucun élève n'aurait été massacré, tel était son prestige, et s'il s'était opposé à la soldatesque et au commandant, on n'aurait pas touché à un seul de ses élèves. Au lieu de cela il fut la cause de l'hécatombe. Que répondra-t-il lorsque Dieu lui demandera compte pour le sang de tant d'innocents qu'il a laissé verser ?L'école de Kiremba a été la plus éprouvée de toutes les écoles du Burundi: cent quatre-vingts élèves hutu y sont morts sur trois cent trente-neuf élèves, dont soixante-neuf tutsi et dix-sept jeunes filles.
Celui qui a écrit ces lignes a échappé par miracle au massacre commun. En essayant de s'évader il fut arrêté par les JRR qui encerclaient l'école, mais il se fit passer pour un tutsi - il dut même l'affirmer sous serment et fut alors relâché. En se cachant ensuite dans les bois et avançant péniblement pendant les nuits, il a pu gagner la Tanzanie, et de là passer au Zaïre hospitalier. Voilà le témoignage qu'il peut donner.
PARTIE 1: par le PROFESSEUR RENÉ LEMARCHAND
L'histoire n'enregistre guère d'équivalent à l'hécatombe de vies
humaines qui ensanglanta le Burundi en 1972, dénouement d'une lutte
sans merci entre les deux communautés ethniques principales du
pays, Hutu et Tutsi. Autant que par le chiffre des victimes (les
estimations varient entre 80 et 100.000 morts) on reste confondu
par l'indifférence, pour ne rien dire de l'incompréhension, de l'opinion publique devant les dimensions du massacre. Environ
3,5% de la population totale du pays (3,5 millions) furent "nettoyée'
en l'espace de quelques semaines, ce qui, en termes comparatifs,
signifierait une perte de près de deux millions de personnes pour la
France et de 350.000 pour la Belgique. Parler d'un "génocide sélectif"
pour qualifier une violence politique d'une telle ampleur, c'est à peine
exagérer la réalité.
S'il est encore impossible de déterminer l'impact à long terme de ces
événements sur l'ensemble de la société du Burundi, il est en tout cas
indéniable qu'une véritable métamorphose sociale en est résultée. A
l'heure actuelle le Burundi est le seul état indépendent d'Afrique noire
à défendre les droits d'une société de caste, autrement dit à fixer le
monopole du pouvoir entre les mains des Tutsi, ceux-ci ne
représentant que 15% de la population. Sur la base de critères
culturels et régionaux, ce pourcentage pourrait même tomber à moins
de 4%. Toute différence raciale mise à part, la situation la plus proche
de celle du Burundi se retrouve en Afrique du Sud et en Rhodésie.
Cette suprématie s'étend pratiquement à tous les secteurs, limitant à
la seule minorité dominante l'accès à la richesse matérielle, à
l'éducation et à la participation au pouvoir. Pour qui a eu l'occasion
d'apprécier le système de stratification relativement "ouvert" et
souple qui caractérisait autrefois la société du Burundi, une telle
transformation n'est rien moins qu'effarante.
La trame de ce qu'on appelle pieusement à Bujumbura "les
événements" ne sera probablement jamais connue. L'enchaîriement des
faits qui ont finalement conduit à la crise est aussi complexe que les
motifs qui ont poussé les deux communautés à s'entre-tuer.
Départager les faits des rumeurs est encore rendu plus malaisé par
l'intensité des passions déchainées parmi les acteurs (et aussi les
spectateurs) à la suite des atrocités commises de part et d'autre, par le
dosage d'objectivité et d'affabulation savamment distillé par les
communiqués officiels et enfin à cause de la répugnance des témoins
oculaires à rapporter ce qu'ils ont vu. Les données dont nous
disposons sont néanmoins suffisantes pour "faire le point" sur les
circonstances qui ont précédé le massacre, et par là même dissiper
préjugés et malentendus tant en ce qui concerne la structure sociale du
Burundi que les causes profondes de sa récente agonie.
Le contexte: Le pays et sa population
Situé dans la grande faille de l'Afrique Centrale, au coeur même du
continent, le Burundi a une superficie équivalante en gros à celle de la
Belgique (28.000 km2). Avec son voisin
du nord, le Rwanda, le Burundi revendique la plus forte densité de
population de l'Afrique (120 habitants au km2). Ses problèmes
économiques et sociaux trouvent leurs origines dans la pression
croissante exercée par l'augmentation de la population et la rareté des
ressources naturelles. Mis à part quelques petits gisements de
cassitérite, l'économie du pays dépend quasi exclusivement de
l'agriculture. La découverte récente dans le sud-est du pays
d'importants gisements de nickel pourrait changer du tout au tout la
carte économique d'ici quelques années: mais il faut bien avouer que
jusqu'à présent, rien n'a été entrepris pour utiliser ce nouveau
potentiel industriel. Le café vient en tète des exportations de produits
agricoles, représentant à peu près 80% des échanges commerciaux du
Burundi, soit 14 millions de dollars US annuellement; il faut y ajouter
quelques récoltes marginales de thé, de coton et de riz. La production
agricole n'est toutefois pas suffisante pour répondre aux besoins
toujours croissants de la population, et loin de produire le surplus
nécessaire pour assurer un essor économique rapide.
La rareté des ressources constitue une donnée essentielle du système
socio-politique contemporain, comme ce fut le cas durant la période
coloniale et même pré-coloniale, alors que le Burundi faisait par tie
d'une pleiade de royaumes traditionnels éparpillés à travers la région
des Grands Lacs. Bien plus nettement qu'auparavant, cependant, les
effets de la pénurie économique se définissent aujourd'hui dans un
contexte ethnique et régional. Il s'agit là d'une mutation
capitale. Pour
en saisir l'importance ouvrons une brève parenthèse pour exposer la
nature du système de stratification sociale propre au Burundi
traditionnel, l'un des plus complexes et des plus méconnus de tout le
continent.
Les écrits de l'époque coloniale nous présentent généralement la
société Rundi sous la forme d'une pyramide ethnique dans laquelles
les éleveurs de troupeaux, les Tutsi, représentant 14% de la
population, détenaient les leviers du pouvoir; ensuite venaient les
paysans Hutu qui formaient le gros de la population (85%), tandis
qu'à la base de cet édifice, on trouvait le pygmoides Twa, groupe
numériquement insignifiant (1%). On admettait que les caractères
physiques communément attribués à chaque ethnie, renforçaient
encore cette hiérarchie du pouvoir et des privilèges: proverbialement
grands et filiformes, les Tutsi étaient dépeints comme "possédant la
même indolence gracieuse de la démarche qui caractérise les peuples
d'Orient"(2).
Les Hutu, par contre, étaient "un peuple de taille
moyenne aux corps lourdaux et disgrâcieux, révélant l'habitude d'un
travail pénible et acharné, se courbant patiemment dans une servilité
abjecte devant les derniers arrivés, les Tutsi, devenus la race dominante" (3).
Quoique satisfaisante aux yeux de la plupart des observateurs
européens, cette image de la sociéte traditionnelle en défigure les traits
au point de la rendre méconnaissable. Car elle masque des lignes de
clivage importantes au sein de chaque ethnie, et exagère en même
temps les discontinuités socio-culturelles qui traditionnellement les
séparaient. Ces distorsions sont étroitement fiées entre
elles. Passer
sous silence les clivages intra-ethniques entraîne le risque de
sousestimer l'existence de liens inter-eihnique, et de réduire à une
parodie de la réalité les caractéristiques physiques et culturelles de
chaque groupe.
On doit d'abord souligner l'existence de deux catégories distinctes de
Tutsi, ceux de la "caste inférieure" ou Tutsi
Rem: Le contenu des notes figure aux pages 16
- 18
Les premiers seraient arrivés dans le pays, venant des régions frontalières de l'est, vers le 17 ou 18ème siècle, soit quelque deux ou trois cents ans plus tard que les Banyaruguru. il faut admettre cependant que jusqu'à présent aucune réponse définitive n'a pu être apportée à la question de savoir le quel des deux groupespourrait revendiquer le titre de "premier occupant". En revanche il est certain que les Hima étaient traditionnellement frappés d'interdits pour ce qui était de leurs relations avec les familles Tutsi-Banyaruguru les plus "cotées", et a fortiori avec la famille royale. Ils ne pouvaient garder leurs vaches ni leur fournir d'épouses.
L'attitude des Banyaruguru à leur égard était généralement teintée
de méfiance et de mépris. On les considérait en quelque sorte comme des parvenus, certes doués d'ingéniosité et de débrouillardise mais totalement dénués de
prestige social. Est-ce pour renverser cet ordre social que les Hima, à partir des années 60, se sont hissés au pouvoir aux dépens des Banyaruguru?Quoiqu'il
en soit les Hima occupent aujourd'hui une position dominante dans le système politique du Burundi. "Les
Hima" ' écrit le Père Rodegem, "semblent doués
pour le commandement et l'action directe ~ jugement largement confirmé par le profil des élites politiques aujourd'hui au
pouvoir. Un pourcentage appréciable
des élites détentrices de postes de commandement dans l'armée et l'administration sont recrutées parnù les Hima de la région de
Bururi. Le Président
Micombero est lui-même un Hima de Bururi. Les Banyaruguru, par contre, quoique représentés au sein du gouvernement sont virtuellement sans
pouvoir.
Ajoutons à cela les distinctions de prestige et de rang social qui jouent à l'intérieur de chaque
ethnie, Hutu, Tutsi et Twa, distinctions fondées sur la hiérarchie
des lignages (imiryango). Il existe une démarcation très nette entre les
"très bonnes" familles, les "bonnes" familles, celles qui ne sont
"ni bonnes ni mauvaises" et enfin les "mauvaises". Dans la seule souche
Tutsi-Banyaruguru, on ne compte pas moins de 43 types différents de
lignage, qui se décomposent
chacun en une hiérarchie sociale spécifique. De telle sorte que des affiliations fondées sur le lignage rectifient parfois la hiérarchie qui découle des divisions
ethniques. Il arrive que l'appartenance à des échelons sociaux différents à l'intérieur même de l'ethnie Tutsi soit plus perceptible et socialement plus
importante que les différences entre Tutsi et Hutu. Cette multiplicité de
"paliers sociaux" à l'intérieur de la même ethnie a été génératrice de multiples conflits
entre clans, familles et lignées.
Mais encore faut-il noter la fluidité
de cette hiérarchie sociale: l'appartenance à un imiryango n'est pas nécessairement fixée
une fois pour toutes, ni même dans certains cas l'appartenance à uni
ethnie. On se heurte parfois à beaucoup d'ambiguité lorsqu'il s'agit de définir de façon
précise l'appartenant d'un individu à un clan, une famille, voire une
ethnie. cas typique est celui du "clan" appelé Basapfu, Voici comment le Père Rodegem en
explique l'origine: Tutsi de statut hiérarchique élevé, ils descendent initialement des
Hima. Mais pour certaines raisons que tradition a omis de préciser, le
Roi, un jour, déci( qu'ils devaient tous être massacrés. Il confia cette
t,
au clan Abongera qui organisa proprement la razzia tous les troupeaux Abasapfu, pilla
leurs récoltes, ni le feu à leurs craals et massacra tout ce qui trouvait leur
chemin. Un des survivants était un petit garçor avait trouvé refuge derrière un écran
de roseaux (sai Après le départ des auteurs du raid, il fut découveri par un passant qui décida de le conduire au Roi Nu Ce dernier le garda à sa Cour sous sa
protection et pela Musapfu pour commémorer cette aventure.(5)
Que les Basapfu soient réellement d'origine Hima est une question qui reste à débattre; ce qui est beaucoup plus significatif du point de vue de cette
discussion est qu'a jourd'hui les Basapfu s'identifient et sont souvent iden comme n'étant ni des Hirna ni des
Banyaruguru. On le désigne purement et
simplement par le terme Basapfu, comme s'ils formaient un groupe distinct ethniquement
parlant. Ce caractère sui generis du groupe Sapfu, et ai le fait qu'ils
soient répartis un peu partout à travers le nous permet de mieux comprendre pourquoi certains élements Sapfu sont parvenus a se poser comme arbitres 1 de
conflits régionaux ou ethniques. Notons à ce propo malgré l'influence préponderante du groupe Hima de E dans l'armée et
l'administration, certains Basapfu
occu à l'heure actuelle des postes importants au sein du gouvernement(6).
Relevons enfin un dernier point: ni les Hutu ni les Tut ne jouissaient de prérogatives politiques importantes d le contexte de la société traditionnelle Rundi. Lorsqu' poste de commandement leur était confié par la Courc il s'agissait d'une concession et non d'un droit. Les véritables détenteurs du pouvoir étaient les princes du sang (ganwa). De par leur position sociale et politique privilégiée ceux-ci ont fini par être vus comme formant un groupe ethnique distinct, dont le pouvoir et le prestige dépassait beaucoup ceux des Hutu ou Tutsi. Les ganwa constituaient le noyau de l'élite politique traditionnelle. Malgré leur position privilègiée (peut-être en raison même de leurs privilèges) ceux-ci n'ont jamais fait preuve de cohésion. L'histoire précoloniale du Burundi est jalonnée de luttes intestines entre princes du sang, certaines entretenues des haines dynastiques, d'autres par des conflits de personnes, mais chacune visant en fin de compte à briser 1, pouvoir des uns pour mieux renforcer celui des autres. affrontements atteignent leur point culminant vers la moitié du l9 ème siècle lors des guerres que se livrèrent les fils roi (mwami) Mwezi Kisabo (1852-1908) et les descend de son prédécesseur, Ntare Rugaamba (1795-1852). La en place de l'appareil colonial aboutit rapidement à la j en veilleuse des vieilles querelles dynastiques entre les descendants de Mwezi (les Bezi) et de Ntare (les Batare niais sans toutefois les faire disparaitre. A la veille de l'indépendence, alors que s'amorce la montée d'une élite neu dynamique et en quelque sorte "accréditée" on assiste l'èlement à une résurgence spectaculaire des antagonisme princiers. Ainsi, même à cette époque relativement récente, le jeu politique ne s'exprimait pas en termes de conflits.
Dimensions du Conflit
Sous son aspect le plus aigu et le plus meurtrier le conflit HutuTutsi apparait comme le stade ultime d'une série d'affrontements
d'origines diverses s'échelonnant sur une période d'au moins 12 ans.
Ces affrontements recoupent pratiquement toute la gamme des
oppositions latentes contenues dans la société coutumière, mais ils
expriment aussi les multiples tensions engendrées par l'Etat
colonial. Sur une toile de fond traditionnelle se dessinent des formes
d'expression politique inédites (partis, syndicats, institutions
parlementaires), comme pour rechercher dans le passé la
justification des transformations à venir. De cette combinaison
d'élements fort disparates est né à la veille de l'indépendence un
régime complexe, hybride, dont les contours deviendront de plus en
plus flous.
L'introduction du vote en 1956, six ans avant l'indépendence,
marque le début d'une prise de conscience politique dont les effets
vont peu à peu se faire sentir à chaque échelon de la société. C'est
d'abord au niveau des familles princières que se déclenchent les
oppositions, mettant aux prises Batare et Bezi; puis viennent les
luttes entre monarchistes et républicains, à peine édulcorées par les
dissensions internes au sein de chaque groupe; c'est ensuite l'Armée
qui prend la relève des élites civiles pour battre en brèche la
monarchie et finalement l'abattre. Or malgré le crédit populaire dont
elle jouit auprès des générations montantes, l'Armée reste
impuissante devant la montée des antagonismes régionaux (nordsud) et ethniques (Hutu-Tutsi). Jusqu'au début des années 60 les
clivages de type traditionnel ont en quelque sorte joué le role de brise-lames, freinant la mobilisation des
ethnies, ou la canalisant au
profit de l'une ou l'autre des factions princières. Contrairement à ce
qui s'est passé au Rwanda en 1959-60, où rien n'entravait la montée
des antagonismes ethniques (et où l'administration belge laissait
délibérement le champ fibre aux têtes de file du mouvement Hutu),
au Burundi ces antagonismes ne pouvaient s'exprimer ouvertement
qu'en franchissant les frontières du champ politique traditionnel.
Jusqu'à sa chute, en 1965, la monarchie s'efforça de délimiter le
domaine du politique pour mieux se prémunir contre les attaques de
ses détracteurs; bloquer les relais d'élites tout en restreignant
l'amplitude de la contestation ethnique, tels sont, en gros, les
objectifs de la Cour.
S'il est vrai que la monarchie ait fixé entre ses mains les fruits de
l'indépendence sans pour autant apporter de solution durable au
conflit Hutu-Tutsi, il serait injuste de lui attribuer la responsabilité
première des "évènements" de 1972. Il serait encore plus aberrant,
répétons-le, d'y voir la prolongation du passé précolonial. Sans
doute est-il tentant de se référer aux observations d'Hans Meyer au
début de l'époque coloniale: "aussi longtemps que les Batussi [sic]
sont les maîtres de ce pays, tout progrès spirituel et culturel est
impossible pour le peuple du Barundi, car ce n'est qu'à la situation
inférieure présente des Bahutu, isolés du monde depuis des siècles,
que les Batutsi doivent leur domination".
9
L'argument manque de poids, confondant à la fois le politique, le social et l'économique;
ajoutons à cela qu'une distinction évidente s'impose entre un
potentiel de conflit et le conflit devenu réalité: celui-là était sans
doute inscrit dans le contexte de la société traditionnelle, mais pour
que ce potentiel devienne réalité il fallait qu'une nouvelle
"règle du jeu" se substitue à celle de la société coutumière et qu'en même
temps se pétrifient les rapports entre ethnies.
Il fallait, en bref, que la situation coloniale redéfinisse ces rapports
sur au moins deux plans, ethnique et social. En réduisant l'identité
des individus à une dimension essentiellement ethnique (au
détriment des dimensions sociales et culturelles) et en donnant une
valorisation sociale à l'appartenance ethnique, une nouvelle société
prend forme entre les mains du colonisateur; une société de caste
pratiquement calquée sur celle du Rwanda.
Notons à ce propos, et sous forme de parenthèse, l'influence
décisive de la révolution rwandaise (si tant est qu'on puisse
véritablement parier de "révolution") sur l'attitude des groupes
dirigeants Hutu et Tutsi du Burundi. La prise du pouvoir par les
élites Hutu du Rwanda a eu pour effet de susciter les mêmes
espoirs chez leurs "frères de race" du Burundi, et chez les Tutsi la
crainte de se voir balayer par une tourmente révolutionnaire à la
rwandaise. D'où ce
durcissement des attitudes de part et d'autre, les uns s'estimant lèsés, les autres menacés. En un sens c'est à travers une sorte de
"prophétie
autoréalisante'(10) que se développe la dynamique du conflit Hutu-Tutsi à partir de 1960.
Que le Rwanda ait servi de modèle pour certains - et de repoussoir pour d'autres - se comprend d'autant mieux lorsqu'on songe que le colonisateur belge avait
déjà modelé la société du Burundi à l'image de celle du Rwanda. Bien avant que les dirigeants Hutu du Burundi ne cherchent à émuler les objectifs du "menu
peuple" rwandais le Rwanda était devenu une sorte de territoire-modele pour les Résidents du Burundi. N'était-il pas plus simple et plus efficace du point de
vue de l'administration de considérer le Burundi comme composé d'une aristocracie Tutsi et d'une masse paysanne Hutu, et de faire reposer l'appareil
administratif sur l'hégémonie présumée de la minorité Tutsi? Relativement peu d'efforts furent faits pour donner aux éléments Hutu de véritables chances de
réussite sociale, et pratiquement rien pour leur faciliter un apprentissage
politique. Les registres d'inscription de l'Ecole des Frères de la Charité
(rnieux
connue sous le nom de "Groupe Scolaire d'Astrida") montrent une nette prédominance de Tutsi par rapport aux Hutu, disproportion encore plus flagrante
évidemment dans le cas du Rwanda, ainsi que le révèle le tableau suiv
ant:
Les résultats de cette politique é taient prévisibles: à la % de l'indépendence tout au plus une poignée d'éléments pouvaient se réclamer du nom d'élite au sens
moderne d terme. Conscients du fait que la puissance administrante n'avait laissé se constituer parmi eux qu'une faible mino d'hommes de mérite
reconnu, ils
n'étaient que trop imp tients pour traduire dans les faits leurs aspirations égalitaires Pour cette même raison les tentatives de nivellement so amorcées par les
éléments Hutu allaient inévitablement susciter la méfiance du groupe Tutsi. L'extension du droit de vote sur la base du suffrage universel ne pouvait que
renforcer la suspicion de la minorité Tutsi: si l'égalité so était synonyme de déchéance pour cette minorité, la loi du nombre ne pouvait en fin de compte que
hâter sa dégringolade.
Même dans son sens le plus restrictif (impliquant une re sentation égale des intérêts ethniques dans les instances gouvernementales et
administratives),
l'égalité ne devin jamais une réalité acquise dans la politique du Burundi Un simple coup d'oeil sur la répartition ethniques dans emplois de l'administration
civile en 1965 révèle l'étend de la domination Tutsi dans les hautes sphères du pouvoir.
Nous ne disposons pas des chiffres d'inscriptions pour les années 50-52. Les chiffres ci-dessus sont emprintés au registre d'inscriptions du Groupe Scolaire
d'Astrida.
On arrive à la même conclusion à la lecture de la répartition ethnique des sièges au Conseil Supérieur du Pays
(CSP) et aux Conseils de Territoire (CT), au
niveau du pays et des territoires. L'étude d'Aloys Munyangaju ("L'Actualité Politique du
Rwanda-Urundi", Bruxelles 1959) en
fournit la preuve:
A partir de 1966 la relève des élites princièrespar dejeunesTutsi
d'obédience républicaine confirme l'impuissance du groupe Hutu. Les tentatives de coups d'état montées contre le
gouvernement s'avèrent toutes infructueuses. Incapables de se frayer une voie par la force, encore moins par la
politique, les élites Hutu restent néanmoins sensibles aux poussées de leurs
adversaires, d'autant plus que ceux-ci
sont profondément divisés. A partir de 1970 la scène politique du Burundi apparait grouillante
d'instigations, de
manoeuvres et d'initiatives à partir des quelles s'amorcent des opérations de revanche ou de récupération. Avant
d'entrer dans les details de cette situation, il convenient de rappeler brièvement les étapes de la
crise.
Le terme "secrétariat" se rapporte aux secteurs du gouvemement qui, en 1963, ont été placés directement sous la
juridiction de la Couronne.
On peut dégager au moins quatre phases dans l'histoire récente du Burundi, chacune d'elles correspondant à une
disposition différente de l'échiquier politique.
Phase 1 (1957-1961):
Bezi contre Batare - Les années précédant l'indépendance ( 1962) se signalent par le
continuation des rivalités précoloniales sous le couvert de partis politiques à consonance
moderne. Les deux
protagonistes principaux sont "Le Parti de l'Unité et du Progrès National
(UPRONA)- et "Le Parti Démocrate
Chrétien (PDC)", chacun dominé par un groupe distinct, le premier par la
"famille" des Bezi, le second par la "famille" des Batare. Sous la conduite du fils aîné du Mwami
Mwambutsa, le Prince Rwagasore, I'UPRONA
s'affirme rapidement comme le plus dynamique, emportant une victoire décisive aux élections de septembre 1961.
Disposant de 58 sièges sur un total de 64 à l'Assemblée
Nationale, Rwagasore pouvait normalement s'attendre à être
élu chef du gouvernement après l'indépendance. Le sort en décida
autrement. Son assassinat, en octobre 1961, par
un tueur à la solde des dirigeants du PDC, met une fin brutale à sa carrière
politique.
L'événement devait peser de façon décisive sur les destinées du
royaume. Privé de son chef l'UPRONA se trouve tout à coup en proie à
de graves dissensions; quant aux dirigeants du PDC ceux-ci sont publiquement exécutés à Gitega le 14 janvier 1962. L'embryon de
partis politiques né à la veille de l'indépendance disparait donc avant même que ceux-ci aient pu jouer le role qui leur avait été dévolu.
Devant ce vide politique la Cour n'hésite pas à récupérer le pouvoir à son profit.
Phase Il (1961-1965):
La Couronne contre le Parti
- La période qui suit la mort de Rwaagasore verra le pouvoir de la Cour se
constituer contre l'UPRONA, tandis que certains de ses dirigeants (comme l'ex-Premier Ministre André
Muhirwa) cherchent en elle un
protecteur à qui s'accrocher. Autant que par l'intervention du Palais, l'UPRONA se trouve également paralysé par les luttes intestines
qui y sévissent, et qui dans la plupart des cas opposent les cadres Hutu aux cadres Tutsi. Des tensions parallèles se font jour au sein
du gouvernement et de l'administration, donnant ainsi a la Couronne l'occasion de parachever son entreprise de récupération. L'issue des
élections législatives de 1965 en donnent la preuve: malgré la victoire incontestable du parti Hutu qui remporte 23 sièges sur 31 à
l'Assemblée Nationale, la manière dont sont nommés les membres du gouvernement confirme ce que certains soupçonnaient déjà, à
savoir què l'Assemblée Nationale était devenue un
parlement-croupion. La Cour reste toute-puissante. La nomination d'un célèbre
ganwa
ou poste de premier ministre (Léopold Biha) le 13 septembre 1965 confirme l'intention de Mwambutsa de refuser "de souscrire
à un subterfuge de langage qui (le) priverait de tout contrôle, de toute autorité et de toute possibilité d'étendre (à son
peuple) le bénéfice
de (sa) protection"."
Phase Il 1 (1965-1966):
La Couronne contre l'Armée - La
période suivante s'ouvre - et se termine - par un coup d'état. Le premier,
le 18 octobre 1965, a toutes les apparences d'un coup manqué. Déclenchée par une mutinerie de certains officiers Hutu de l'Armée et de
la Gendarmerie, cette première tentative se termine en effet par un échec. Mais ses conséquences politiques sont loin d'être
insignîfiantes: Le premier ministre, Biha, attaqué à son domicile par les
mutins, est laissé pour mort; et tandis que pratiquement chaque
dirigeant Hutu de quelque valeur est apprehendé (puis exécuté), le
Mwami, cédant à la panique, cherche réfuge au Zaire avant de choisir
l'exil en Europe. Mwambutsa, cependant, refuse d'abdiquer en faveur de son fils. On assiste alors à une situation
ubuesque: un royaume
sans roi, un gouvernement sans pren-der ministre, et une administration en état de déliquescence! En fait les véritables détenteurs de
l'autorité appartiennent à un groupe assez disparate composé de
fonctionnaires, de militaires et de "Jeunesses"
12
la plupart
d'origine Tutsi ou Hima. Tout en expédiant les affaires courantes, leur attention se porte naturellement sur le prâlème de la
succession. C'est finalement le Prince Charles Ndizeye, fils cadet de Mwambutsa, qui sera choisi pour succéder à son père sous le nom
dynastique de Ntare Les paroles prononcées par Ntare peu de temps avant son
intronisation, en particulier qu'en vue "de mettre fin a
quatre années de chaos et d'anarchie (il) avait décidé de prendre en mains les destinées du
royaume" ~ traduisent mal la réalité de la situation. Car Charles est l'instrument choisi par les
"Jeunes Turcs" pour stabiliser leur propre situation, et non le contraire. Lorsque le capitaine Micombero est formellement investi des fonctions
de premier ministre par le souverain, ceux-ci savent à quoi s'en tenir: c'est Ntare qui est l'obligé et le tributaire de
Micombero, et
non l'inverse. Mais Ntare refuse à tout prix de voir rec son pouvoir personel - aussi son règne fut-il de courte durée
...
Le 28 novembre
1966, alors qu'il se trouvaii Kinshasa, Ntaré apprit à la radio que l'Armée l'avait
dE
tué et instauré la République par un coup semblable
à celui qui l'avait, quelques mois auparavant, hissé au po Ainsi se termina le dernier et le plus court des règnes ici registrés dans les
annales du royapme.
Phase IV (1966-1972):
La voie de la violence
- Même coup du 28 novembre semble bieen avoir été préparé pa éléments
Hirna, ai
l'Armée ni l'Adrrùnistration ne furer transformés du jour au lendemain en institutions exclu ment dominées par des
Hima. Le nouveau
gouvernemet formé par Micomberci, le 12 décembre 1966 confia cinq treize postes ministériels à des Hutu, les huit sièges rest; étant
partagés d'une manière presqu'égale entre Tutsi-H et Tutsi-Banyaruguru. Et bien que la présidence de la R publique fût assurée par
Micombero, il n'y avait que de officiers parmi les ministres. Us affiliations régionales é ent également diversifiées, encore qu'au moins
quatre & titulaires provenaient de la province de Bururi.
Les liens régionaux devaient cependant jouer un rôle de en plus important dans le processus de recrutement des élites civiles et
militaires. A tel point qu'au début de 19» le partage des responsabilités gouvernementales est souv défini en termes régionaux: on parle
de plus en plus des &4gens du sud" et des "gens du nord", des
"Banyabururi' des 4'Banyaruguru". Il convient de noter a ce propos qui
contrairement à l'appellation "Banyaruguru" le terme "Banyabururi" recouvre des solidarités purement région Les 4'Banyabururi" sont
tout simplement les gens de la province de Bururi, quelque soit leurs origines ethniques Prétendre, comme le font
certains, que le
Banyabururi si par définition Hima est un non-sens, en tout cas une con trevérité. Ce qu'il faut souligner c'est l'émergence d'une prise de
conscience régionaliste au sein des élites non-Hu originaires de
Bururi. Cette prise de conscience est à la source du conflit qui allait
bientôt opposer les gens de Bu ruri (Tutsi, Hirna et Sapfu) aux Banyaruguru originaires des autres provinces.
La région n'a cependant jamais supplanté de façon perm; nente le clan, le
lignage ou l'ethnie comme source de solidarités.
Tout au cours de la période qui a précédé la c nous assistons à
une sorte de va-et-vient de solidarités. Cc revirements forment la
toile de fond sur laquelle s'inscril le jeu des cliques et des factions. Pour s'accrocher au
pou voir Micombero et ses conseillers doivent constamment manoeuvrer à la lisière de l'ethnie, de la région et du clan.
Deux types de conflits surgissent au cours de cette période: un conflit de clan et de région au sein du groupe Tutsi,
et un conflit
ethnique opposant les Tutsi aux Hutu. Jusqu'a moment où la crise éclate le
champ où s'inscrivent les manoeuvres politiques
s'organise autour de pôles multiples - autour de la région, de l'ethnie et du clan - mais sans toutefois produire un
écartelement des forces relevant de chacun de ces pôles.
Lorsque, pour une raison ou pour ur autre, s'accentuent les clivages
régionaux, les différences ethniques s'amoindrissent; au contraire lorsque celles-ci
s'affirment, ceux-là s'estompent.
Dans cet environnement remarquablement complexe et fluide, surgit un groupe de politiciens Tutsi
dont l'action devait avoir un
impact décisif sur les destinées du pays. Constitué d'une simple poignée d'individus
(surtout d'ori gine Basapfu), ses chefs
les plus en vue ont pour noms Albert Shibura, Arthémon Simbananiyé et André Yanda.
Au début 1971, ils contrôlent plusieurs postes clés du
gouvernement et de l'Armée, le premier comme ministre
de l'Intérieur et de la Justice (en même temps qu'il
détenait le grade le plus élevé de l'Armée du Burundi); le
second comme ministre des Affaires Etrangères, de la
Coopération et du Plan; le troisième comme ministre de
l'Information et Secrétaire Général de l'UPRONA. Tous
les trois sont originaires de Bururi; en tant que Basapfu ils
peuvent à la rigueur se réclamer de liens lointains avec les Hima; enfin tout les autorise à s'identifier avec le groupe
Tutsi au sens large - leur origine, leur apparence physique,
leur méfiance presque congénitale des Hutu. Ils se situent
sur une frange d'interférences culturelles qui leur permet
de redéfinir leurs allégeances en fonction de la conjoncture
du moment.
Leur ascension est d'autant plus remarquable que moins
d'un an avant l'arrivée au pouvoir de Micombero les
Basapfu avaient été pratiquement tous écartés du gouvernement. Après plusieurs essais infructueux visant à
utiliser le Parti et les Jeunesses contre l'Armée (condamnés
par Micombero comme "de folles tentatives émanant d'un
petit groupe de personnalités irresponsables"" les têtes de
file du "clan" Sapfu tentent de rallier l'Armée à leur cause.
Leur objectif est ni plus ni moins de transformer l'Armée
en tribunal de dernière instance destiné à arbitrer les
querelles d'ethnie et de région. Mais pour mener à bien
cette entreprise l'Armée devait au préalable être "purgée"
de ses éléments "déviationistes", autrement dit d'éléments
Hutu. Déjà en 1966 lors de l'incorporation des nouvelles
recrues l'indice de Pignet avait été porté de 30 a 40 de
manière a avantager les Tutsi. La taille minimum était portée a 1,70 m. A la même époque des instructions précises
avaient été données pour exclure tout Européen des Commissions de
Recrutement. En juillet 1968, huit officiers
belges de l'Assistance Technique furent remerciés de leurs
services sous le prétexte d'ingérence dans les procédures
4'normales" du recrutement. Des accusations montées de
toutes pièces contre les élements Hutu de l'Armée justifièrent par après les purges énergiques qui y furent pratiquées.
La découvert d'un complot Hutu dans la nuit du 16 au 17
septembre 1969 fut le prétexte invoqué pour "résoudre" le
problème Hutu. Après l'arrestation de quelque trente personnalités Hutu, la plupart officiers ou
fonctionnaires, vint
l'emprisonnement (suivi de l'exécution) de dizaines de
soldats Hutu. Parmi les personnes arrêtées et par la suite
exécutées figuraient Charles Karolero, sous-lieutenant
membre de l'Etat-Major Général; Barnabé Kanyaruguru,
ministre du Plan et de l'Economie; Jean-Chrysostome
Mbandabonya (exécuté en 1972), ancien ministre des
Affaires Sociales dans le pren-ùer gouvernement de Micombero; Cyprien
Henehene, ancien ministre de la Santé (qui
aurait succombé au cours de l'interrogatoire); et Joseph Cimpaye, directeur de la Sabena à Bujumbura
(exécuté en
1972). Tous furent accusés de complot contre la sûreté
de l'Etat. Le 18 décembre, vingt des détenus furent condamnés à mort et exécutés deux jours plus
tard. Certains
affirment que plus de cent exécutions eurent heu en
décembre. Malgré la présence de quelques rares Hutu au
gouvernement, la tendance vers la suprématie Tutsi est
indéniable: sept des douze cabinets ministériels, dont celui
des Affaires Etrangères, de la Défense et de la Sûreté ainsi
que celui de l'Intérieur étaient occupés par des personnalités d'origine Tutsi. Six des huit gouverneurs de province
appartenaient également à cette ethnie. Restait à savoir
se cette tendance devait aboutir à une suprématie Banyabururi ou
Banyaruguru.
En 1971, la clique Sapfu avait pris suffisamment d'ascendance sur Micombero pour lui faire croire à une menace
Banyaruguru. Forts de l'appui du Chef d'Etat-Major de
l'Armée du Burundi, Thomas Ndabemeye, ils accusent de
conspiration un certain nombre de personnalités et mifitaires d'origine
Banyaruguru, parmi les-quelles trois anciens
ministres des Affaires Etrangères, Lazare Ntawurishira,
Libère Ndabakwaje et Marc Manirakiza. Tous trois sont
arrêtes, jugés et condamnés à mort. Le scénario adopté en
1969 pour éliminer le noyau de l'opposition Hutu se répète
maintenant pour éliminer les Banyaruguru de tout poste
influent. Une fois de plus, le procès se transforme en parodie de justice. Le 14 janvier 1972, le tribunal ritilitaire
prononce neuf peines de mort et sept condamnations à vie.
A la lecture du verdict, le Procureur Général, Nduwayo,
quoique lui-même d'origine Basupfu, décide de remettre sa
démission. Cependant, le 4 février, sous la pression de
l'opinion publique nationale et internationale, les peines
de mort sont commuées en emprisonnement à vie, et cinq
des accusés, condamnés précédemment à des peines de
prison, sont relaxés. Entretemps, le 20 octobre 1971,
devant une situation de plus en plus tendue au sein de son
propre gouvernement, Micombero met en place un "Conseil
Suprême de la Révolution" (CSR) corps consultatif composé de 27 officiers de lArmée.
Tout en mettant en lumière les graves tensions survenues
entre Banyabururi et Banyaruguru, ce scénario eut comme
conséquence immédiates de créer dans le pays une atmosphère de crainte
obsidionelle. Les débats connurent une
large diffusion; la radio et la presse rapportèrent mot à mot
les plaidoyers de la défense et de l'accusation. L'opinion
publique n'avait jamais été mise en prise aussi directe avec
l' "évènement". Les conséquences ne tardèrent pas à se
faire sentir sur les collines. Des factions et groupuscules
rivaux surgirent du jour au lendemain dans bon nombre de
localités. C'est dans ce climat hypertendu, saturé d'appréhensions et de tensions de toutes sortes que le 29 avril
1972, Micombero décide soudainement de destituer tous
les membres de son cabinet. Quelques heures après, la rébellion éclate, pour faire place aussitôt à une répression sans
merci.
L'anatomie de la violence
Les pren-ùer coups furent portés entre 20 et 2 1 heures le
29 avril, et presque simultanément à Bujumbura et dans les
provinces méridionales de Rumonge, Nyanza-Lac et Bururi.
Dans ces provinces les assaillants Hutu sont appuyés par des
groupes auxiliaires de "Mulélistes" organisés en bandes
de 10 à 30 hommes; dans la seule province de Bururi les "Mulélistes", se chiffrent à environ 1.000 ou 1.500
individus.
Notons à ce propos qu'au moment ou se déclenche l'insurrection environ 25.000 réfugiés
Zairois, la plupart d'origine Babembe", s'étaient établis dans le sud du pays. Bien que
culturellement distincts des populations Hutu du Burundi
ils n'en partageaint pas moins leurs griefs contre le "lobby"
de Bururi; on comprend d'autant mieux leur réceptivité aux
incitations du mouvement rebelle. que tout comme les
Hutu, les Babembe avaient été parmi les premières victimes
de la "tribalisation" du pouvoir au Kivu et au nord-Katanga
dans les années 60-63. Comme les Hutu ils appartenaient a
une ethnie d' "exclus". Ceci dit il semble que le fer de
lance de la rébellion ait été constitué d'éléments opérant à
partir de le Tanzanie, à proximité de la frontière du Burundi.
54
Les attaques sont menées avec un brutalité sanguinaire:
équipés d'armes automatiques, de machetes et de lances, les
assaillants massacrent ou mutilent systématiquement tous
les Tutsi qu'ils rencontrent, femmes, hommes et enfants.
Les Hutu qui refusent de participer aux tueries sont euxmême massacrés
(conformément à ce que prescrit la tradition à l'égard des hommes de main récalcitrants). On estime
à 10.000 le nombre des rebelles, tant Hutu que Muléhstes",
qui prirent part à l'insurrection. Ils se rendent rapidement
maîtres des chefs-lieux de province de Nyanza-Lac et de Rurnonge; si l'on en croit la version
officielle, ils proclament
une "République Populaire" dans la région de Bururi et s'y
maintiennent pendant deux semaines avant d'être mis en
déroute. Parmi les victimes du massacre, à Bururi, figurent
le beau-frère du Président Micombero, le gouverneur de
Bururi et environ une quarantaine de fonctionnaires provinciaux. Entretemps à Bujumbura une trentaine de rebelles
s'attaquent simultanément à la station de radio et au camp
militaire. Ils sont immédiatement repoussés. Dans sa phase
initiale la rébellion a couté la vie à au moins 2.000
personnes; les pertes les plus lourdes sont enregistrées dans la
province de Bururi.
Par certains cotés la rébellion rappelle de façon frappante
celle qui sévit dans l'est du Zaire en 1964. Au Burundi
comme au Zaire c'est par l'usage des stupéfiants et de la magie que les rebelles cherchent l'assurance de leur invincibilité; dans un cas comme dans l'autre les attaques sont
menées de façon désordonnée, et s'accompagnent de cruautés
gratuites; ajoutons que tout comme au Zaire (et peutêtre davantage encore) le processus de la rébellion se déroule
dans un cadre organisationnel extrêmement rudimentaire.
A la manière des
simbas
du Zaire les rebelles ont recours au
chanvre et au rituel d'immunisation magique, croyant ainsi
se rendre invulnérables; selon le témoignage d'un journaliste,
certains des insurgés "portaient sur la tête err guise de
casque des espèces de casseroles blanches enduites de sang,
le corps tatoué de signes magiques pour se rendre invulnérables"". S'il faut en croire
Micombero, "les médecinsféticheurs jouerent un rôle important ... à tel point que
pour prouver leur efficacité les instructeurs Mulélistes
n'hésitaient pas à tirer à blanc sur leurs compagnons, puis à
balles réelles sur un chat ou un chien"19. Quoiqu'il en soit
retenons ici que c'est surtout gràce à la réceptivité du milieu
ambient que la rébellion doit son succès initial et non a la
solidité de son appareil insurrectionnel ou son idéologie.
Contrairement à ce que nous venons de décrire la vengeance
répressive qui s'abat sur le pays se déroule de façon plus
systématique, plus efficace aussi si l'on en juge par ses
effets destructeurs. Les contre-attaques débutent le 30 avril.
C'est alors que l'Armée et les Jeunesses coordonnent leur
action pour exterminer pratiquement tout individu soupçonné d'avoir pris part à
l'insurrection. La loi martiale est
mise en vigueur dans tout le pays; un couvre-feu est instauré. Entre temps Micornbero prend contact avec les autorités àu Zaire pour obtenir une couverture aérienne et des
renforts de troupes. Ceux-ci arrivent à Bujumbura le 3 mai.
Les paracommandos Zairois ayant pris en charge la défense
de l'aéroport l'Armée du Burundi entreprend alors le "nettoyage" des provinces. Parler de
"répression" pour
décrire le massacre hideux qui s'ensuivit serait un euphémisme. Selon Marvine Howe, du New York
Times,
ce sont
les brigades de Jeunesses Révolutionnaires Rwagasore qui
prennent l'initiative des arrestations et tueries arbitraires.
Il faut ajouter à cela les règlements de compte personnels,
les individus dénoncés comme rebelles en raison de bisbilles
au sujet d'un lopin de terre ou d'une vache2o. A Bururi, cependant, l'Armée s'en prend indistinctement à tous les
Hutu. A Bujumbura, Gitega et Ngozi tous les "cadres (entendons par la non seulement les fonctionnaires p
ciaux mais les chauffeurs, clercs, plantons et ouvriers semi-specialisés) sont systématiquement arrêtés au cc
rafles, jetés en prison pour y être soit fusillés soit bat
mort à coups de crosse ou de gourdin. Rien qu'à BujL
on estime à 4,000 le nombre de Hutu chargés sur des
camions et menés comme du bétail à la fosse commui
Au dire d'un témoin Tutsi, "tous les Hutu au dessus c
secondaire ont été embarqués" 21 ;on pourrait en ajou
beaucoup d'autres au dessous de ce niveau.
Certaines des scènes les plus horribles ont pour théatre
l'Université Officielle de Bujumbura ainsi que les écoles
techniques et secondaires. Des dizaines d'étudiants Hutu
sont littéralement assaillis par leurs "condisciples" tués
et battus à mort. Pendant ce temps, des groupes de mouvement de Jeunesses pénètrent à l'improviste dans les classe
appellent les élèves Hutu par leurs noms et les sommes
les suivre. Bien peu prendront le chemin du retour. A l'Uni
versité Officielle, un tiers des étudiants soit environ 12
disparaissent de cette façon. L'Ecole Normale de Ngag
près de Bujumbura, perdit ainsi plus de 100 étudiants ~
un total de 314, sur les 415 étudiants inscrits à l'Ecole
Technique de Kamenge-Bujumbura, on estime à 60 le
chiffre des élèves massacrés, et à 110 ceux qui prirent
la fuite; à l'Athénée (école secondaire) de Bujumbura, su
700 élèves, au moins 300 disparurent, certains étant tu
d'autres ayant fui le massacre; à l'Athénée de Gitega,
40 étudiants furent tués, portant le nombre de disparu
148; à l'institut Technique Agricole, également à Gitega
40 des 79 étudiants sont portés manquants, et 26 parmi
eux ont été exécutés. L'Ecole Normale Supé
rieure et l'Ecole Nationale d'Administration subirent de lourdes pertes. Ces coupes sombres atteignent
également les écoles confessionnelles, tant catholiques que
protestantes. Ce ne sont pas seulement les élites Hutu
proprement dites, mais tout ce qui chez les Hutu représen
tait une élite en puissance, qui furent éliminés (voir Appendice 11).
Pas même l'Eglise ne fut épargnée. Suivant le témoignage
de Marvine Howe "12 prêtres Hutu auraient été tués et
milliers de pasteurs protestants, de directeurs d'écoles et
d'instituteurs. A l'hôpital de Bujumbura, 6 docteurs et
infirmières furent arrêtés et probablement mis à
mort".
L'appartenance à une Eglise ou à une autre n'a pourtant
rien à voir avec les pertes de leurs effectifs. Aucun secte
ne jouit d'une immunité contre les massacres. La répression prit ainsi l'allure de génocide sélectif destiné à
supprimer toutes les couches instruites ou semi instruite
de l'ethnie Hutu.
Quelle explication donner à une violence aussi démesuré
Avant de tenter de répondre à cette question, plusieurs remarques
s'imposent. Notons en premier heu que les vii
times de la répression ne furent pas exclusivement d'orig
Hutu. Même si les Tutsi ne représentent qu'un infime
pourcentage du chiffre des victimes, le fait que des Tutsi aient été massacrés par des membres de la même ethnie
mérite d'être souligné. S'agit-il de réfugiés
rwandais? On peut
y voir la preuve d'un règlement de comptes entre Hima e Banyaruguru? Nous y reviendrons ultérieurement.
Relevé
cependant qu'une centaine de Tutsi furent exécutés à
Gitega dans la nuit du 6 mai. Au cours de la journée,
que le rapporte Jeremy Greenland, "des conseils de gueri
siégèrent dans les chefs-lieux de province et les condamnés
furent exécutés le même soir. Un chauffeur congolais,
travaillant au Burundi au service d'une firme italienne, eu l'ordre de creuser cette nuit-là deux grandes fosses à l'ex
térieur de Gitega. Il y entassa 100 cadavres fraîchement
abattus et jure que les victimes étaient principalement des
Tutsi". Comme l'ajoute Greenland il s'agit là d'un témoignage capital pour qui veut mettre en évidence que des
Tutsi aient bel et bien été exécutés au cours de la répression.
55
56
On assiste à une sorte de violence "prophylactique", vis;
non seulement à décapiter la rébellion mais pratiquemer
toute la société Hutu. Ainsi s'ébauche, à coups de bayor
nettes, un nouvel ordre social.
C'est en effet une société d'un type entièrement nouveai qui est née de cette ablation chirurgicale des meilleurs d~ ses membres. Une société où seuls les Tutsi sont quatifW pour accéder au pouvoir, à l'influence et à la richesse.
L'ethnie Hutu, c'est à dire ce qu'il en reste, est à présent systématiquement exclue de l'Armée, de la fonction pub fique, et pour ainsi dire de l'Université et de l'enseignerm secondaire. Les quatre Hutu à présent investis de fonctio ministérielles n'ont aucune autorité, leur fonction essentielle étant de masquer le fait de la domination Tutsi. Le: fonctions auparavant réservées aux Hutu sont maintenan le privilège des Tutsi, comme le sont pratiquement tous 1 postes importants du secteur économique moderne. (La réimposition de taxes d'école en septembre 1973 a eu comme effet une nouvelle réduction du nombre des orpb. Uns et autres enfants Hutu admis dans les écoles primaire et secondaires. Comme le disait un missionaire: "Ayant réglé le sort des pères, ce sont maintenant les fils de l'éfitt qui sort exclus de l'instruction".) Etre Hutu c'est appart nir à une catégorie humaine inférieure.
Plusieurs lecteurs, témoins
des troubles au Burundi, nous adressent des précisions sur les massacres qui,
selon le premier ministre belge. M. Gaston Eyskens. ont pris les proportions
d'un " véritable génocide " ("le Monde" du 26
mai)... Depuis une semaine, la répression qui fait suite à la rébellion du 29
avril s'est considérablement aggravée. Elle prend l'allure d'une élimination
systématique des intellectuels hutus, et, en général, de tous ceux qui savent
quelque chose ou possèdent quelque bien. Dans la capitale, les arrestations et
les exécutions sommaires se poursuivent. Excités par la Voix de la Révolution,
qui encourage « les forces vives de la nation à débusquer les ennemis du
peuple »,les Tutsis, surtout
les membres du parti Uprona, dénoncent tous les Hutus qu'ils connaissent,
collègues de travail, subordonnés, supérieurs, voisins, condisciples...
Quarante-cinq noms figuraient sur la liste des arrestations, mais une vingtaine
d'élèves en fuite n'ont pas répondu à l'appel.
UN JOURNALISTE BELGE
CONFIRME QU'UN VERITABLE GENOCIDE A LIEU ACTUELLEMENT AU BURUNDI
Le journaliste a affirmé que
des camions ont transporté de nombreux corps qui ont été inhumés près de
Bujumbura. Même des étudiants de 15 ans auraient été exécutés, selon lui. A l'issue du Conseil de cabinet
de vendredi dernier, on s'en souvient, le Premier ministre, M. Eyskens, avait
déclaré que la situation au Burundi était particulièrement alarmante et
qu'on était, en réalité, confronté à un gigantesque génocide.
Les témoignages se multiplient /La population Hutu du Burundi
est l'objet d'une liquidation systématique /Il
y aurait entre cinquante et
cent cinquante mille morts
Cependant, les témoins
rapportent que la répression contre les Hutus a dépassé en horreur cette révolte.
On cite les cas de petits élèves hutus qu'on irait chercher dans les écoles
pour les tuer. Des centaines de personnes seraient soumises à des séances de
matraquages par des membres des Jeunesses
révolutionnaires. Les blessés
seraient laissés sur place jusqu'à ce que mort s'ensuive. A Bujumbura,
l'armée s'ést emparée d'étudiants hutus et les ai mis à mort dans les
camions qui les emportaient, parfois à l'arme blanche. Des professeurs hutus
ont également été massacrés. Cette répression systématique ne viserait pas
seulement les élites, mais également les éléments hutus qui, au niveau du
primaire et du secondaire, en étaient au stade de l'alphabétisation.
Une des premières photos des massacres du
Burundi:
ce camion rempli de cadavres.
(Source: La Libre Belgique,29-05-1972)
La répression contre les Hutus'est déchaînée le 7 mai après un appel lancé
à la radio (Source: La Libre Belgiques,29-05-1972)
Les événements
qui se sont déroulés et se dérouleraient encore au Burundi, apparaissent
d'une extrême gravité. En dépit du black-out systématique imposé par les
autorités, on commence à avoir des détails - grâce aux témoignages d'Européens
qui ont quitté le pays récemment - sur
le véritable génocide que l'armée, la police, les militaires du parti unique
et la « jeunesse révolutionnaire » ont entrepris à l'encontre des Hutu.
La répression contre les Hutu
Un appel à la radio
: Le dimanche 7 mai, au matin la radio a annoncé que les tribunaux
militaires, ayant siégé le samedi, avaient prononcé plusieurs condamnations
à mort sans en préciser le nombre et que les jugements avaient été aussitôt
exécutés. Mais la radio a demandé aussi aux militants du parti unique,
l'UPRONA, et à la "jeunesse révolutionnaire RWAGASORI" de demeurer
vigilants, d'arrêter tous les suspects, au besoin de les désarmer et de les
livrer aux autorités militaires...Le dimanche matin, aussitôt après l'appel
lancé par la radio, la jeunesse révolutionnaire et les militants du parti ont
procédé à des arrestations dès la sortie de la messe dans plusieurs localités.
lis ont également arrêté, dans les hôpitaux, des infirmières, et des médecins
africains. L'un d'eux a été battu à mort. Lorsque sa femme, mère de huit
enfants, est venue proposer un matelas pour son mari, les gardes lui ont dit
qu'il n'en avait plus besoin.
TÉMOIGNAGES
: L'extermination d'une ethnie (Le Monde, 01/06/1972)
L'E.N.S. (2) a perdu soixante élèves
(tous Hutu), l'U.O.B. (3) cent étudiants (tous Hutu). Le massacre continue. Par
camions entiers on charroie, nuit et jour, des cadavres. On arrête tous les «
suspects». On les oblige à se dévêtir. On les fait coucher à plat ventre,
les mains derrière la nuque. On les cogne à coups de crosse, de bâton, de
pierres. On les torture. Puis on les transperce à la baïonnette. Les
bulldozers font le reste.Sans parler des innombrables règlements de comptes ! Dans
les écoles, les élèves tutsi assassinent leurs camarades à coups de pierres,
de machette, de bâton...La J.R.R., constituée en groupes d'autodéfense, «ratisse»
les collines, tue les gens, incendie les fermes.
TÉMOIGNAGES SUR UN GÉNOCIDE (Le Monde)
Plusieurs
lecteurs, témoins des troubles au Burundi, nous adressent des précisions sur
les massacres qui, selon le premier ministre belge. M. Gaston Eyskens. ont pris
les proportions d'un " véritable génocide " ("le Monde"
du 26 mai)... Depuis une semaine, la
répression qui fait suite à la rébellion du 29 avril s'est
considérablement aggravée. Elle prend l'allure d'une élimination
systématique des intellectuels hutus, et, en général, de tous ceux
qui savent quelque chose ou possèdent quelque bien. Dans la capitale,
les arrestations et les exécutions sommaires se poursuivent. Excités
par la Voix de la Révolution, qui encourage «
les forces vives de la nation à débusquer les ennemis du peuple »,les
Tutsis, surtout les membres du parti Uprona, dénoncent tous les Hutus
qu'ils connaissent, collègues de travail, subordonnés, supérieurs,
voisins, condisciples...
Quarante-cinq noms figuraient sur la liste des
arrestations, mais une
vingtaine d'élèves en fuite n'ont pas répondu à l'appel.
UN JOURNALISTE BELGE CONFIRME QU'UN VERITABLE GENOCIDE A LIEU ACTUELLEMENT AU BURUNDI
Le journaliste a affirmé que des camions ont transporté de nombreux corps qui ont été inhumés près de Bujumbura. Même des étudiants de 15 ans auraient été exécutés, selon lui. A l'issue du Conseil de cabinet de vendredi dernier, on s'en souvient, le Premier ministre, M. Eyskens, avait déclaré que la situation au Burundi était particulièrement alarmante et qu'on était, en réalité, confronté à un gigantesque génocide.
TÉMOIGNAGES : L'extermination
d'une ethnie (Le Monde, 01/06/1972)
L'E.N.S. (2) a perdu soixante
élèves (tous Hutu), l'U.O.B. (3) cent étudiants (tous Hutu). Le massacre
continue. Par camions entiers on charroie, nuit et jour, des cadavres. On
arrête tous les « suspects». On les oblige à
se dévêtir. On les fait coucher à plat ventre, les mains derrière la nuque.
On les cogne à coups de crosse, de bâton, de pierres. On les torture. Puis on
les transperce à la baïonnette. Les bulldozers font le reste.Sans parler des innombrables
règlements de comptes ! Dans les écoles, les élèves tutsi assassinent leurs
camarades à coups de pierres, de machette, de bâton...La J.R.R., constituée en
groupes d'autodéfense, «ratisse» les collines, tue les gens, incendie les
fermes.
Selon
le secrétaire de l'O. N. U.: «Les dimensions de la tragédie au Burundi sont
effarantes»/Les efforts de développement ont été gravement affectés
" Le
gouvernement du Burundi lui-même, indique le rapport, a informé la mission spéciale
que 80.000 personnes avaient trouvé la mort depuis le 29 avril, et que
cinq cent mille autres, parmi
lesquelles 50.000 veuves et des dizaines de milliers d'orphelins. étaient en
proie à de graves souffrances et avaient besoin d'une assistance
humanitaire"
L'ONU déplore une « tragédie aux dimensions effarantes
« Le gouvernement
du Burundi lui-même, indique le rapport, a informé la mission spéciale que quatre-vingt
mille personnes avaient trouvé la mort depuis le 29 avril, et que cinq cent
mille autres, parmi lesquelles cinquante mille veuves et des dizaines de
milliers d'orphelins, étaient en proie à de graves souffrances et avaient
besoin d'une assistance humanitaire. La mission spéciale a également été
informée que quarante mille personnes environ avaient cherché refuge au
Ruanda, en Tanzanie et au Zaïre, pays voisins du Burundi. »
La cruauté de la
répression (1972)
Les massacres organisés par les
rebelles le 29 avril et les jours suivants en province de Bururi ont
peut-être acculé à la répression les Tutsis effrayés.
Il ne reste qu'une
jacquerie paysanne, soutenue - sinon provoquée - par les nostalgiques de la
révolte que sont les Simbas congolais, donne maintenant au pouvoir militaire un
prétexte pour frapper durement ceux qui ne demandent qu'à prendre
légitimement en main leur avenir.
Le tribalisme érigé en politique
S'il s'agit de distinguer
des choix Politiques dans les relations avec l'étranger, dans la politique à
l'éducation... dans l'attitude à l'égard de l'affairisme de l'Association des
commerçants barundis ou à l'égard des capitaux étrangers, etc, il me semble
qu'il y a là des options idéologiques et dans ce contexte le
"tribalisme" est un outil au service d'un groupe dominant des élites
urbaines ( certains parleront de "bourgeoisie nationale"). Le
tribalisme, ce n'est pas une fatalité raciale comme on le croit facilement:
c'est une politique.
Rapportés
par des témoins rentrés en Belgique/Des
récits effroyables sur les massacres au Burundi/Les
enfants seraient pris dans les écoles pour être exécutés
Dans cette sinistre
hiérarchie de la liquidation, ils en étaient, la semaine dernière, à venir
enlever dans leurs écoles techniques des élèves de 14 à 17 ans et commençaient
à s'en prendre aux femmes et aux jeunes filles. Il y a une huitaine de jours,
les estima tions les plus sérieuses du nombre des victimes du génocide
allaient de cinquante mille à cent mille. Mais depuis lors le massacre s'est'
poursuivi. Notre confrère de la B.R.T., M. Geerts, a vu, à Bujumbura, des
captifs étendus en couches super posées dans un camion, emmenés vers le lieu
de leur supplice. Une heure après le couvre-feu, chaque soir, il voyait des
camions chargés de cadavres roulant en direction du champ d'aviation à
proximité duquel une fosse commune se comblait peu à peu de corps.
M.Eyskens: "un
véritable génocide au Burundi"
(La Cité, 21-22 mai 1972)
Les informations que nous publions, depuis quinze jours, sur les horribles massacres perpétrés au Burundi viennent d' être confirmées par le gouvernement beige.Hier, à l'issue dit Conseil des ministres, M. Eyskens - qui. la semaine dernière déjà, avait souligné le caractère dramatique de la situation - a déclaré que
" le gouvernement avait pris connaissance d'informations complémentaires indiquant que le Burundi n'est pas
confronté avec une lutte tribale, mais avec un véritable génocide" !
Selon
le secrétaire de l'O. N. U.: «Les dimensions de la tragédie au
Burundi sont effarantes»/Les efforts de développement ont été gravement affectés
" Le
gouvernement du Burundi lui-même, indique le rapport, a informé
la mission spéciale que 80.000 personnes avaient trouvé la mort
depuis le 29 avril, et que cinq cent mille autres, parmi
lesquelles 50.000 veuves et des dizaines de milliers d'orphelins.
étaient en proie à de graves souffrances et avaient besoin d'une
assistance humanitaire"
Selon le représentant
permanent de Bujumbura à l'O.N.U.: LES TROUBLES DU BURUNDI
AURAIENT FAIT DE 50 A 60.000 MORTS
"Le Burundi, contrairement
à la Belgique, est une nation au plein sens du mot", a déclaré devant la
presse, à Genève, l'ambassadeur Nsanze Terence, représentant permanent du
Burundi auprès des Nations-Unies. Si celui-ci admire le fait que Wallons et
Flamands ont fini par constitue la nation belge, il a tenu à souligner que les
Burundais, quant à eux, ne sont divisés en Hutus et Tutsis que "par
la fantaisie des premiers colonisateurs et sur le simple critère de leur taille"...
Le
"génocide
sélectif " imaginé par les organisateurs de la rébellion fut alors
transformé par ceux-ci en un carnage sans distinction, dans le sud-ouest du
pays surtout. Les "rares" monarchistes du pays pensèrent pouvoir
profiter de la situation, et c'est pourquoi le Roi fut jugé et exécuté. Le
rôle du gouvernement et de l'armée fut celui, démocratique de la défense de
l'ordre :" Quelques mesures punitives furent
prises, c'est tout."En indiquant comment, à la
suite de survols systématiques des régions frappées par ces événements, le
nombre de 50.000 à 60.000 victimes fut établi avec précision, l'ambassadeur
du Burundi a sévèrement fustigé ceux qui ont donné des "versions
fantaisistes" des faits, notamment certains organes de presse et plus
particulièrement les agences catholiques.
Les origines du génocide au
Burundi/Les Tutsi ont voulu régler
le sort des Hutu pour vingt ans
Mais le pouvoir, lui, dispose
de la force (l'armée) et de l'organisation. Sa répression sera plus vaste,
plus systématique et cyniquement dirigée vers une «solution finale» du
«péril hutu ». Face à la rébellion, les Tutsi oublient leurs dissensions et
font bloc. Il s'agit cette fois de régler le problème pour les vingt
années à venir. On va radicalemept exterminer l'élite et par l'élite il
faut entendre tous ceux qui savent lire et écrire ou qui ont quelque influence.
«Génocide» qualifie bien cette politique délibérée:
fonctionnaires, commerçants, prêtres, catéchistes, écoliers, petits
employés, bref tous les hutu qui ne sont pas les simples paysans illetrès des
collines sont menacés et souvent sommairement passés par les armes, cinquante
mille morts semble un chiffre confirmé officiellement.
Des massacres du Burundi -
A la prison de
Bujumbura,les prisonniers sont exposés au soleil jusqu'à ce que mort s'ensuive
Passant outre à la consigne du
silence qui leur avait été donnée par le représentant diplomatique de la
Belgique à leur départ de Bujumbura, des ressortissants
belges récemment
rentrés du Burundi témoignent de l'ampleur du génocide
des Hutus mené par les Tutsi,
dont une des cinq grandes familles
du pays détient actuellement le pouvoir. Il s'agit du groupe des Bahimas du
Sud, par ailleurs mal considéré, rapporte-t-on, par les autres grandes
familles, royales celles-là.