Les témoignages se multiplient
La population Hutu du Burundi
est l'objet d'une liquidation systématique
Il y aurait entre cinquante et
cent cinquante mille morts
La Libre Belgique
Jeudi, 25 mai 1972
DEPUIS quelques jours, les
témoignages se multiplient au sujet des événements qui se sont déroulés et
se dérouleraient encore actuellement au Burundi à la suite
de la révolte qui a éclaté le 29 avril dernier dans ce pays. Cette révolte,
d'après les informations qui sont
parvenues, aurait été très rapide nient réprimée par l'armée. Mais elle
aurait été suivie par une sévère répression qui ne toucherait pas seulement
les Hutus qui auraient participé à la révolte, mais l'ensemble de la
population hutu.
Les autorités du Burundi empêchant
les journalistes d'entrer dans le pays depuis le début des troubles, les
informations qui parviennent sont rapportées par des témoins. Leurs récits
ont été diffusés par la radio et la télévision, ainsi que par notre confrère
"La Cité", en ce qui concerne le chanoine Pirard, un Français qui a
quitté le Burundi il y a quelques jours à peine.
Ces récits sont alarmants, car
tous concordent pour affirmer que les dirigeants ont entrepris une véritable
tuerie de la population hutu qui, comme on le sait, représente environ
quatre-vingts p.c. de la population.
Certains témoins font état
également de violences perpétrées par les révoltés hutus qui, sans doute
sous l'influence de mulélistes, ont brûlé des familles entiè res dans leurs
huttes ou les ont massacrées, enfants y
compris, après avoir mutilé les corps. Cependant, les témoins rapportent que
la répression contre les Hutus a dépassé en horreur cette révolte.
On cite les cas de petits
élèves hutus qu'on irait chercher dans les écoles pour les tuer. Des
centaines de personnes seraient soumises à des séances de matraquages par des
membres des Jeunesses révolutionnaires. Les blessés seraient laissés
sur place jusqu'à ce que mort s'ensuive.
A Bujumbura, l'armée s'ést emparée
d'étudiants hutus et les ai mis à mort dans les camions qui les emportaient,
parfois à l'arme blanche. Des professeurs
hutus ont également été massacrés. Cette répression systématique ne
viserait pas seulement les élites, mais également les éléments hutus qui, au
niveau du primaire et du secondaire, en étaient au stade de l'alphabétisation.
Un témoin a expliqué cet
acharnement des dirigeants sur l'élite
hutu d'aujourd'hui et de demain par la crainte des Tutsis de voir un jour leur
suprématie mise en cause. Les Tutsis, comme on le sait, sont nettement
minoritaires, mais n'en détiennent pas moins les postes-clés du pouvoir.
L'envoyé spécial de la
B.R.T., dont nous avons déjà fait écho au témoignage, affirme que la
liquidation des Hutus s'effectue de manière systématique. L'armée s'étant
vraisemblablement emparée des listes de comptabilité d'un fonds de solidarité
hutu, elle a commencé par liquider les hauts fonctionnaires, puis a continué
avec les universitaires, les étudiants des écoles normales. La semaine
dernière, elle en serait arrivée aux élèves de 14 à 17 ans. Le nombre des
victimes était estimé, il y a une semaine, entre cinquante et cent cinquante
mille.
Il y a quelques jours,
l'ambassade du Burundi à Bruxelles a publié une mise au point à laquelle nous
avons fait écho. Rapportant un discours du chef de l'Etat, cette mise au point
affirmait que les auteurs de la révolte avaient été jugés et châtiés, mais
ne se référait pas à une répression telle que les témoins en font état
aujourd'hui.
Une déclaration de M. Harmel
M. HARMEL a fait mercredi
après-midi, devantl a commission des Affaires étrangères du Sénat, in
déclaration suivante au sujet du Burundi :
" Le 29 avril se sont
déclarés simultanément au Burundi un coup d'Etat visant à remettre Ntare V
à la tête du pays, et une rébellion assistée de l'extérieur en vue de
renverser les autorités au pouvoir.
Ces désordres ont été
d'une gravité exceptionnelle. Des troubles n'en sont suivis dans l'ensemble du
pays. Le gouvernement du Burundi, en vue de reprendre le contrôle de la
situation, a pris des mesures répressives.
Tant d'événements
tragiques ont provoqué la perte d'un grand nombre de vies humaines parmi les
populations autochtones.
Sans Intervenir dans les
affaires Intérieures d'un autre Etat, le gouvernement belge vient de donner des
instructions à son ambassadeur, rappelé en consultation, en vue d'exprimer au
chef de l'État du Burundi, le président Micornbero, sa préoccupation et son
espoir inquiet de voir restaurer l'ordre et la paix. Il a offert une aide
humanitaire pour venir en aide aux populations en détresse.
Le gouvernement belge garde
un contact permanent avec son ambassadeur qui rentrera ce soir à Bujumbura en
vue de prendre tontes mesure qui seraient jsgées utiles pour la sécurité des
5.600 Belges qui vivent au Burundi et qui, selon les informations recueillies
par notre ambassade, sont saufs. Comme le gouvernement belge l'a déjà
déclaré, aucun des agents de la coopération militaire, conformément aux
dispositions en vigueur, n'est intervenu da e;ueique manière que ce soit dans
ces récents événements.
Le gouvernement belge se tient en relation
avec la Croix-Rouge et les organisations internationales en vue de coordonner
tout effort de caractère humanitaire que la situation présente justifie ".
La Libre Belgique. 25.5.1972
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2002
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