La répression contre les Hutu
La Libre Belgique
29.05.1972
Un appel à la radio
Le dimanche 7 mai, au matin
la radio a annoncé que les tribunaux militaires, ayant siégé le samedi,
avaient prononcé plusieurs condamnations à mort sans en préciser le nombre et
que les jugements avaient été aussitôt exécutés. Mais la radio a demandé
aussi aux militants du parti uni.que, l'UPRONA, et à la "jeunesse
révolutionnaire RWAGASORI" de demeurer vigilants, d'arrêter tous les
suspects, au besoin de les désarmer et de les livrer aux autorités militaires.
Dès lors, ce fut le
déchaînement. Les gouverneurs
militaires des provinces et, surtout, de celles du Sud, étaient partis vers les
frontières méridionales du pays pourchasser les rebelles hutus.
Ils étaient accompagnés notamment an un
bataillon envoyé par le Zaïre et ils avaient reçu des munitions de la Tanzanie.
Le dimanche matin,
aussitôt après l'appel lancé par la radio, la jeunesse révolutionnaire et
les ,militants du parti ont procédé à des arrestations dès la sortie de la
messe dans plusieurs localités. lis ont également arrêté, dans les
hôpitaux, des infirmière., et des médecins africains. L'un d'eux a été
battu à mort. Lorsque sa feinme, mère de huit enfants, est venue proposer un
matelas pour son mari, les gardes lui ont dit qu'il n'en avait plus besoin.
Fusillés
Un directeur d'école
primaire, ancien sénateur, M. Tchimyaye, qui travaillait pour la Sabena à
Bujumbura, a été exécuté. Des camions traversaient les localités chargés
de prisonniers les poings liés. lis étaient tous conduits dans les camps
militaires ou dans les prisons et après,avoir été bastonnés, torturés,
maltraités, ils se
étaient fusillés au milieu de la nuit, vers
une heure du matin.
Le bruit des détonations
s'entendait aux alentours. Peu de temps après, tous étaient enterrée dans des
fosses communes creusées au bulldozer dans la campagne. Parmi ceux qui ont
été ainsi ensevelis, certains, à coup sûr, n'étalent pas encore morts.
La frénésie des " justiciers"
n'a pas connu de limites. Dans certaines écoles tenues par
les Frères, des jeunes gens, à partir de quinze ans, ont disparu, ainsi que
des prêtres africains. On est actuellement sans nouvelles d'une dizaine d'entre
eux. On sait seulement que quatre ont été fusillée. Parmi eux, Michel Kayoya,
qui avait écrit plusieurs ouvrages sur 'le Burundi.
La façon dont les jeunes
gens surtout ont procédé aux
arrestations a révélé une cruauté et un sadisme insoupçonnés jusque-là. Ainsi,
dans un collège de Bujumbura, on a découvert un garçon de douze ans
établissant les listes de dénonciation de ses camarades de classe afin qu'ils
soient expulsés et fusillés.
Pour les jeunes Tuttsi en
révolte, tous les Hutus sont coupabies. Cette chasse à l'homme a été
dirigée tout d'abord vers tous Ceux qui possédaient une situation due à leurs
connaissances ou à leur bagage intellectuel.
Les fonctionnaires, les
dirigeants d'entreprise, les responsables, mais aussi les étudiants, les
possesseurs de compte dans les caisse d'épargne ou à la poste, les employés
d'administration d'origine hutu, mais aussi les ouvriers et de nombreux " boys" ont été arrêtés et exécutés.
En ce qui concerne les
Européens, en revanche, les consignes données par le gouvernement ont été
formelles. A aucun moment, les révoltés ne devaient s'en prendre aux
Européens et il semble bien qu'il n'y ait eu aucune exaction à l'égard des
quelque 4.500 Européens vivant au Burundi.
Toutefois, la situation de
ceuxci est précaire et il leur est pratiquement impossible d'agir devent ce
génocide. Certains prêtres ou missionnaires, toutefois, ont de temps à autre
tenté de s'opposer au massacre des Hutu, qu'ils connaissaient. Pour éviter des
incidents, les Tutsis ont parfois renoncé à leur entreprise.
Il est évidemment difficile
d'évaluer le nombre total des victimes. Dans certaines villes comme Kitega on
estime que le nombre des personnes fusillées dans la prison devrait dépasser huit
cents. Mais étant donné la difficulté des oomrrlunications et des
transmissions, on peut, sans crainte de se tromper gravement, évaluer à
100.000 le nombre des morte jusqu'à dimanche dernier.
Toutefois, ce n'est que dans
plusieurs mois que non pourra avoir une indication exacte du nombre de morte,
lorsque, par exemple, les veuves se feront connaître pour tenter de toucher
quelque secours.
De nombreux habitants du
Burundi ont également fui les localités pour se réfugier dans la brousse.
D'autres ont réussi à franchir la frontière. Il doit en avoir cinquante mille
qui sont ainsi passé en Tanzanie et une dizaine de mille sans doute au Zaire.
La réaction raciale des Tutsi
à l'égard des Hutu ne ne
situe absolument pas au niveau du clivage religieux puisque la population du
Burundi est christianisée à 65 p. c. enciron et que les
chrétiens se trouvent dans l'une et l'autre ethnie.
Mais la manière dont la
répression est menée à l'égard des Hutu relève une réaction viscérale et
presque bestiale, qui dépasse l'entendement. Les jeunes révolutionnaires ine
peuvent être raisonnés d'aucune façon.
Les autorités de Bujumbura
et les personnalités du gouvernement qui seraient de tendance libérale n'ont
ainsi que bien peu de chances de se faire entendre. Certaines ont déchaîné la
violence et elles ne sont plus en mesure de l'arrêter ni même de la
contrôler.
Il ne semble donc pan que
l'on puisse faire quoi que ce soit de l'intérieur même du Burundi. Les
Européens qui sont sur place, laïcs ou religieux, ne peuvent agir sous peine
d'être rapidement priée de quitter le pays.
En revanche, sur le plan
diplomatique, il semble que l'action pourrait être plus efficace. C'est
d'ailleurs à une telle mission qu'a correspondu le voyage effectué à
Bruxelles par l'ambassadeur de Belgique au Burundi. D'autres ambassadeurs de
pays européens ou africains pourraient intervenir dans le même sens auprès
des autorités de Bujumbura.
Quant à la Croix-Rouge et
aux organisations charitables, leur marge d'action est très faible également.
Les secours que la Croix-Rouge pourrait envoyer, seraient reçus par les
autorités officielles du Burundi qui en disposeraient à leur guise. Or, les victimes se trouvent surtout parmi
les adversaires des Tutsi qui détiennent le pouvoir.
Certes, quelques Tutsi ont
été tués au moment de la révolte des Hutu, mais la riposte des premiers a
pria une ampleur sans commune proportion avec les exactions du début.
Désormais, pour les militants tutsis, tous les intellectuels d'origine hutu
doivent être massacrés. On sait que les lntellectueis peuvent même être des
"boys" .
En réalité, les Tutsi qui
redoutaient d'être submergés par l'importance de la communauté hutu veulent
littéralement la décapiter de façon que ne demeurent dans le pays que des
paysans hutus, inoffensif,, ne présentant aucune concurrence pour eux et
voués, comme ils le sont depuis des siècle, ou des millénaires, à cultiver
pauvrement les maigres collines sur lesquelles ils sont installés.
Enfin, ce véritable
génocide qui se pratique au Burundi ne va pas manquer de provoquer une grande
émotion dans les pays africains voisins où de tels risques, même d'une
moindre ampleur, ne sont pan encore à écarter.
En Europe aussi,
l'émotionne peut manquer d'être grande. Beaucoup de Hutu ont quitté leur pays
depuis des années et constituent des collectivités très attentives à tous
les problèmes africains. C'est notamment le cas des jeunes Hutu qui se trouvent
en Belgique.
La Libre Belgique. 29.5.1972
(SUITE)
@AGNews
2002
|