Des massacres du Burundi
A la prison de
Bujumbura,
les prisonniers sont exposés au soleil jusqu'à ce que mort s'ensuive
Le Soir
25.05.1972
Passant outre à la consigne du
silence qui leur avait été donnée par le représentant diplomatique de la
Belgique à leur départ de Bujumbura, des ressortissants belges récemment
rentrés du Burundi témoignent de l'ampleur du génocide
des Hutus mené par les Tutsi, dont une des cinq grandes familles
du pays détient actuellement le pouvoir. Il s'agit du groupe des Bahimas du
Sud, par ailleurs mal considéré, rapporte-t-on, par les autres grandes
familles, royales celles-là.
Sur l'origine de ce qui fut à son
début une guerre civile entre les deux races, un témoin privilégié et
absolument sûr, mais qui a préféré garder l'anonymat, nous a déclaré qu'il
ne fallait pas faire de relation directe entre la rentrée au pays de l'ancien
mwami dont le retour avait été "négocié" par le ministre des
Affaires étrangères, son exécution et le soulèvement dans le sud du pays, de
Hutus aidés de mulélistes et de "simbas". Selon cet observateur, un
soulèvement hutu était préparé et le pouvoir en place en avait connaissance
depuis un mois et demi, ayant notamment localisé, disait-on, un dépôt d'armes
et de munitions. Il apparaîtrait maintenant qu'il aurait ainsi volontairement
laissé se développer le mouvement - à tort présenté comme pro-monarchiste -
pour justifier une répression. On avance également comme explication à
l'échec du soulèvement hutu, le décalage horaire qui se serait produit entre
des groupes hutus et mulélistes organisés, la rébellion ayant été
déclenchée à des heures différentes. Selon cet observateur, le pouvoir en
place devait d'autant plus être au courant que la réaction de l'armée a été
immédiate, cohérente et décisive. Ceci n'a pas manqué d'étonner et
viendrait à l'appui de l'explication avancée par notre interlocuteur.
Selon ce témoin, dans un
premier temps, les Tutsis du Sud exclusivement ont été exécutés par des
Hutus. Mais, très rapidement, la répression s'est muée en génocide
organisé, les Tutsi dépassant leur dissensions internes. On confirme
qu'après s'être attaché aux hauts fonctionnaires des ministères hutus,
Travaux publias, Affaires sociales et Travail principalement, le génocide s'est
étendu à tout ce que l'ethnie adverse pouvait compter comme élite ou
personnes supposées militanLtes, en cela y compris des enfants et des jeunes
gens.
Les camions de la mort
Ainsi un témoin confirme-t-il
les déclarations du chanoine Picard suivant lequel, à l'athénée de
Bujumbura, des élèves hutus, empêchés de quitter l'établissement par la
direction, ont été battus par des enfants tutsis. Six de ces élèves, des
Hutus, transportés à l'hôpital, ont été soignés puis exécutés. Dans la
même ville, après quatre arrestations le'
premier jour, quarante-cinq puis cinquante des trois cents élèves de l'école
technique secondaire ont été emmenés pour ne plus reparaître. Des blessés
ayant été mêlés à un groupe de cadavres transportés à la morgue, ils ont
été conduits au commissariat et achevés sur place. Près de Mutumba,
l'armée est intervenue pendant un service religieux dirigé par un catéchiste.
Il a été abattu sur place en même temps que quarante fidèles, tous des
Hutus. Ceci à titre d'exemple, avait-il été précisé au reste de
l'assistance. Une personne arrêtée par erreur et relâchée par la suite, a vu
à la prison de Bujumbura de quelle manière les prisonniers étaient liquidés:
par fournée de soixante environ, couchés, nus, sur le ventre, les mains dans
le dos, ils sont exposés au soleil, ne reçoivent ni à boire, ni à mangea.
Avant cela, et dès leur entrée à la prison, ils passent entre une rangée de
gardiens armés de gourdins et de bâtons et ils sont copieusement rossés, ce
régime étant poursuivi à l'intérieur des cellules. C'est alors qu'ils sont
emmenés dans la cour. Après qu'ils ont succombé, ils sont empilés sur des
camions bâchés et transportés la nuit vers un terrain vague entre le terrain
d'aviation et la capitale où travaille un bulldozer. Selon des comptages qu'ont
pu effectuer des personnes occupant les étages supérieurs de hauts immeubles,
ces transports effectués après le couvre-feu, seraient en moyenne de cinq à
six par nuit pour la seule ville de Bujumbura.
Le silence de l'Eglise
Les biens et les logements des
Hutus exécutés sont saisis et leurs comptes sont bloqués, leurs parents
étant laissés dans un dénuement on ne peut plus complet.
Interrogés sur le silence de
l'Eglise du Burundi, des témoins rapportent que les membres tutsis du clergé
ont pu dans un premier temps considérer comme normale la répression en
fonction même des agressions dont les Tutsis avaient été les victimes.
Cependant, devant l'ampleur du génocide, plusieurs prêtres ont fait des
démarches collectives - la dernière connue le 14 mai - auprès des évêques,
mais aucune position nette n'a pu être obtenue de leur part. On rappelle ainsi
qu'en novembre 1971, alors que se déroulait le procès des monarchistes,
procès qui tourna à la confusion des accusateurs, l'Eglise du Burundi aisait
pris une très nette position. Mais, dit-on, cette attitude avait pu être
adoptée alors. que les deux évêques tutsi (il y a cinq évêques au Burundi,
deux Tutsi, deux Hutus et un Européen) se trouvaient en Europe. A l'époque, la
position des évêques du Burundi avait infléchi l'attitude du président
Micombero, l'amenant à gràcier les condamnés.
Actuellement, on fait état de l'exécution
de six prétres hutus dont un dans la capitale. L'évêque hutu de Ngozi serait
en liberté surveillée tandis que le père recteur du collège du Saint-Esprit,
le Père jésuite Seigneur, aurait donné sa démission. Tous les
établissements scolaires du secondaire seraient maintenant placés sous une
étroite surveillance militaire, un inspecteur de la Sûreté ayant été
désigné pour chaque école.
De ces témoignages, il ressort
par ailleurs que les Européens (il y a trois mille Belges environ au Burundi)
ne sont nullement inquiétés par les militaires et le pouvoir en place, pas
plus qu'ils ne l'avaient été par les mulélistes. lesquels, disent des
témoins, avaient manifestement reçu de strictes consignes à ce sujet. On
signale le nom d'une seule victime européenne, un Belge, tué par une balle
perdue lors d'un échange de coups de feu survenu entre groupes adverses aux
environs du mess des officiers de la capitale.
La J. E. C.: « Si nous
n'agissons pas,
nous serons coupables »
La Jeuneste étudiante
chrétienne publie le communiqué suivant:
La J. E. C. a pris
connaissance avec horreur et indignation du génocide des Hutus par les Tutsis
qui a lieu actuellement au Burundi. Elle s'est sentie d'autant plus concernée
que des étudiants du secondaire sont l'objet de rnassarres particulièrement
atroces. Cette boucherie (c'est le mot) ne peut nous laisser indifférents.
Nous demandons à tous les
étudiants, de quelque idéologie ou religion qu'ils soient, de réagir vis-à-vis
de cette situation scandaleuse de la manière qu'ils jugeront la meilleure.
Nous interpellons M. Harmel,
ministre des Affaires étrangères, et M. Mertens, membre belge de la cornmission
des droits de l'homme, pour qu'ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour
enrayer ce massacre. Nous exigeons de l'ambassadeur du Burundi qu'il intervienne
auprès de son gouvernement pour que celui-ci arrête immédiatement le
génocide et prenne les mesures qui s'imposent pour un retour, le plus rapide et
le plus efficace possible, à une situation normale.
Si nous ne réagissons pas,
nous serions complices. De plus, l'ingérence dans les affaires du Burundi rue
peut être un obstacle : la valeur d'une vie humaine n'a que faire des
frontières.
@AGNews
2002
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