FORMAT (PDF) du Memorandum sur les
 massacres répétitifs des hutus au Burundi.

 

MEMORANDUM SUR LES

MASSACRES REPETITIFS

DES HUTUS AU BURUNDI

 


APPEL A LA CONSCIENCE MONDIALE

 



En 20 ans, l'armée TUTSI a massacré environ 700.000 HUTU au Burundi, soit 16% de la population HUTU, 14% de la population totale ou l'équivalent de la population TUTSI

Janvier 1992.


IN MEMORIAM



Il s'appelait SIMBIZI Audace, il était militant de première heure du Mouvement pour la Paix et la Démocratie. Son supplice fut celui de centaines de milliers d'autres Hutu assassinés depuis 1962. En leur mémoire a été créé le Centre d'Etudes SIMBIZI Audace.

CENTRE D'ETUDES SIMBIZI AUDACE

Deuxième édition. Janvier 1992.

Adresse : M.P.D.

B.P. 110 Bujumbura Burundi
B.P. 2101 B - 1000 Bruxelles 1 Belgique
Compte bancaire
no : 068 - 2096515 - 81.



TABLE DES MATIERES

Chapitre 1 : Prise de position du Mouvement pour la Paix et la Démocratie au Burundi.

Chapitre 2 : Les génocides de 1965 et 1969

- l'assassinat du premier ministre Pierre NGENDANDUMWE
-
Le coup d'Etat de 1965
- Les témoignages dans les journaux
- Le plan Arthémon SIMBANAMIYE d'extermination des Hutu
-
Les exécutions de 1969

Chapitre 3 : Le génocide de 1972

- Les mécanismes du génocide de 1972
- Les témoignages d'élèves et étudiants rescapés
- Le génocide sélectif au Burundi (Minority Rights Group)

- Les témoignages dans les journaux

Chapitre 4 : Le génocide de 1988

- Les témoignages dans les journaux
- Massacres d'enfants par les troupes gouvernementales (Amnesty
International)

Chapitre 5 : Quelques aspects de l'Apartheid au Burundi

- Apartheid dans les fonctions suprêmes de l'Etat
- Apartheid dans l'administration
- Apartheid dans l'armée
- Apartheid dans les tribunaux
- Apartheid' dans les sociétés commerciales
- Apartheid dans l'enseignement

 


 

 

La Convention de l'ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide définit ce dernier comme étant "l'un quelconque des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux".

Cette Convention condamne les actes suivants . le génocide, l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe et publique à commettre le génocide, la tentative de génocide et la complicité dans le génocide.

La Convention de lONU sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité condamne ces crimes, même si ces actes ne constituent pas une violation du droit interne des Etats où ils ont éte commis.


 

 

CHAPITRE 1 : Prise de position du Mouvement pour la Paix et la Démocratie au Burundi (MPD)

 

 


Prise de position du Mouvement pour la Paix et la Démocratie au Burundi (MPD)


Le Burundi est un petit pays d'Afrique Centrale où cohabitent tant bien que mal ou plutôt mal que bien trois ethnies : les Hutu - (85 %), les Tutsi (14%), les Twa. Depuis quelques centaines d'années le pouvoir a été exercé sans partage par les Tutsi. Même l'intermède colonial n'a pratiquement pas modifié cet état de choses, le colonisateur ayant, selon le principe du "Divide ut imperes", renforcé leur domination en facilitant l'accès à l'école aux enfants de princes, de chefs et de sous-chefs tutsi. Comme conséquence de cette domination politique le pouvoir économique devait fatalement se concentrer également entre les mains de cette ethnie.


Cependant, à partir de l'accession du Burundi à l'indépendance en 1962 et grâce aux contacts qu'un certain nombre de Hutu ont établi à l'extérieur, les idées démocratiques se répandirent dans le pays avec un désir de plus en plus grand de justice sociale et une volonté de plus en plus affirmée d'opérer une transformation profonde des structures et du régime politique en vigueur. On assista alors à la naissance d'un certain nombre de partis politiques groupant essentiellement des Hutu. Aussitôt averti du danger que pourrait représenter cette volonté de transformer ces rapports de domination séculaires, les tenants de la minorité tutsi se mirent, d'abord sous le manteau protecteur et avec la complicité active de la monarchie, puis au grand jour, sous les différents régimes républicains qui lui ont succédé, à échafauder des plans diaboliques d'extermination des Hutu pour régner à jamais sans partage. L'instauration en septembre 1966 du parti unique, ce démiurge à l'abri duquel se développent généralement le déni des droits des gens et toutes les forfaitures, constitua une étape marquante dans le renforcement de cette domination. La mise en oeuvre de ces plans diaboliques s'est traduite par le bilan suivant en pertes de vies humaines


Année

Hutu tués

Hutu exilés

Tutsi tués

Tutsi exilés

1965

10.000

500

   

1969

500

300

   

1972

500.000

300.000

200

 

1988

50.000

63.000

40

 

1991

3000

4o.ooo

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Précisons au passage que ces massacres ont toujours frappé par priorité les éléments alphabétisés de la population Hutu. Parallèlement aux liquidations physiques, on a assisté, surtout à partir de l'avènement de la Deuxième République (le ler novembre 1976), à la mise en place d'un plan de génocide intellectuel des Hutu, lequel plan organisait systématiquement le maintien de ceux-ci dans l'ignorance et l'analphabétisme.

Comble de machiavélisme, au cours et après les tueries évoquées ci-avant, les autorités burundaises ont toujours affirmé que ce sont les Hutu qui se sont ligués pour exterminer les Tutsi, mais elles n'ont jamais expliqué comment la guerre d'extermination de Tutsi a fait plus de
500.000 victimes Hutu contre seulement 240 victimes Tutsi.


La vérité doit donc être recherchée ailleurs.

A l'occasion de ces massacres répétitifs, les régimes minoritaires tutsi ont chaque fois refusé l'organisation' d'une commission Internationale d'enquête.

 


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Pourquoi le pouvoir tutsi s'oppose-t-il fermement à une enquête internationale, impartiale et neutre, qui le laverait de tout soupçon, se contentant d'instituer simplement des commissions gouvernementales dont les conclusions épousent toujours les thèses officielles ? Voilà la question que devraient se poser toute personne, tout gouvernement ou toute organisation un tant soit peu préoccupés par le sort des droits de l'homme au Burundi.


Suite aux événements de 1988, et sous la pression de certains gouvernements, le régime de Bujumbura a entrepris des manoeuvres visant à convaincre l'opinion nationale et internationale de sa réelle volonté de promouvoir un climat de réconciliation nationale :


Toujours dans cette même logique, le régime de Buyoya a procédé à l'injection de quelques Hutu au sein des représentations diplomatiques accréditées à l'étranger et pour ne pas paraître en reste par rapport au courant de démocratie qui a soufflé sur. tous les continents, a commandé un rapport sur la démocratisation des institutions et de la vie politique qui, levant quelque peu le voile sur les intentions réelles de ses promoteurs, préconise un "multipartisme réglementé".


Ces différentes actions, quoique purement cosmétiques, ont incontestablement contribué à redorer l'image du régime et de. son chef Pierre Buyoya qui a pu faire croire qu'il est promoteur d'une vision des rapports interethniques au Burundi qualitativement meilleure par rapport à celle de ses précédesseurs, Micombero et Bagaza.


Dans la réalité, la politique intérieure du régime de Buyoya n'a pas changé pour ce qui concerne les rapports interethniques car les Tutsi occupent toujours la quasi-totalité des postes clés à tous les niveaux.


Pour faire face à cette situation socio-politique qui n'a que trop duré, des citoyens burundais épris de paix et de justice ont créé en 1988 un parti politique, le "MOUVEMENT POUR LA PAIX ET LA DEMOCRATIE" (MPD). Fidèle à la culture burundaise et à la tradition humaniste, le MPD a de bonne heure, considéré que la voie pacifique doit être explorée pour résoudre le conflit qui oppose depuis plusieurs années les Hutu et les Tutsi au Burundi, Toutefois, les Tutsi et les Hutu étant les deux parties en conflit, ils ne peuvent pas être en même temps juges dans cette affaire. C'est la raison pour laquelle le MPD a proposé dans son Memorandum de 1989 un arbitrage international en demandant à l'ONU ainsi qu'aux pays limitrophes de se concerter et d'organiser une conférence internationale sur la paix et le règlement du conflit hutu-tutsi au Burundi. A cet égard, le MPD a émis des propositions de solution en quatre phases, à savoir :


1. Le remplacement de l'armée actuelle par une armée nationale représentative de toutes les ethnies et de toutes les provinces du Burundi.

2. L'élaboration d'une constitution basée sur la séparation des pouvoirs, le pluralisme politique et la garantie des libertés individuelles.

 


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3. La tenue d'élections libres et pluralistes, ouvertes aux Burundais de l'intérieur et de l'extérieur, pour choisir les bourgmestres et les membres de l'Assemblée communale, les gouverneurs et les membres de l'Assemblé provinciale, les membres de l'Assemblée Nationale et le président de la République.


4. Le rapatriement et l'installation des réfugiés en toute quiétude et sécurité.


Ces différentes propositions de solution ont été par la suite affinées et précisées davantage à travers les différentes prises de position ultérieures rendues publiques par le parti.

Malheureusement le président Buyoya et son parti unique UPRONA ont fait la sourde oreille à toutes les propositions constructives du MPD, préférant piloter seuls le processus de démocratisation des institutions à mettre en place au Burundi, On notera que lors des débats organisés en 1990 par le parti unique UPRONA sur la Charte de l'Unité Nationale, les propositions qui n'épousaient pas les thèses du régime n'ont pas été retenues et que par ailleurs les régions où les résultats ont été faibles lors du referendum de février 1991 sur la charte de l'unité sont les cibles privilégiées des massacres en cours.


La phobie de la démocratie dont paraissent souffrir les autorités burundaises, la crispation sur les privilèges acquis, les refus d'un rééquilibrage ethnique de l'armée, la marginalisation des réfugiés dans la recherche d'une solution aux problèmes du pays, reflètent les véritables visées du régime en place au Burundi.


Pour la cinquième fois en vingt 7six ans, le Burundi vit depuis le 23 novembre 1991 une nouvelle période tragique caractérisée par des massacres des populations hutu. Des crimes sont encore une fois en train d'être commis sur le territoire burundais. Mais par qui ? De toute évidence, la responsabilité du régime en place au Burundi est pleinement engagée. En effet, le comportement du pouvoir en place, malgré ses déclarations de bonnes intentions sur la démocratisation des institutions et de la vie politique ne pouvait que conduire aux massacres actuels des Hutu. Pendant que ce régime prêchait la réconciliation nationale, il n'a cessé de perfectionner ses méthodes pour tuer et réprimer l'opposition montante des Hutu. Le virage démocratique que le régime a été obligé de prendre sous la pression internationale s'opère avec un balisage tellement compliqué dans ses projets de démocratisation que peu de citoyens s'y retrouveront. En effet, parallèlement à ce balisage intervenu après une longue période d'hésitation le régime a préparé et exécuté visiblement un plan de massacres ethniques de Hutu conçu de longue date pour empêcher la démocratisation intégrale du pays.

Le MPD rejette donc catégoriquement la thèse des autorités burundaises selon laquelle le Burundi a été victime d'une attaque d'éléments armés venus du Rwanda et de la Tanzanie, thèse inconsistante que le régime a d'ailleurs très rapidement abandonnée. D'ailleurs les faits ci-après accréditent plutôt l'hypothèse d'une simulation d'attaque pour justifier des massacres des Hutu :


1° L'imposition d'une Charte de l'Unité Nationale à fondements totalitaires "qui sera au-dessus de la Constitution et des lois, qu'aucun régime politique ne pourra changer ni abroger, à laquelle tout parti politique, toute organisation, toute religion, toute institution devra se conformer..." Dans le chef du régime de Buyoya, cette charte vise un double objectif: d'une part, laver les crimes commis contre les Hutu pendant les massacres


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organisés au cours de ces trente dernières années et d'autre part, mettre la corde au cou de tout opposant politique puisque "selon cette même charte tout murundi présent ou à venir qui ira à l'encontre de la présente charte se sera rendu coupable d'un acte de haute trahison à l'endroit de la nation et du peuple burundais". Prenant la pleine mesure de ce piège, le MPD a rejeté le projet de charte dans sa prise de position de mai 1990.

2° Les propos menaçants du Président Buyoya le ler juillet 1991 (en langue nationale) invitant le parti unique UPRONA et son armée à sévir contre tout élément soupçonné d'appartenir à l'oppositon politique qu'il a désignée comme ennemi actuel de- l'Unité nationale.

3° La résurgence du discours traditionnel et violent du parti unique qui situe les causes des problèmes intérieurs dans les complots organisés contre lui à partir de l'étranger par les réfugiés burundais.

La fermeture des points de passage sur la frontière entre le Burundi et le Rwanda en redésignant ce pays comme boue émissaire.

5°La publication en août 1991 d'un rapport de la Commission Constitutionnelle du parti unique UPRONA qui prévoit pour février 1992 l'imposition d'une constitution taillée à l'image du parti unique préconisant un multipartisme règlementé, légalisant les formations politiques proches du parti unique,' le maintien du bannissement des partis opposés au pouvoir actuel et l'interdiction des élections pluralistes au niveau de la Commune.

6° La conférence de presse du Premier Ministre et Ministre du Plan en août 1991 et à l'occasion de laquelle un journaliste aux ordres du courant d'extrémistes tutsi a réclamé plus de répression des populations qui ne soutiennent pas la politique du parti unique UNPRONA.

7°L'évacuation des populations tutsi vivant dans les zones ciblées pour les massacres (Cibitoke, Bubanza, Kayanza, etc... ).

8° La déclaration du Ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales le lundi 25 novembre 1991 selon laquelle les tirs d'armes automatiques entendus dans la ville de Bujumbura provenaient uniquement des forces armées burundaises.

9° Les déclarations des habitants de la ville de Bujumbura qui, interrogés le ler décembre 1991 par un journaliste de la presse officielle, ont nié avoir vu un seul assaillant.

10° Le fait qu'aucune formation politique d'opposition ne dispose ni de branche armée ni de soutien d'un pays quelconque.

11° Les déclarations des autorités burundaises elles-mêmes selon lesquelles les prétendus infiltrés arrêtés au mois d'août 1991 ne portaient pas d ' armes.

En conséquence, le MPD lance un appel pressant à tous ceux qui peuvent contribuer au changement de la vie politique au Burundi et demande :


1° Aux forces patriotiques et démocratigues du Burundi

de garder courage, rester vigilant et se désolidariser d'avec la poignée d'oligarchistes qui conçoivent et dirigent les crimes de génocide qui ont, à plusieurs reprises, endeuillé le Burundi, coûté la vie à des centaines de milliers de citoyens burundais et contraint des milliers d'autres à l'exil.


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Au régime en place au Burundi

- de trouver une solution équitable et durable au conflit ethnique au Burundi ;

- de négocier le passage pacifique de la dictature du parti unique à la démocratie pluraliste ;

- de remplacer l'armée actuelle qui en fait, depuis le coup d'Etat de 1966, n'a fait qu'anéantir l'opposition politique,_par une véritable armée nationale représentative de toutes les ethnies et de toutes les provinces du pays ;

- de mettre en place des dispositifs de protection de la sécurité de l'opposition politique au Burundi ;



Aux partis d'opposition

de promouvoir la formation d'une coalition des forces d'opposition en vue d'aboutir par le dialogue sincère à l'instauration d'une démocratie réelle et d'un multipartisme intégral. A cet égard, des accords séparés avec le régime en place sont à proscrire.


Aux pays limitrophes

- d'accorder l'asile politique aux réfugiés burundais conformément aux dispositions des Conventions internationales de Genève et de l'OUA en matière de réfugiés ;

- de faciliter le travail de la Commission d'enquête internationale sur les massacres de novembre 1991 ;

- de ne pas se laisser abuser par les déclarations du Président Buyoya

- de condamner les cycles de violence au Burundi qui touchent naturellement et directement les citoyens burundais, mais aussi indirectement les citoyens et les gouvernements de ces pays 'tant en ce qui concerne l'accueil incessant de réfugiés burundais sur leur territoire et l'impact sur leurs ressources qu'en ce qui concerne le blocage du développement socio-économique intégré entre le Burundi et ses voisins dû à la persistance du problème Hutu-Tutsi au Burundi ;

- de participer à la recherche d'une solution juste et durable au problème ethnique au Burundi.

 


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A la communauté internationale



- d'organiser rapidement une enquête internationale et impartiale sur massacres de novembre 1991 ;

- d'arrêter l'aide militaire au régime en place et surveiller de fa stricte l'utilisation d'aides économiques accordées au Burundi afin s'assurer qu'elles ne soient pas accaparées par la minorité oligarchi. au pouvoir aux dépens des intérêts de la Nation Burundaise ;

- de venir en aide aux réfugiés burundais en général et particulièremeni ceux ayant échappé aux massacres de novembre 1991 ;

- de prendre les sanctions qui s'imposent contre le régime du Burundi cas où il refuserait l'organisation d'une enquête internationale sur récents massacres des populations innocentes et l'organisation d'i conférence politique nationale ;

- d'exercer une pression sur le régime de Buyoya afin que soit instauré multipartisme intégral et non un multipartisme règlementé et contr~ comme le préconise déjà le rapport de la Commission Constitutionnelle

- de ne plus jamais croire sur parole les déclarations des autoril burundaises sur le fait que le Burundi n'a pas de prisonniers politiqI étant donné que les régimes qui se sont succédés au Burundi, soucieux ne pas s'encombrer de prisonniers politiques qui terniraient leur imé diplomatique ont procédé directement à des exécutions sommaires personnes arrêtées et désignées rapidement comme ennemis de la nation

Enfin, le MPD prie tous ceux - qui recevront ce document de faire tout qui est en leur pouvoir pour le rétablissement de la paix, de la liberté,la justice et de la démocratie véritable au Burundi.


Le Président du MPD.


 


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CHAPITRE 2 : Les génocides de 1965 et 1969

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

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L'assassinat du premier ministre Pierre NGENDANDUMWE.

Le 7 janvier 1965, Pierre NGENDANDUMWE, après avoir longtemps hésité, accepte de former le nouveau gouvernement. Les groupes extrémistes Tutsi, ceux-là même qui avaient manifesté contre le gouvernement NGENDANDUMWE en décembre 1963, c'est-à-dire la J.N.R.,la F.T.B. et l'Union des agents de l'administration, envoient une vigoureuse lettre à MWAMBUTSA, lui signifia qu'ils étaient toujours opposés à NGENDANDUMWE comme premier ministre.

Malgré cette mise en demeure des extrémistes Tutsi, Pierre NGENDANDUMWE forme un gouvernement de 13 membres comprenant 7 Tutsi et 6 Hutu.

MWAMBUTSA se réserve les secrétariats d'Etat à l'armée et à la gendarmeriE à la tête desquels se trouvent déjà respectivement les Tutsi Michel MICOMBERO et Pascal MAGENGE.

Le 15 janvier à midi, ce gouvernement est rendu public.

Quatre heures plus tard, le groupe extrémiste Tutsi, dit pro-chinois tient un meeting de protestation contre le nouveau gouvernement.

A vingt heures, Pierre NGENDANDUMWE est abattu devant l'hôpital Prince Louis RWAGASORE, alors qu'il allait rendre visite à sa femme qui venait d'avoir son troisième enfant.

Le seul témoin déclaré de cet assassinat est un des fils du Muhutu MUHAKWA Mathieu. Il dira aux enquêteurs et devant le tribunal qu'il a vu quelqu'un s'enfuir en criant : "Ndaguhaye jewe umwana w'abatutsi" (Je vous ai abattu moi enfant des Tutsi.)

MUHAKWANKE Mathieu se retrouvera en septembre dans le premier gouverne ment BIHUMUGANI, comme vice-premier ministre et ministre des finances.

Son fils, le principal témoin de l'assassinat de Pierre NGENDANDUMWE, sera cité en 1968 au côté des BAREDESTE A.M., BANKANURIYE Pascal et autres MPOZENZI Pierre, par BUSIGO Alphonse, ancien aide de camp de MWAMBUTSA, parmi les Hutu influents les plus fidèles à la monarchie.

Notons que ces fameux Hutu influents dont parle BUSIGO, faisaient partie du groupe CASABLANCA, dominé par des extrémistes ségrégationnistes Tutsi hostiles à NGENDANDUMWE !


Le 17 janvier, l'assassin présumé de NGENDANDUMWE est arrêté. Il s'agit d'un employé de l'ambassade des U.S.A. à Bujumbura, du nom de MUYENZI Gonzales. Entretemps, le 16 janvier, le secrétaire d'Etat à la gendarmerie, le Muganwa MAGENGE est démis de ses fonctions et est remplacé par le Muhutu SERUKWAVU Antoine.
Plusieurs arrestations ont lieu dans les milieux extrémistes Tutsi. La J.N.R. et la F.T.B. sont suspendues. L'enquête est confiée au substitut Hutu BUTOYI Marcien. Le bruit court à BUJUMBURA, dans les milieux Hutu, que l'assassinat de Pierre NGENDANDUMWE a été préparé à l'ambassade de Chine Populaire et a été exécuté par les extrémistes Tutsi pro-chinois. Pour accréditer la piste chinoise,l'ambassade de Chine sera cernée par la gendarmerie avant la supension officielle des relations diplomatiques le 29 janvier et l'expulsion des diplomates chinois.

Entretemps, Joseph BAMINA, Hutu du groupe CASABLANCA, remplace P.NGENDANDUMWE à la tête du gouvernement le 20 janvier.

 


*J.N.R. jeunesse Nationa1iste Rwagasore

F.T.B. Fédération des Travailleurs du Burundi


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LE COUP D'ETAT DU 18 AU 19 OCTOBRE 1965.

1- LES FAITS

1°Dans la nuit du 18 au 19 octobre, vers 2 heures du matin, des coups
de feu éclatent à la résidence du premier ministre. Celui-ci est
sérieusement blessé. D'autres coups de feu sont entendus du côté de
la résidence de MWAMBUTSA et à la caserne de la compagnie support de
l'armée.
C'est la panique, la confusion et la peur dans les foyers de
BUJUMBURA.

2° Au petit matin, le palais royal de BUJUMBURA est encerclé par des militaires sous le commandement du capitaine Michel MICOMBERO.

3° Entre 9 et 10 heures du matin, des échanges de tirs de mitrailleuses et de canons d'artillerie ont lieu au camp militaire de la compagnie support de BUJUMBURA,près de la rivière MUHA.

4° Dans la journée et la nuit du 19 octobre, des arrestations de députés, sénateurs, hauts fonctionnaires, militaires et gendarmes Hutu sont opérées.

5° Eclatement de troubles dès le 20 octobre, dans 1a région de BUGARAMA (MURAMVYA) au lieu d'origine de Paul MIREREKANO, également arrêté.

6° Fusillades dans la nuit du 21 au 22 octobre et au stade Louis RWAGASORE de 34 miliatires et gendarmes Hutu.

7° Fusillades, tout au long d'octobre, novembre et décembre, de la plupart de Hutu arrêtés, et ce en,violation des dispositions constitutionnelles et judiciaires de l'époque.

2- HYPOTHESES

Que s'est-il donc passé dans la nuit du 18 au 19 octobre ? A l'heure actuelle, personne parmi les Hutu ne connaît la vérité. Nous sommes réduits aux hypothèses.

- La première hypothèse est la plus connue.. L'opinion publique a en effet retenu qu'il s'agissait d'un coup d'Etat Hutu. Le comportement et les déclarations de certains policiers Hutu au cours de l'été 1965 le laissaient supposer, comme nous l'avons vu après la formation du gouvernement BIHA.

Mais, qui alors est allé attaquer le premier ministre ? Qui a tiré les coups de feu à la résidence de MWAMBUTSA ?


Pour les Tutsi, le coup d'Etat était conduit par le secrétaire d'Etat à la gendarmerie, Antoine SERUKWAVU. Mais, celui-ci a toujours affirmé n'avoir joué aucun rôle dans les événements du 10 au 19 octobre. Il n'a cependant pas expliqué pourquoi et comment il a quitté BUJUMBURA pour le Rwanda dès 7 heures du matin.

 


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- La deuxième hypothèse est la mutinerie simple d'une partie de l'armée ou de la gendarmerie. Mais, quels étaient les chefs des mutins ? Quels étaient leurs mobiles ?

Est-ce la "compagnie support" de l'armée commandée par le capitaine Hutu Fidèle NDABAHAGAMYE, qui a été encerclée et neutralisée le 19 octobre à 10 heures par un détachement des commandos de KITEGA ? Est-ce une partie de la gendarmerie de BUJUMBURA ?

- La troisième hypothèse est la provocationn. Les extrémistes Tutsi ont pu eux-mêmes organiser un simulacre de coup d'Etat pour ensuite
exécuter plus facilement le fameux plan SIMBANANIYE-MUHIRWA. D'après plusieurs témoignages, les deux premières hypothèses ne sont pas à écarter. Quant à la troisième, elle est tout aussi vraisemblable, surtout quand on se réfère à la suite-des événements et leurs conséquences tragiques pour les Hutu.

Bilan du génocide contre les Hutu en 1965

- environ 10.000 Hutu tués par les autoritéés du Burundi (dont parmi les tués : 50% de fonctionnaires Hutu et 70% de militaires Hutu)

- environ 2.000 réfugiés Hutu.

 

Extraits de "L'historique des relations Hutu-Tutsi", Oeuvre collective de la communauté des réfugiés burundais en Belgique 1986-1987.


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LE PLAN ARTHENON SIMBANANIYE D'EXTERMINATION DES HUTU

 

RAPPORT POLITIQUE

MINISTERE DE L’INFORMATION

CABINET DU MINISTRE

N° 093/100/CAB/68

Objet : Rapport Politique

 

A Monsieur le Président de la République du Burundi

à Bujumbura

Monsieur le Président,

Conformément à la politique du nouveau régime de confronter nos vues et de conjuguer nos efforts pour réaliser les idéaux de la révolution, j’ai l’honneur d’émettre quelques commentaires sur la situation politique du pays.

Le climat politique accuse une certaine tension. Des bruits de coup d’Etat et des incendiaires circulent et tourmentent l’opinion publique. La population s’inquiète, se méfie et veille.

Fort heureusement, des meetings d’information et d’apaisement organisés par le Ministère de l’Intérieur et le parti ramènent peu à peu la quiétude dans les esprits.

Si l’on analyse la cause de cette petite crise qu’on vient de passer, on remarque un refroidissement des rapports entre citoyens qui peut se développer en une haine raciale.

En effet, il existe aujourd’hui des manières et des façons non cartésiennes d’aborder les problèmes chaque fois qu’ils se posent. Les suspicions sont devenues "à sens unique". Et ceci s’explique à la longue parce que les diffuseurs des faux bruits développent toujours le même thème : la récidive de 65. Alors ce thème diaboliquement répandu dans la population provoque le réflexe de défense et devient "le péril hutu" réclamant "une lutte pour la survie". Résultat, on constate une vigilance pré-orientée qui guette et traque les mêmes cibles. Et une ethnie est sujette à des suspicions permanentes, chaque hutu devenant nécessairement raciste et subversif.

Si l’on se réfère à la vie courante, on relève vite ce regrettable état de choses. En effet, aujourd’hui quand deux ou trois Hutu se rencontrent pour trinquer un verre, on conclut tout de suite à un complot de subversion. Alors l’imagination féconde des esprits malicieux tisse une épopée autour du fait; et voilà une crise qui jette la masse dans la stupeur!

 


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Si un Hutu monte pour visiter ses parents à l'intérieur, les autorités provinciales sonnent l'alerte et le filent indiscrètement et sans façon. Après son départ, elles organisent des interrogatoires pour toutes les personnes visitées, orchestrent des rumeurs diffamatoires et montent des complots de tactique pour simuler des incidences fâcheuses de sa visite. Et souvent des arrestations arbitraires s'ensuivent. Résultat, il y a des gens qui n'osent plus aller chez eux pour ne pas exposer leurs parents à des machinations torturantes.

Essayons d'éclaircir la situation en dénonçant les tactiques, les pratiques et les esprits en présence. C'est peut-être le seul moyen de sauver l'unité en péril. Car nos sermons et l'état actuel des choses démontrent la vulnérabilité des principes quand on les oppose aux passions.

La situation empoisonnée actuelle prouve l'existence d'un racisme hutu-tutsi dans nos murs.

Du côté hutu, on compte des théoriciens d'une vraie démocratie à instaurer. Ceux-ci constatent que la structure administrative jusqu'en ses échelons les plus modestes est tutsi et condamnent le népotisme conscient ou inconscient qui résulte de ce monopole. En plus de ces incriminations, ils s'insurgent contre les tyrannies et les injustices facilitées par cette forte homogénéité éthnique dans l'administration de l'Etat.

Face au principe tutsi d'auto-défense, les Hutu trouvent que les Tutsi ont inventé des thèses du "péril hutu' et de la "lutte pour la survie" pour créer des occasions de les torturer et de prolonger ou perpétuer leur domination.

C'est ainsi, disent-ils qu'on jette la terreur dans la masse, qu'on oriente des suspicions préconçues aux Hutu devenus nécessairement racistes et subversifs, qu'on le guette, qu'on leur attribue des complots invraisemblables et qu'on les mine moralement et physiquement par des malices diaboliques.

On parle même d'un "apartheid" tutsi qui se prépare !

Voilà l'histoire : une organisation raciste tutsi possède un programme d'action dont SIMBANANIYE Arthémon serait l'auteur'. Le programme vise l'instauration d'un certain "apartheid" au Burundi. Sa réalisation s'opérerait en trois étapes :

1. Semer la haine entre les ethnies en noircissant fortement quelques hauts intellectuels Hutu ;

2. Vous faire disparaÎtre physiquement pour plonger le pays dans la confusion et la colère ;

3. Tablant sur les faux bruits déjà en circulation, crier haro sur les Hutu pour récidive de 65.

Alors il ne restera plus qu'à lancer une répression sanglante sur des cibles choisies d'avance et à se montrer très actif dans l'épuration criminelle pour réclamer le pouvoir comme rançon de son zèle. Après ce coup de balais, l'apartheid règnera au Burundi et le "péril hutu, sera anéanti à jamais.


La position hutu se définit essentiellement par cette peur, ces

 


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incriminations et ces revendications. Le Hutu regrette en outre son absence dans les organes de vigilance (la sûreté et la justice) et son accession difficile aux postes de confiance.

Mais, à mon avis, tous les Hutu, sauf certains qui sont à l'étranger et qui doivent justifier l'argent reçu des forces du mal, ne réclament que de vivre en paix et de bénéficier de la justice. Quant aux droits à recouvrer, je crois que tous confient cette mission au jeu de l'histoire dans une compétition loyale. Le mythe d'incendiaires et des subversifs qu'on leur attribue s'explique uniquement par l'adage : "Qui veut noyer son chien l'accuse de rage".

Aussi lorsqu'il y a une petite crise à caractère racial, il faudrait beaucoup d'impartialité, beaucoup d'exigences pour apprécier la valeur des renseignements et arriver à des conclusions justes de l'enquête. Et on devrait bannir la manie de coffrer les gens avant que le culpabilité ne soit établie ; car l'innocent qui y passe croit tout de suite à la complicité des organes de vigilance dans l'injustice endurée.

Ceci est vrai puisque souvent dès esprits chagrins mus par des rancunes ou des inimitiés personnelles fomentent une crise et s'arrangent avec des faux témoins pour faire coincer leurs ennemis personnels. Autre chose qui contribuerait à assainir les méthodes de répression, serait de sévir contre les faux témoignages et les faux renseignements. Car aujourd'hui, pour en avoir plus ou moins souffert tous, nous savons qu'il y a des gens qui s'évertuent à diffamer et à noircir des honnêtes hommes. Il est étonnant de constater qu'aucune répression ne se fait de ce c8té et qu'on se plait plut8t à se laisser prendre dans leur piège, alors que ces gens-là sont responsables des crimes que nous vivons trop souvent.

Aussi longtemps que toutes ces précautions et ces mesures ne seront pas prises, un fossé est en train de se creuser et une haine s'installe dans nos populations. L'unité que nous chérissons tous est donc au prix de la justice.

Du côté tutsi, beaucoup ont cru à la force du "péril hutu et s'organisent en défensive ou en offensive. L'exemple rwandais les hante et le coup de 65 les raffermit dans leur position. Il en résulte des méfiances et des suspicions envers tout geste hutu.

 

Et il se crée tout le climat dont les Hutu se plaignent.

En conclusion, comme l'a constaté le conseil du Cabinet du 12 avril 68 dernier, nous nous trouvons en face d'un faux problème mais qui risque de devenir un vrai. Car ceux qui dénoncent le péril hutull cherchent par ce truchement de haine à servir leurs ambitions personnelles ou à se maintenir à des places acquises indûment, comme ceux qui parlent des droits à recouvrer veulent se hisser à tout prix à des postes convoités (ou sont à la solde des étrangers). Ce que veut le peuple, c'est le pain, la paix et la justice (le reste faisant l'objet d'une concurrence loyale. Cependant si le problème n'est pas traité adéquatement et impartialement pour que la sauvegarde, l'unité soit une conviction appliquée, il deviendra un vrai problème qui compromettra notre Révolution).

 

Il nous faut donc maintenant prêcher par la parole et par l'exemple pour sauvegarder et raffermir l'unité monolitique de tout le peuple murundi sur les plans politique et idéologique. C'est alors, et alors seulement

 


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que se créera l'ambiance propice au rayonnement de la Révolution et où l'enthousiasme politique et l'ardeur au travail de tout le peuple s'élèveront d'une façon extraordinaire dans tous les domaines de la reconstruction nationale.

 

 

Le Ministre de l'Information, NDAYAHOZE Martin.

 

 

 

 

 

cfr. TINA Noveri "Burundi Requiem" per ABELE, Edizione Dehoniane, Bologna.

 

 


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ARRESTATIONS ET FUSILLADES EN 1969

 

Au lendemain du coup d'Etat militaire du capitaine Michel MICOMBERO, furent supprimés : le pluralisme politique en vigueur depuis l'indépendance, le sénat, le parlement et tous les partis d'opposition. Tous les Burundais furent forcés d'intégrer le parti au pouvoir UPRONA, ainsi que ses mouvements intégrés. (J.R.R., U.F.B., U.T.B.) (1) Les rares leaders encore vivants,et les intellectuels ou étudiants Hutu prirent plus que jamais conscience de leur situation de "majorité minoritaire" perpétuellement en danger de mort. La plupart d'entre eux adoptèrent un profil bas : "Hagupfa wozanzama" (mieux vaut survivre que trépasser) telle semblait être leur devise. Seule, une minorité d'étudiants Hutu à l'étranger, essaya de s'organiser.

- En 1967, vu le vide politique laissé par les massacres de 1965 chez les BAHUTU, les BATUTSI évoluaient sans entraves : une propagande effrénée à travers les médias nationaux et internationaux rendait les Hutu responsables des événements d'octobre 1965. On alla jusqu'à les qualifier du terme infamant "d'abamenja" (régicides). Ce terrorisme intellectuel savamment entretenu par MICOMBERO et ses acolytes porta ses fruits : les Hutu avaient tellement peur de s'organiser, qu'ils en arrivèrent à éviter de se parler en public, vu le système d'apartheid et le terrorisme psychologique installés depuis le coup d'Etat de novembre 1966. Les extrémistes Tutsi achèvent d'affiner la réalisation du "plan-génocide" concocté par André MUHIRWA et ses amis politiques dès 1962. Ce fameux plan sera porté à la connaissance des Hutu grâce à Martin NDAYAHOZE, ministre dans l'équipe de MICOMBERO.

- En 1968, celui-ci commença à dévoiler queelques coins de ce plan, et lors de son discours du ler juillet, il expliqua sa tactique : quand on a un fagot à brÛler, il vaut mieux s'y prendre arbrisseau par arbrisseau, sinon on se complique la vie.

- Ainsi dit, ainsi fait, puisqu'un an plus tard, il procédait aux arrestations massives et à l'exécution d'un grand nombre de Hutu en vue à l'époque, non sans avoir hypocritement dénoncé "le tribalisme", lors de son discours inaugurant les cérémonies du 2ème anniversaire de la République, le 28 novembre 1968.

 

 

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UPRONA: Union pour le Progrès National
J.R.R.:Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore
U.F.B.:Union des Femmes Burundaises
U.T.B.:Union des Travailleurs du Burundi

 


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Dès le 18 septembre 1969, Michel MICOMBERO fit procéder à des arrestations dans les milieux militaires, civils et religieux Hutu, touchant des leader comme Charles KAROLERO, Nicodème KATARIHO, Mathias BAZAYUWUNDI, Cyprien HENEHENE, ...


Trois mois après, soit à l'aube du 25 décembre 1969, 23 parmi les prisonniers furent passés par les armes, sans oublier ceux qui sont morts en prison
suites à des tortures.

Ces Hutus furent fusillés, malgré de nombreuses démarches et pressions extérieures auprès du gouvernement Tutsi.

Les exécutions des Hutu se poursuivirent tout au long de l'année 1969.

Le bilan du génocide de 1969.:

- 500 Hutu tués par les autorités du Burunddi
(dont - parmi les tués - la quasi totalité des officiers et sous-officiers
Hutu, ainsi que la plupart des hauts fonctionnaires Hutu)
- 300 réfugiés Hutu.

 

 

Extraits de "L'historique des relations Hutu-Tutsi", Oeuvre collective de la communauté des réfugiés burundais en Belgique 1986 - 1987.


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CHAPITRE 3: Le génocide de 1972

 

 

 

 

 


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MECANISMES DU GENOCIDE DE 1972.

Dans le dossier "Naufrage au Burundi" de septembre 1972, on lisait :

"Dans ce pays sans statistiques et sans informations libres, comment pourrait-on savoir ? Qu'importe. De tels massacres ont déjà eu lieu en territoire décolonisé, mais une tentative de naufrage radical par la suppression de l'élite politique, sociale et culturelle d'une ethnie par l'autre, a-t-on vu cela ? même au Biafra ? même au Bengale ? Lorsque les haines raciales se déchaÎnent, il est rare que les bourreaux se trouvent dans un camp et les victimes dans l'autre".


Les faits

Le 15 mars 1972, Mgr Makarakiza dénonce un complot hutu. La sûreté générale administrée par Bizindavyi et le commandant NDIKUMANA partent en Tanzanie pour organiser une surveillance des Hutu, les frontières restent ouvertes.

Le 30 mars 1972 se passe le kidnapping de Ntare V en Uganda grâce à la complicité d'Idi Amin et de Micombero. Ramené à Bujumbura, il est accusé d'avoir voulu renverser la république pour réinstaurer la monarchie avec l'aide des mercenaires blancs et des Burundais monarchistes. La radio invite la population à veiller.

Le 26 avril 1972, une assemblée du parti Uprona prend des mesures de répression contre tous ceux qui n'ont pas encore adhéré à la JRR et demande au président de la république de décréter une loi instituant la suprématie du parti Uprona.

Le 27 avril 1972 Shibura Albert, ministre de l'Intérieur, va à Nyanza Lac et distribue des armes aux intellectuels Tutsi et ceux qui sont influents dans la masse ; par erreurs quelques Hutu en reçoivent.

Le 28 avril 1972 se réunit le Conseil des ministres. On ne sait trop ce qui s'est décidé, mais il semble que l'unanimité ne s'est pas faite quant au sort à réserver à Ntare V. Le tiraillement décida probablement

Micombero à révoquer son gouvernement. Les ministères sont dirigés par les directeurs généraux.

Le 29 avril 1972 Shibura et Yanda terminent la distribution des armes dans la province de Bururi et reviennent à Bujumbura dans la nuit. Une fête des officiers était organisée. Plus tard le gouvernement dira que le complot des Hutu consistait en une exécution de tout le monde participant à cette fête. Remarquons qu'il n'a pas exhibéles preuves de ce complot Hutu.


Ntare V est exécuté, dans la nuit, à Gitega (par le major Shibura ?). Un couvre-feu est imposé à tout le pays.

Le ler mai 1972 la radio de Bujumbura annonce que de sérieux combats se déroulent dans le sud du pays et qu'il s'agit de Mulelistes venant du Zaire aidés par les Inyenzi (monarchistes rwandais) et des Barundi monarchistes. Tout rassemblement de plus de trois personnes est interdit


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près des bâtiments administratifs ou dans des lieux publics. Remarquons que le gouvernement a parlé de "Mulelistes", sans doute pour attirer l'attention de Mobutu, d'"Inyenzi" pour ne pas inquiéter Kayibanda et de 11 monarchitesl' pour endormir les Hutu. Le 2 mai 1972 la radio annonce que le devoir et le droit de tout Burundais sont de dénoncer tout fauteur de trouble. La révolte est cette fois attribuée aux tribalistes, sous-entendu les Hutu, dans le but de mobiliser les Tutsi contre les Hutu et attirer la sympathie de la Tanzanie, de toute l'Afrique au sein de l'OUA ainsi que l'opinion internationale.


Synthèse des mécanismes du génocide


Les mécanismes du génocide sont synthétisés dans "le plan de génocide" élaboré par André Muhirwa et repris par Simbananiye.

1. Semer la haine entre les ethnies en noircissant fortement quelques hauts intellectuels Hutu.

2. Faire disparaÎtre physiquement le chef de l'Etat pour plonger le pays dans la confusion et la colère.

3. Tablant sur les faux bruits déjà en circulation, crier haro sur les Hutu pour la récidive de 1965. Alors il ne restera plus qu'à lancer une répression sanglante sur les cibles choisies d'avance et se montrer très actif dans l'épuration criminelle pour réclamer le pouvoir comme rançon de son zèle. Après ce coup de balais, l'apartheid règnera au Burundi et le "péril Hutu" sera anéanti. à jamais (rapport politique 093/100 Cab/68, Bujumbura 1968).

Remarquons que le plan de génocide a connu quelques modifications : ce n'est pas le chef de l'Etat de l'époque, Michel Micombero, qui a été éliminé, conformément au point 2 du plan de génocide, mais l'ex-chef' d'Etat, Ntare V.


Les méthodes utilisées pour tuer


Cela dépendait de la région où on se trouvait. Les premières victimes, c'est-à-dire pendant les trois premiers jours, ont été tuées au fusil, ceci répondant à la nécessité de faire vite étant donné qu'il s'agissait de faire disparaÎtre les hauts fonctionnaires Hutu. Dans la région de Jenda-Mwaro, on tuait les Hutu à l'aide de bambous. Dans la région du sud, on utilisait des machettes et des massues ...
A Bujumbura (vers le 15 mai 1972), à la prison de Mpimba on tuait avec des bambous qu'on avait fait venir de Jenda.
Dans la région de Kirimiro et du nord on tuait à la massue et beaucoup furent enterrés vivants.
La plupart des étudiants ont été tués à la baillonnette. Beaucoup sont morts d'étouffement dans les salles où on les enfermait en surnombre. D'autres Hutu martyrisés ont été tués par empalement et écartèlement.

 

Les listes :

Les listes des fonctionnaires et des personnes influantes d'ethnie Hutu avaient été faites longtemps à l'avance. Néanmoins, dans les écoles, ce sont les élèves Tutsi qui établissaient les listes de leurs camarades. Quant aux paysans, ils ne nécessitaient pas de listes. Comme la JRR et l'Uprona avaient encadré le pays depuis 1968, les paysans Tutsi savaient très bien qui était Hutu et qui ne l'était pas ; le ramassage se faisait sans aucune confusion.


Les responsabilités :

La responsabilité ou l'établissement de la culpabilité du régime ségrégationniste Tutsi est aisée à établir étant donné les faits cités plus haut. 

Grâce à la Sûreté les listes des Hutu étaient centralisées et confiées soit à l'armée quand son concours était nécessaire, soit à la JRR organisée en milice paramilitaire par le Parti Uprona.

Quant à la radio nationale elle servait de courroie de transmission rapide entre les mains des commanditaires du génocide dont Micombero était le chef. Elle trompait les Hutu pour mieux les faire attraper, tout ignorants qu'ils étaient du programme en cours de réalisation.  Elle annonce aussi que quelques-uns ont été capturés et que certains rebelles se dirigent vers Ngozi. "Habwirwa benshi hakumva benevyo", les Tutsi, à partir de ce jour mettent à jour les listes des Hutu et certaines étaient déjà dans les mains de la Sûreté, les rafles avaient déjà commencé.

Le 3 mai 1972, des munitions, deux cents hommes de troupes et deux bombardiers arrivent du Zaîre. La radio nationale annonce pour la première fois que des étudiants et des mercenaires entraînés à l'étranger ont envahi le pays.

Le 4 mai 1972 la radio nationale répète que le soulèvement est l'oeuvre des tribalistes (sous-entendu Hutu) antirévolutionnaires et que les auteurs ont été arrêtés. Elle demande à la population de former des groupes de vigilance et appelle les membres de la JRR à Ngozi à coopérer pour combattre l'ennemi.

Depuis le ler mai 1972 les habitants de Bujumbura voient des camions chargés de prisonniers et de cadavres dissimulés sous les bâches, s'en aller vers des charniers où les buldozers les recouvrent de terre.

Les fonctionnaires, les dirigeants d'entreprises, les responsables, les étudiants, les professeurs, les possesseurs de comptes dans les caisses d'épargne ou à la poste, les employés, les ouvriers, même des domestiques ... tous d'origine Hutu, ont été arrêtés et exécutés. Quant au peu de Hutu qui étaient encore à l'armée, leur sort avait été réglé au début des massacres.

Le 14 mai 1972, Nyamoya Albin est nommé premier ministre et deux jours après la formation du gouvernement les massacres de Hutu continuent.

L'armée continue à tuer à Bubanza, Bujumbura, Ngozi, Gietaga et Muramvya. Quant à Burui la tuerie n'a plus de raison d'être, vu l'extermination des Hutu qui s'y était opérée depuis le 29 avril et la grande masse qui avait fui en Tanzanie.

Le 24 novembre 1972, des promotions sont décernées au sein de l'armée. Le Lieutenant-Colonel Ndabemeye Thomas devient Général et Chef d'Etat-Major, le Major Nzohabonayo et le Capitaine Bagaza deviennent


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Lieutenants-Colonels, en même temps que ce dernier est nommé Chef d'Etat Major adjoint. On peut se poser la question suivante : est-ce que ces promotions n'étaient pas une récompense à leur bravoure dans les massacres des Hutu.

Le 5 juin 1972, le "Pourquoi Pas ? "avançait le chiffre de deux cent mille victimes contrairement au chiffre de dix mille rebelle tués avancé par le gouvernement pour cacher son ignominie, le 30 mai 1972. Dans toutes les guerres il existe des prisonniers et les victimes dans les deux camps, mais dans celle qui s'est déroulée au Burundi il n'y a eu que des victimes Hutu.Si la thèse que le gouvernement avance, à savoir des combats sanglants dans tout le pays, pourquoi n'y a-t-il eu que des réfugiés hutu dans les pays limitrophes ? La seule thèse que nous pouvons retenir pour nous et faire valoir à l'opinion internationale est qu'il y a bel et bien eu un génocide dirigé contre les Hutu, qui tire ses sources des structures héritées de la colonisation et de la féodalité qui ont favorisé les Tutsi, et qui a été orchestré dans le cadre d'un plan préétabli (cfr. plan de génocide).

Bilan : environ 300.000 morts, soit plus de 7 % de la population et plus de 13 % de la population masculine de l'ethnie hutu.

Tel un serpent qui hypnotise un rat, le gouvernement empêchait les Hutu de fuir ou de se défendre en leur répétant sans cesse qu'il n'y avait que les coupables qui étaient visés. Alors, les Hutu se sachant honnêtes ne voyaient pas la nécessité de s'inquiéter, jusqu'au moment où le rouleau compresseur frappait à la porte. En outre, la radio nationale servait les sanguinaires en trompant l'opinion internationale par la diffusion de fausses informations, comme on l'a vu plus haut. La Sûreté, l'armée, le parti Uprona et ses mouvements intégrés, font partie intégrante du régime, leur responsabilité dans ces tueries est nette.

 

L'attitude de la population :


a) La population Tutsi :

Pendant cette période, la population tutsi s'est révélée d'une cruauté et d'un sadisme jusque là insoupçonnés. L'union tutsi, ayant été renforcée après l'affaire des Banyaruguru. Jusqu'à l'adolescent, ils se sont montrés très actifs dans l'élimination des Hutu pour mieux exécuter le plan de génocide. Par exemple, des jeunes Tutsi de neuf' à douze ans établissaient des listes de leurs camarades de classe pour qu'ils soient exécutés. Quant aux adultes, leur comportement barbare dépasse l'entendement ; ils allaient jusqu'à éventrer les femmes enceintes, soi-disant pour éradiquer la mauvaise graine hutu.

 


b) L'attitude des Hutu :

Contrairement aux Tutsi unis, pour eux c'était le sauve-qui-peut. Un


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Hutu n'hésitait pas à dénoncer d'autres s'il était contraint à le faire. D'autres qui ne savaient pas de quoi il s'agissait, livraient même leurs enfants. C'est ainsi, par exemple, qu'une mère livra son enfant qui étudiait en 7ème année primaire, parce que l'autorité communale s'était présentée, disait-elle, pour faire une enquête. Alors, la mère estimant son enfant assez grand et intelligent pour répondre aux questions l'autorité, l'envoya à la mort. D'autres, enrôlés dans la JRR, de gré ou de force, exécutèrent leurs frères sans savoir que leur tour viendrait le lendemain. Ceux qui se rendaient compte de la réalité, prirent le chemin de l'exil, vers les pays limitrophes.


c) L'attitude du clergé burundais

Contrairement à la réaction de l'épiscopat burundais lors du procès de Banyaruguru (Tutsi), qui demandait l'arrêt de l'arbitraire et le respect des droits de l'homme, cette fois la réaction des évêques allait dans le sens voulu par les auteurs du génocide. L ' évêque de Bujumbura, Michel Ntuyahaga; s'en prit aux tribalistes "Hutu" au cours d'un sermon à la cathédrale Regina Mundi. L'archevêque du Burundi, André Makarakiza, fut encore plus virulent dans son célèbre sermon du 15 août 1972 à la grotte Marielle de Mugera contre les tribalistes, "fauteurs de troubles". Bref, ils soutinrent l'injustice.


L'attitude du monde extérieur :

Ce n'est qu'après l'exécution du plan de génocide que le monde extérieur a été mis au courant de ce qui s'était passé au Burundi. Ceci est dû au fait que les autorités burundaises avaient verrouillé les frontières jusqu'aux environs du 20 mai 1972. C'était trop tard. Les observateurs étrangers ne pouvaient plus rien voir : tous les cadavres étaient déjà enterrés et les traces de sang minutieusement effacées.
Néanmoins, le monde extérieur a été horrifié. Le premier ministre belge de l'époque a parlé de génocide, le secrétaire général de l'ONU a parlé de tragédie, le pape a envoyé une lettre de protestation à Micombero...Toutefois, nous regrettons vivement le silence des chancelleries étrangères établies à Bujumbura, qui n'ont rien dit alors qu'elles avaient les moyens de contourner le verrouillage de l'information imposé par le gouvernement.

Extraits de "L'histoire des relations Hutu-Tutsi", par la Communauté des réfugiés burundais en Belgique
1986-1987

 


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IL FAUT RESTER ENFERME AU COLLEGE

TEMOIGNAGE D'UN ELEVE DU COLLEGE DON BOSCO (NGOZI)


Voici quelques détails des événements au collège Don Bosco durant les derniers mois de l'année scolaire 1971-1972.

Samedi, 29 avril, rien de particulier. Même la nouvelle d'après laquelle Micombero a dissous le gouvernement n'a pas encore pénétré l'intérieur de nos toits. Mais la paix n'allait point durer.

Dimanche matin, une voiture vint s'arrêter à l'entrée de notre salle d'études. Un homme en sort, en tenue militaire ; le commandant des forces armées de Ngozi, Mr Bizoza Joseph. Il s'avança vers notre groupe avec un air empressé. Sans doute a-t-il quelque chose de très urgent à nous dire : "Citoyens, notre pays est en danger, une bande de mercenaires veut s'emparer de notre cher patrimoine. Déjà à Bururi, des gens ont péri ; pour éviter que le désordre ne gagne votre secteur, vous devez rester enfermés au collège ; plus de consersations avec les ouvriers et n'écoutez plus la radio. Si l'un d'entre vous viole un de ces ordres il sera poursuivi par la justice. A vous de veiller de lutter". Puis il disparaÎt nous laissant dans le doute. Pourquoi de telles mesures ? Pourquoi un ton pareil ? Pourquoi de telles menaces ?


Toutes la semaine s'écoule dans le calme et dans la peur, car nous ignorons tout ce qui se passe au-delà de notre clôture. Mais la paix du collège était au bord de la tombe. Après six jours, un professeur hutu, maÎtre en chimie est arrêté. De quoi était-il coupable ? Je n'en savais rien alors. Ce ne fut pas lui seul, car un jour plus tard, trois autres le suivirent. Mais les Tutsi sont d'une ruse sans pareille ; pour ne pas faire soupçonner leur programme d'élimination, ils arrêtèrent tous lesprofesseurs hutu et tutsi. Pourtant la situation ne tarda pas à être éclaircie, car deux jours après, tous les tutsi étaient de retour alors que les hutu avaient succombé sous le poids du marteau.


Nous avons observé à la lettre les ordre de Bizoza, mais cela n'empêcha pas que mercredi 16 mai (ou le 17), les militaires pénétrèrent à l'intérieur de notre institut. Trois étudiants furent emportés par les ravisseurs ce jour-là. Le lendemain nous réservait une surprise.

Il était neuf heures du matin lorsque les mêmes militaires cernèrent le collège : trente-cinq élèves furent appelés et arrêtés, vingt-et-un hutu et quatorze tutsi. A sept heures du soir, la "belle" ethnie revint toute joyeuse. Il était inutile de leur demander où étaient leurs vingt-cinq autres condisciples. D'ailleurs, nous connaissions leur jugement sur les vingt-quatre hutu du cycle supérieur qui avaient déjà disparu.

Jusqu'à ce moment, nous sommes restés calmes et aimables envers les morts et les assassins. Les militaires, voyant qu'ils avaient tout leur temps et que nous étions étroitement surveillés, ne vinrent plus nous déranger dans les jours qui suivirent. Seul, le commandant Bizoza Joseph passait chaque jour au collège pour voir si tous les septante-quatre étaient là et qu'il n'y avait pas quelque problème à régler.


 

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Les tutsi faisaient leur possible pour nous déranger, mais cela ne nous faisait rien. Personne ne répliquait malgré notre nombre important. Heureusement d'ailleurs, car si nous avions bougé, tout le collège aurait été écrasé.

La vie continua dans la même atmosphère jusqu'au 23 juin, veille de nos vacances. Mr Bizoza qui n'avait cessé de perturber notre tranquillité revint nous donner ses derniers ordres : "Demain, vous irez en vacances. Vous rencontrerez des gens qui vous diront toutes sortes de choses, et gare à vous si vous les croyez ! Vous ne pourrez partir qu'avec un laissez-passer que je vous donnerai tout à l'heure. Ce papier, vous irezle présenter à votre administrateur quand vous serez rentrés. J'insiste encore une fois pour que tout le monde aille chez lui et veille à ce que je viens de dire. Merci".

Après ce discours sec, des laissez-passer nous ont été distribués et nous sommes allés faire nos valises." Ce fut mon dernier jour au collège.


N.R. Collège de Ngozi

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QUAND L'HOMME NE TROUVE PLUS DANS L'HOMME UN SEMBLABLE


TEMOIGNAGE D'UN ETUDIANT A L'UNIVERSITE OFFICIELLE DE BUJUMBURE


Tout commença dans la nuit du samedi 29 avril 1972, alors qu'à midi, le président Micombero venait de révoquer son équipe ministérielle. Ce soirlà, j'avais eu l'occasion de passer la nuit dans ma famille, à la maison, en compagnie de mes frères et soeurs, comme c'était le cas chaque week-end.


Des racontars qui ne terrifient pas

Le lendemain matin, à mon réveil, des bruits couraient comme quoi il y avait eu une attaque en ville, que des hommes avaient été tués, des véhicules brûlés. Ces racontars ne me terrifièrent pas. J'y voyais un rejaillissement de ce régionalisme séculaire des Tutsi qui était le problème à la page. Je n'imaginais surtout pas un affrontement entre Hutu et Tutsi, car je savais que tous les Hutu intellectuels, fils issus des masses populaires, avaient été décimés au cours des dix années d'indépendance. J'étais sûr que le pays appartenait désormais aux Tutsi pour un certain nombre d'années et que le peuple n'arriverait plus à prendre les rênes du pays.

Le pays appartenait aux Tutsi, minorité seigneuriale et oisive passant une grande partie de son temps à parler de sa beauté et tenant en tutelle, en esclavage une majorité paysanne, travailleuse séculaire produisant pour la petite minorité. Et cette majorité c'est le peuple Hutu, d'origine bantoue.

Donc, ce lundi matin, je me rendis à l'université. Là comme toujours quand il y a un incident politique, on ne voyait que des groupes hermétiquement fermés ici des Tutsi du Bururi, là des Hutu, plus loin des Tutsi de Muramvya tout cela rendait la situation plus confuse. Petit à petit je commençais à y voir un mauvais présage : "Si c'est nous, me disais-je, nous seront particulièrement raccourcis".


Premières arrestations (ler mai)

Très vite, le voile fut levé, la situation devint claire. Ce soir-là, une petite camionnette arriva au campus universitaire avec deux agents de la Sûreté. L'un d'eux sortit un petit billet sur lequel étaient inscrits des noms. Et quand il commença à faire l'appel, il n'y eut plus de doute, nous étions visés. Des étudiants hutu, les plus remarquables, étaient convoqués afin de subir un interrogatoire comme dans toute société respectant la dignité humaine. Nous ignorions que c'était là l'extinction brusque de leur vie encore fleurie de jeunesse et de volonté. Ce qui fut surtout remarquable c'était que ce coup frappa d'abord les garçons intelligents des faculés de médecine et de sciences. Car il faut l'avouer, sans aucune prétention, ces deux facultés constituaient le fief des étudiants hutu tandis que les étudiants tutsi s'inscrivaient à la Faculé de Lettres et de Droit. La raison est simple : les Hutu savaient qu'il leur fallait posséder une carrière technique sérieuse, exigeant une formation incontestable et exigeante pour trouver un emploi.

 


 

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Donc, on emmena les vingt premiers étudiants hutu, tout le monde s'attendait un peu naïvement à leur retour, après un interrogatoire ; pour moi, le sort des Hutu était déjà décidé. Conscient du caractère sanguinaire des Tutsi et sur-tout de leur cynisme et de leur haine envers les masses paysannes hutu et envers la jeunesse intellectuelle montante, j'entrevis le prétexte dont ils allaient se servir pour laisser exploser leur haine, déjà difficilement contenue et pour massacrer impitoyablement le peuple. D'autres étudiants avaient aussi compris, mais sachant leur tristesse dans l'incapacité de se révolter et dans la réserve bien connue du peuple hutu, ils ne pouvaient que se taire et subir innocemment ces atrocités.


Mardi passa, mercredi, jeudi, les étudiants crurent que leurs compagnons arrêtés méritaient peut-être leur sort et qu'il n'y en aurait plus d'autres. Le coeur revint en place, le pessimisme céda à l'optimisme. Mais vendredi recélait dans son sein notre destinée. Ce vendredi qui restera éternellement gravé dans ma mémoire, vendredi qui montra la cruauté, combien dégradante du Tutsi, de son sous-développement mental, ce vendredi qui m'apprit que l'homme qui ne voit plus dans l'homme un semblable, est plus animal qu'un animal.


Hécatombe des universitaires hutu (5 mai)

Il était neuf heures, nous étions en classe. Brusquement un bruit se fit entendre à l'extérieur. Cric ! Crac ! Un bruit sec, saccadé. Et tout à coup, en un instant, la porte de l'auditorium s'ouvre. Trois hommes armés, en tenue de campagne, revolver au poing, prêts à tirer, font irruption dans la salle. Un soupir bref de désespoir s'échappe de la poitrine des étudiants "Silence", ordonna le premier des trois militaires. Il sortit alors d'un énorme livre, un papier qu'il présenta au Doyen de la faculté. Je pus voir sur la feuille deux photos - format de passeport - l'une du Président Micombero, l'autre du Procureur de la République : c'était le mandat d'arrêt.

Après avoir vu la signature même du Président, le professeur était désormais dans l'impuissance de dire quoi que ce soit. Le militaire était un commandant, homme noir, avec un nez en falaise, de petits yeux enfoncés profondément dans le crâne, un vrai représentant de la mort. Il se tourna vers les étudiants et vociféra "Certains parmi vous doivent être arrêtés. Tout le monde dehors Je vis tout d'un coup, parmi les étudiants, des visages pâles et décolorés, des visages sans plus aucun espoir dans la vie, et d'autres, au contraire, souriants et cyniques, des visages de trahison.

Quant à moi, je tremblais , une sueur formée de gouttes aussi grosses que des gouttes d'eau me dégoulina tout le long du visage. La mort était devant moi. C'était fini ! Les forces tribalistes avaient explosé, il était impossible de les retenir. Ou fuir, ou ne pas fuir ? Des instruments de mort étaient braqués dans tous les sens, tout le campus était encerclé ; des soldats avec armes lourdes : jeep, blindés, mitraillettes, mitrailleuses et 1es autres machines encore que le monde moderne a pu inventer. Un observateur étranger aurait cru deux fronts sérieux en guerre. C'était horrible à voir tout cet attirail d'armes légères et lourdes, de baïonnettes et de petits couteaux arrondis, que le gouvernement tutsi avait osé mobiliser pour réduire en pièces quelques étudiants innocents, complètement ignorants de ce qu'on leur reprochait.


 

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Tout le monde, sauf les Blancs, fut groupé à l'extérieur de la salle Hutu, Tutsi, Zaïrois, travailleurs et professeurs barundis. L'instant de la fin était arrivé. Le commandant ouvrit à nouveau son grand livre et commença l'appel. Batungwanayo Romain,Nzoramba Dismas, Ryoni François... tous les hutu jusqu'à la fin. Seul un silence de mort répondit. Alors le commandant se fâcha et commença à charger sa mitraillette : "Celui qui ne répond pas, cria-t-il, sera fusillé sur place". Il recommença l'appel et le premier terrifié par ces paroles obéit et répondit.

Cher lecteur, je ne trouve pas les mots pour vous exprimer les tortures, combien inhumaines, que cette première victime dut subir. Le visage contre le sol, un soldat le piétina, lui frappa la tête avec sa balonnette, il lui transperça le côté avec un long couteau. Après l'avoir déshabilé, il lui trancha froidement et cyniquement les organes extérieurs de l'appareil reproducteur. Devant cet horrible spectacle, je fus glacé, je m'abandonnai à Dieu, car pour la première fois de ma vie, je me reconnaissais tout à fait impuissant. Je préfère qu'on me tue avec un revolver plutôt que de subir ce martyre. Je regardais, contemplais ce sang innocent qui coulait clair et limpide comme de l'eau jaillissant d'une source et je restai convaincu qu'il ne serait jamais pardonné à ces animaux à face d'homme.

"Nzoramba Dismas", le commandant continua la liste, et chaque étudiant cité, devait subir le même carnage. Chaque nom qui retentissait, symbolisait la disparition d'une élite qui se désagrégeait lentement.

A chaque nom appelé, mon coeur battait comme un tambour, mon âme s'évadait pour un instant. Au rythme martelé de chaque nom proclamé tout le monde fermait les yeux comme pour ne pas entendre le sien. C'était inutile, l'effectif diminuait, les hutu disparaissaient, la jeunesse intellectuelle issue de la masse de la nation subissait ces inqualifiables atrocités.

A la fin le commandant s'arrêta, les yeux rougis par ses crimes, insensible aux sentiments humains. Il vociféra : "C'est fini pour le moment, nous reviendrons demain". A ces mots, je respirai profondément : "Je ne suis pas du nombre!" me dis-je intérieurement. Ceux qu'on avait pris, furent embarqués dans un grand camion, les uns déjà morts,d'autres à moitié et un bon nombre encore vivants. Une trentaine de soldats montèrent dans le même camion et continuèrent leur inqualifiable boucherie.


Trente jours caché sans voir le soleil

Immédiatement, alors que les autres commençaient à échanger leurs émotions, je pris mes jambes à mon cou. Aveuglé par les visions de ce jour-là et surtout craignant d'être dénoncé par quelque camarade d'étude, je courus jusqu'à la maison. Arrivé à mon domicile, je n'expliquai rien à ma famille. Maman me demanda la cause de ma stupeur. Ma réponse fut : "Tu ne sais pas ce que je viens de voir". En un clin d'oeil, je fis mes malles, je mis des habits usés, habits que j'avais abandonnés il y a cinq ans. Frappée d'étonnement, toute la famille me regardait pleine de stupeur. Tout ce que je prononçais était : "Je m'en vais à l'intérieur, à Rushubi chez ma grandmère". Et je pris le chemin de la montagne.

Rushubi représentait pour moi un lieu de refuge, un lieu de bonheur et de salut. Situé à vingt-cinq kilomètres de Bujumbura, Rushubi hébergeait ma grand-mère et avait vu naÎtre maman. J'y espérais des lendemains

 


 

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meilleurs. J'avais la ferme conviction que les masses paysannes, masses sans culture seraient au moins à l'abri de ce massacre et de ce poison tribal. Mais ... je me trompais lourdement car chaque jour, la radio, la Voix de la Révolution, ne cessait d'attiser la flamme : "Militants du Parti", s 'exclamait-elle, "démasquez
l'ennemi où qu'il soit et quel qu'il soit". Cela voulait tout simplement dire "Traquez tout Hutu intellectuel". Ainsi les masses s'adonnèrent-elles aussi à leurs instincts sanguinaires, ignorant profondément le fin fond des choses. Je fus ainsi victime de cette délation, mais fort heureusement je fus relâché grâce à je ne sais
quel "Deus es machina".

Arrivé finalement à Rushubi, je dus me cacher pendant trente jours, sans voir aucun rayon de soleil. Comme tous les intellectuels du pays, la petite élite hutu de Rushubi fut également traquée à mort : commissaire d'arrondissement, directeurs d'écoles, moniteurs et monitrices, infirmières, tous furent tués par les troupes gouvernementales tutsi. Furent également exécutés : balayeurs des églises, chefs des marchés, commerçants et jusqu'aux cultivateurs qui avaient pu augmenter le rendement de leurs terres en appliquant les méthodes de rationalisation de l'agriculture. Finalement, les* soldats avançaient dans les églises, le dimanche, et emmenaient quiconque portait une chemise et un pnatalon un peu voyants.


Dans toute la région, il ne resta qu'un garçon nommé Honoré et moi-même. Honoré était un garçon arrivé en classe terminale des humanités au Collège du St. Esprit, dirigé par les Jésuites. Il avait pu échapper à la mort après avoir reçu des blessures graves lors d'une bataille qui avait opposé Hutu et Tutsi au Collège du St. Esprit. Mais à peine venait-il d'entrer en convalescence qu'il allait partager le sort commun. Les troupes gouvernementales le trouvèrent caché sous son lit et c'est ici que s'exprime une fois de plus la cruauté la plus horrible du Tutsi.


"Petit animal, pourquoi as-tu quitté l'école ?" interrogea un des flics. Sur ce, avec ses énormes bottes, il s'amusa à danser sur le ventre du garçon. Ensuite avec son couteau, il lui transperça le cou jusqu'à ce que la pointe ressorte dans la nuque. Satisfait, il contempla alors le sang qui s'écoulait sur le ventre du pauvre Honoré. Son camarade lui prêta ensuite main forte et avec un énorme marteau, à deux, il écrasèrent le crâne de l'adolescent. Honoré rendit l'âme à son Créateur. Son père et son oncle furent soumis aux mêmes atrocités. Toute la famille disparut ainsi. Qui pardonnera à ces hommes ?


Quand les personnes qui assistèrent à la tuerie me dirent ce qui s'était passé, je fus secoué par la peur et allai passer la nuit dans une bananeraie. Le matin venu, je décidai de redescendre à Bujumbura, à Kamenge, espérant que le déchaînement de violences serait ralenti là-bas. Je me déguisai en paysan avec des vêtements en haillons, en prenant soin de porter sur la tête un régime de bananes, car au Burundi, il faut être paysan pour survivre.


Encore trente jours à rester enfermé

En chemin, Dieu me garda jusqu'à la maison. Personne ne me reconnut, tellement j'étais changé. Et je m'engouffrai rapidement dans l'habitation familiale? Je m'y cachai pendant exactement trente jours, ne sortant que la nuit pour les nécessités habituelles.

 


 

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Mais il fallait à tout prix quitter ce pays, ce pays où les droits les plus élémentaires de l'homme sont bafoués : le droit à la vie y est inexistant. Par une fente de la maison, je regardais comment des personnes étaient éventrées, comment des têtes sautaient pardessus les troncs ; et en même temps les chiens et les poules se promenaient tranquillement sans inquiétude aucune.
"si je pouvais devenir momentanément chien", me disaisje, tellement je préférais à ce moment les animaux aux humains. L'humain n'avait plus de raison d'être.

L'absurde des philosophes existentialistes se réalisait. Dès ce moment, je commençais à former des plans pour une évasion, il fallait à tout prix quitter ces lieux.


Lueur d'espoir

Un jour je me décidai. D'intelligence avec mon grand frère, je me dirigeai vers la frontière du Zaïre. Maintenant la question la plus importante se posait : comment passer les postes de police ? Là, des milliers de vies humaines s'étaient éteintes en tentant une évasion. Heureusement, nous parvinmes à nous arranger avec de jeunes pêcheurs. Après avoir accepté une petite somme, ils nous conduisirent à sept heures précises vers le Tanganyika. La barque y était déjà prête.

Une lueur d'espoir m'envahit : l'enfer allait disparaître par morceaux pour faire place à une vie nouvelle toute pleine d'espoirs nouveaux.

De temps en temps les vedettes militaires qui sillonnaient le lac braquaient leurs phares de mort vers notre pirogue, mais le bon Dieu avait décidé de nous sauver. Notre pilote maîtrisait sa barque avec une adresse des plus rares. Lorsque les phares nous illuminaient, il stoppait la pirogue, immobile comme un arbre mort, tandis que nous nous écrasions contre le fond de la barque pour nous cacher. La lumière passait.

Finalement, nous arrivâmes à Uvira, sur la côte du Zaïre. Nous avions la vie sauve. Désormais, j'étais loin des cruels humains, face à une nouvelle existence.


P.B. Etudiant à l'UNAZA.

 



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J'AI CONNU LES PRISONS, LES MASSACRES ET LA CHASSE A L'HOMME

TEMOIGNAGE D'UN ELEVE DE PREMIERE (ATHENEE DE GITEGA)

La vie est dure partout de la haine, de la jalousie,partout les hommes s'entredéchirent! Que ne ferait-on pas pour que tous les hommes sachent qu'ils ont un seul Créateur ?

Qui a donné un pourboire pour naître hutu ou tutsi ? Je n'y suis pour rien! Alors pourquoi fait-on cette différence entre Hutu et Tutsi ?


Les pénibles découvertes d'un enfant

Dès mon enfance, j'avais remarqué que lorsqu'on présentait à boire à un tutsi (on utilise chez nous des chalumeaux pour la boisson), le premier geste de celui-ci était de couper ou de renverser le chalumeau. Quand je rendais visite à de jeunes Tutsi de mon âge, je n'avais pas envie de manger avec eux, tellement leurs maisons sont sales et remplies d'odeurs insupportables. Pour ne pas devoir construire des étables, ils abritent leurs animaux domestiques, surtout leurs vaches, dans leur maison. Ils méprisent les Hutu qui entretiennent leur maison, qui cultivent et font du commerce et qui, en travaillant, deviennent plus riches. Ils redoutent le Hutu qui progresse et tachent alors de le contrarier.

Dès 1962, le Tutsi a commencé la persécution du Hutu. J'étais jeune, mais j'avais des yeux et des oreilles. A l'école où un Tutsi enseigne, la majorité des Tutsi réussissent, tandis qu'une minorité de Hutu seulement percera. Ainsi il arrive que des Tutsi qui monte de classe sont intellectuellement inférieurs aux Hutu qui ont échoué.


A la campagne, l'administration, les comités du parti unique (Uprona) et les comités de la jeunesse (JRR) sont dirigés par des Tutsi. C'est encore plus fort à l'armée : aucun Hutu ne peut y être recruté. Uniquement ceux qui ressemblent physiquement aux tutsi parviennent parfois à se faire enrôler. Si donc les Hutu ne peuvent entrer dans l'administration, ni à l'armée, ils doivent se contenter d'emplois subalternes. De sorte qu'une minorité tusi règne sur la majorité hutu.


Jusqu'à la fin de ma troisième année post-primaire, j'ai pu monter de classe, grâce à mon physique. A ce moment, mes condisciples voyant que je ne participais pas à leurs activités criminelles contre les Hutu s'informèrent de mon origine. Il la découvrirent en 1969. Ils tentent alors de me faire emprisonner ; leurs accusations étant totalement fausses, ils échouent. Je remercie Dieu de m'avoir sauvé.


Les séparations entre étudiants deviennent complètes ; un Tutsi ne se promène pas avec un Hutu. Une jeune fille tutsi ne parle pas à un jeune homme hutu. N'y a-t-il pas un proverbe qui dit "Impene ntiziba mu ntama" (les chèvres ne fréquentent pas les brebis) ?


Etudes secondaires à Matana et à Gitega

J'ai suivi mes études secondaires jusqu'en seconde scientifique à Matana dans le Bururi. Cette région est fort anti-hutu ; on y rencontre les Tutsi les plus durs : Abahinda, Shibura, Sota, Abahima et le clan de

 


 

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Simbananiye Artémon. Il est presque impossible pour un étudiant hutu d'achever ses études à l'école secondaire de Matana, dirigée par un Rwandais tutsi Aimable NT. Dans toute la région, il n'y a pas un fonctionnaire hutu.

Grâce à mon physique, j'ai pu achever ma seconde scientifique en 1970-71 à Matana et comme il n'y avait pas de première, je suis passé à l'Athénée de Gitega. Dans les deux premières à Gitega (économique et scientifique), nous étions quarante-trois étudiants dont neuf Hutu (les autres avaient été systématiquement éliminés). Au début les étudiants de Gitega n'étaient pas tribalistes ni extrémistes, mais ils le deviendront sous l'influence des Tutsi venus avec nous de Matana : Joseph No, Séverin Si. et Juma de Bururi. C'est à cause de ces trois étudiants et de leur professeur, actuellement directeur de l'Athénée, que le sang des élèves hutu a été versé dès le 4 mai 1969.


Comment mourut l'ex-roi Charles Ndizeye

Le 30 avril à 8 heures du matin,- nous apprenons que Charles Ndizeye a été tué vers minuit. C'est une surprise pour nous tous, tant Tutsi que Hutu. Nous savions qu'il était enfermé depuis son retour au Burundi, au palais de l'ex-Mwami à Magarama et gardé par seize militaires, jour et nuit. Nous allons donc nous informer auprès des sentinelles ; elles nous affirment qu'il est toujours vivant. Durant la matinée nous apprenons par la radio de Bujumbura qu'il y a eu des troubles dans tout le pays et qu'à Gitega une bataille sanglante a fait plus de cinquante mille morts, dont Charles Ndizeye.

Peut-on mentir plus effrontément ? L'athénée de Gitega est à cinq cents mètres du camp militaire et à un kilomètre de l'ex-palais royal où Ndizeye était prisonnier. Pendant la nuit du 29 avril, je préparais une interrogation de dessin et me couchai à minuit. Je n'ai rien vu ni rien entendu de cette "sanglante bataille".

Dans l'après-midi un soldat tutsi de garde au palais nous dit qu'ils ont reçu l'ordre de l'état-major de Bujumbura de tuer froidement Charles Ndizeye, car "des mercenaires étrangers allaient attaquer le pays pour le libérer". C'est ainsi que le jeune ex-roi, revenu avec une garantie du chef de l'Etat, fut tué et enterré d'une façon ignominieuse près de la prison de Gitega sur la colline Nyabiharaga le ler mai 1971.

Entretemps, le gouverneur civil, Septime Bizimana, proclame le couvre-feu et fait barrer toutes les routes. Des fonctionnaires d'autres provinces, venus pour fêter le ler mai, sont arrêtés et jetés en prison. Les patrouilles militaires se multiplient, les écoles sont surveillées. Dès 16 heures, tout étudiant doit se mettre au lit, sauf les Tutsi qui tiennent des réunions hors de l'école pendant la nuit et rentrent sans aucun ennui. Par contre, tout Hutu pris à l'extérieur après 17 heures est immédiatement conduit en prison. Personne n'est tué en rue, et dans les villages pas un seul coup de feu n'éclate. L'ethnie Hutu sera décapitée dans un silence lourd et tragique.


Premières arrestations et brimades (4 mai)

Le 4 mai, vers 10 heures, une jeep militaire stoppe devant l'athénée. La peur et l'effroi m'envahissent. Un adjudant présente une liste à notre directeur, Mr Van H. Tous les professeurs hutu et cinq étudiants sont

 


 

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arrêtés et conduits en prison. L'idée de nous évader germe dans notre esprit, mais par où passer ? Les militaires et les JRR sont partout. Les barrières coupent toutes les routes. Pas d'autre solution que d'attendre à l'école la mort certaine pour tout Hutu. Les étudiants tutsi s'ingénient à machiner des plans d'arrestation. Notre athénée devient le centre d'un véritable conseil de guerre : les élèves tutsi de l'I.T.A.B. du collège, de l'école normale, du Medico, viennent chercher des instructions pour savoir comment exterminer leurs condisciples.

Le dimanche 7 mai, à 3 heures du matin, les soldats arrêtent tous les petits fonctionnaires (surveillants, domestiques, plantons) de Gitega et des environs : les mains derrière le dos, ils sont conduits à la rivière Ruvyironza et fusillés.

Lundi, les étudiants - tutsi sur le conseil du  ex-proviseur Astère Ka. cachent leurs cahiers et nous accusent de les avoir volés. Ils commencent à nous injurier, torturent les plus jeunes Hutu de 6ème et 5ème moderne ; ils crèvent les yeux d'un domestique hutu ; tout cela pour nous provoquer. Leur but est clair : ils veule nt nous faire réagir et alors appeler les soldats sous prétexte qu'ils sont menacés et nous faire emmener. Nous sentons le piège et tâchons de rester calmes.


A 14 heures, ils refusent d'aller au cours. Le directeur, Mr Van H. vient, accompagner du proviseur, pour connaÎtre la cause de cette insubordination. Il les invite à se rendre en classe ; ils ne bougent pas. Le proviseur lui dit qu'il est inutile d'insister, car les cahiers ne se retrouveront jamais. "Il sait ce qu'il va faire... Il va essayer d'autres moyens", dit-il. Il se rend au Parquet. Nous restons à l'école, étroitement gardés, aux mains des Tutsi pendant toute la nuit.


Dix-huit étudiants conduits en prison (9 mai)

Le mardi 9, à l'heure du petit déjeuner, arrive un véhicule rempli de militaires. Ils entourent le réfectoire. Ils présentent une liste au surveillant, un Tutsi rwandais : son nom figure en tête de liste. Je me présente, les autres suivent. Nous sommes dix-huit étudiants conduits en prison. Ils nous enlèvent tout ce que nous avons : montre, argent, ceinture, souliers, quelques habits. Avant d'entrer au cachot, chacun de nous passe au bureau pour déclarer son identité, cela se résume à être hutu ou tutsi.

Au cachot, nous retrouvons nos cinq camarades encore en vie. Il nous racontent comment les soldats torturent et tuent les prisonniers ; nous sommes effrayés et impuissants à fuir. C'est au moyen de marteaux, de machettes, de lances et de baïonnettes qu'ils massacrent. Chaque jour arrivent des camions remplis de hutus venant de tous les coins de la province de Gitega, parfois six camions en un jour. Quand vient l'appel pour la tuerie, il semble que les étudiants soient réservés pour la fin.

Après une semaine, le capitaine arrête le massacre par les armes et propose l'asphyxie : les Hutu sont amenés en grand nombre, attachés à une même corde et sont entassés dans un même réduit de deux mètres de long sur un mètre de large. Ils étouffent lentement et crient pour avoir de l'eau; on leur répond par des injures et des coups de bâtons. C'est pendant deux semaines que nous assistons à ces massacres, sans manger, ni boire.


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Tentative de révolte du 22 mai

Le 22 mai, notre heure arrive. Le capitaine, responsable des massacres entre, il nous dit que nous allons chercher de l'eau. Nous nous présentons, nous sommes septante-six étudiants, treize étudiants du Médico, sept infirmières et monitrices dont une vieille de septante ans. Mais nous sommes ligotés et entassés dans deux cachots. Nous prions le capitaine de nous tuer au fusil, il refuse et ferme la porte du cachot. Nous sommes écrasés, respirant avec peine, sans force.

Au bout d'un quart d'heure, une trentaine s'écroule, épuisée par manque d'air. Que faire ? Ensemble, nous rassemblons nos dernières forces et, Dieu nous aide, nous parvenons à briser la porte. Les militaires sont surpris et se retirent car nous lançons des pierres.

La porte extérieure de la prison est fermée, impossible de fuir par là et les militaires ouvrent le feu sur nous. Nous essayons de grimper sur les murs, mais les militaires tirent partout sur les étudiants révoltés. il faudra donc finir par mourir. Trois d'entre nous sont déjà tués dans la bagarre et d'autres blessés. Dans l'obscurité je me dirige vers un petit réduit sombre et infect, presque* pas moyen de respirer à cause de l'odeur d'urine mélangée de sang humain. Nous sommes trois ; les autres se sont rués ensemble sur la porte extérieure et sont parvenus à l'enfoncer. Les soldats en ont tué quelques-uns, les autres ont réussi à s'évader.

Toute la nuit on entend des coups de fusil. Nous perdons courage et nous décidons de nous présenter aux soldats. A ce moment j'aperçois dans le plafond un trou sombre, à trois nous y grimpons et nous cachons entre le plafond et les tôles. Des soldats recherchent tous les prisonniers dans le camp, ils tuent ceux qu'ils trouvent, mais ne nous aperçoivent pas. Dieu nous est venu en aide ! Ils ont épargné les filles et les enferment dans une chambre en-dessous de nous. Parmi les filles il y a une soeur, enseignante au Centre Médico-Social. Ses compagnes la trahissent en l'appelant "soeur". Les militaires s'en emparent et la torturent horriblement et la forcent aux relations sexuelles ; toutes ses compagnes subissent les mêmes tortures ; quand les soldats sont partis, nous avons pu parler à ces malheureuse épuisées et sans force. Le mercredi 25 mai, elles seront conduites au carnage.


Nous nous échappons, mais nous sommes repris

Le même jour à l'aube, nous parvenons à escalader enfin le mur de la prison, nous sautons vers l'extérieur et nous courons directement vers la vallée pour prendre de l'eau et du manioc. Nous buvons enfin et nous mangeons, puis nous nous cachons dans la forêt toute la journée. Pendant la nuit, nous allons frapper à la porte d'un paysan de notre connaissance. Il a peur, mais finalement nous reconnait, mais il refuse de nous cacher. Au matin, nous allons chez une Suédoise, qui fut notre professeur de religion. Elle nous donne argent, vêtements, nourriture et prie avec nous afin que Dieu nous protège.

Maintenant la fuite vers le sud, vers la Tanzanie, commence. Je me vois obligé de passer par la maison, car de là les chemins vers la Tanzanie me sont connus. Je pars avec un ami, l'autre va à Gitega pour y être caché par ses frères, je n'ai plus eu de nouvelle de lui.

A deux nous reprenons le voyage, habillés comme des paysans. Arrivés à la limite de la province de Gitega pour entrer dans le Burundi, les JRR de


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Gishubi nous arrêtent et nous voilà de nouveau en prison. Les prisonniers nous racontent la douloureuse histoire de nos camarades évadés de prison. Ils ont été arrêtés dans cette même forêt de Gishubi et mis à mort après différentes tortures. On leur a enlevé les vêtements, ils'ont été mutilés et enfin tués, puis jetés à la rivière.


Enfin je puis m'échapper et fuir la mort

Grâce à mon physique, ils me prennent pour un des leurs. Ils me posent des questions et je réponds comme un Tutsi. Après une semaine de prison, les autres, y compris mon ami, sont conduits à la tuerie alors qu'un laissez-passer m'est accordé pour regagner mon domicile.

J'arrive à la maison dans les heures de la nuit, de crainte que ceux qui pourraient me reconnaître n'aillent le dire aux autorités. Comme je suis dans un milieu où tout le monde se connaît, je resterai enfermé à la maison sans sortir durant trois semaines.

Durant ce temps, ma charitable maman et mon petit frère me servent avec un grand dévouement et ma maman se donne toutes les peines du monde et court même le risque de se faire arrêter en allant se renseigner sur les chemins qui sont gardés dans la direction de la Tanzanie.

Le 26 juin, avec trois compagnons, pendant la nuit, nous quittons la maison et en suivant les rivières pour éviter les routes barrées, ne marchant que la nuit et passant les journées dans la forêt. Après deux jours, nous atteignons la Tanzanie.

Nous passons trois mois à Kigoma dans des familles tanzaniennes. Chaque jour arrivent des centaines de réfugiés car la persécution continue ; parmi eux se trouvent des étudiants cachés par les Pères et les Frères, qui cherchent à se regrouper à Kigoma. Les Tutsi rappellent les réfugiés par radio en leur faisant croire qu'ils peuvent rentrer en paix et que tout est fini, mais c'est faux ; dès que des réfugiés hutu rentrent au pays, ils sont refoulés dans la forêt pour être tués. J'ai quitté le Burundi parce que je suis Hutu ! Ah, si les hommes pouvaient comprendre qu'ils sont tous égaux devant le Créateur et que personne ne peut mépriser un autre. Je supplie tous les hommes droits à s'informer sérieusement sur les événements qui se sont passés au Burundi et à chercher à connaître la vérité.


P.S. Etudiant à l'UNAZA
République du Zaîre


 

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MEME DES JEUNES ELEVES DE 10 A 14 ANS DEVAIENT ETRE MASSACRES


TEMOIGNAGE D'UN ELEVE DE L'ECOLE NORMALE DE KIREMBA


Les soldats investissent l'école

Samedi 29 avril, le directeur de l'internat interdisait aux élèves de rentrer chez eux à l'occasion du congé du ler mai. Le lendemain matin, les soldats envahissaient, armes à la main, le quartier où résidaient les missionnaires de l'école et de l'église. Ils s'emparaient d'un camion de l'école qu'ils allaient dorénavant employer pour le transport de leurs proies humaines.

A 9 heures, les élèves assistaient au culte à l'église située au bord de la route Bururi-Makamba. Tandis qu'ils célébraient l'office, le premier pasteur Mr Madengo Abel-Nego était appelé par des soldats qui rôdaient autour de l'église. Ils lui signifièrent de faire sortir tous ceux qui priaient de l'église.


Arrestation des professeurs hutu


Tandis que tous rentraient à l'école, les soldats arrêtèrent deux professeurs hutu, Mr Eléazar B. et Frédéric B., ainsi que leurs frères qui étaient venus leur rendre visite : ils étaient cinq à être appréhendés ainsi à l'improviste.

Terrifiés par la fureur des soldats, tous les élèves voulaient s'enfuir mais le pasteur Madengo les rassura mensongèrement en prétendant qu'il n'y avait aucun danger et que les soldats les protégeraient. Ils restèrent donc tous à l'internat.

Le soir du 2 mai, des soldats vinrent s'informer auprès d'un élève tutsi s'il n'y avait pas de querelles. Comme il répondait que tout était calme, le militaire quitta, mais mal en prit l'élève qui fut rossé par les autres Tutsi, pour avoir dit la vérité.

Jeudi 4 mai, les autres professeurs hutu et un surveillant furent arrêtés. Le soir quelques élèves ont tenté de s'enfuir, mais la plupart d'entre eux furent rattrapés et massacrés en chemin.


On prépare l'arrestation des élèves

Le jour suivant, le faux pasteur - car il était d'une fausseté et d'une fourberie majuscules - conseilla aux élèves de ne pas tenter la fuite : "Vous êtes innocents, leur disait-il, tout cela ne vous concerne pas, vous êtes trop jeunes, il n'y a pas de raison de vous enfuir". Or, déjà il s'était entretenu avec les soldats de la façon dont il fallait s'y prendre pour arrêter le plus grand nombre d'élèves. Cette nuit-là les JRR sont venus, lances et machettes à la main, fouiller les armoires des élèves hutu pour voir s'ils ne cachaient rien de suspect. Ils n'y trouvèrent rien.


Dès ce moment les élèves hutu voulaient à tout prix s'enfuir ; mais impossibilité totale de quitter l'internat : les JRR entouraient l'école

 


 

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et veillaient jour et nuit que personne ne s'évade. Et le pasteur Madengo allait même chercher les absents à la maison et les forçait à venir à l'école.


Arrestation de septante-deux élèves du cycle supérieur

Samedi, le 27 mai, le commandant du Centre d'instruction de Bururi, Nduwingoma Samuel, se présenta à notre école et entra dans le bureau du directeur. Un peu plus tard il en sortit et fit signe à sa troupe qui, aussitôt, investit l'établissement de toute part. Les élèves n'avaient pas les moyens d'échapper, d'autant plus qu'ils étaient tous en classe.

Un des soldats, muni d'une liste nominative, dressée par les élèves tutsi, dont faisait partie le fils du premier pasteur, Nathan Madengo, proclama le nom d'un grand nombre d'élèves, qui devaient être emmenés. Tous ces élèves du cycle supérieur, étaient poussés hors de la classe à coups de crosse, et forcés de monter dans le camion qui stationnait devant le bâtiment. Le nombre des élèves conduits' ce matin-là à la mort dans les pires tortures s'élève à septante deux.


Arrestation de cinquante-sept élèves du cycle inférieur

Mardi 30 mai, un soldat déguisé en civil se présenta auprès du directeur de l'internat et demanda à pouvoir parler aux élèves. On sonna la cloche. Les élèves arrivèrent et se rangèrent selon les classes. Alors le militaire tira de sa poche une nouvelle lsite et commença par appeler le nom de nombreux élèves. Ceux-ci étaient tirés hors des rangs et au même moment ils se virent encerclés par un grand nombre de militaires armés, surgis d'on ne savait où. Cette fois, le cycle inférieur était amputé on lui ravissait cinquante-sept victimes.

Tous ces garçons dirent adieu à leurs camarades et partirent pour ne plus jamais revenir. Ils regardaient une dernière fois leurs petits frères qui restaient en 6ème moderne. Et parmi ceux qui étaient conduits à la mort se trouvaient deux jeunes filles de lère normale. Ceux du deuxième groupe furent les plus cruellement massacrés, transpercés par des lances et des baîonnettes.

 


On veut arrêter les jeunes de 10 à 14 ans

Les plus jeunes élèves de 6ème étaient désormais exposés sans défense aux vexations et brimades des grands élèves tutsi. Ceux-ci poussèrent leur ruse jusqu'à déchirer la photo de Micombero puis rejetèrent la faute sur les élèves hutu et particulièrement sur une jeune fille : elle eut le privilège d'être renvoyée de l'école bien qu'elle était totalement innocente.

A la moindre occasion on voyait les élèves tutsi se ruer sur les petits hutu, les battre jusqu'à ce que le sang coule, parfois leur infliger de profondes blessures et leur arracher la peau. La cruauté de ces tutsi parvint aux oreilles de Mgr Martin, évêque de Bururi., Il en avertit le président lui-même. Celui-ci intervint pour arrêter ces atrocités. Ainsi ces jeunes eurent un peu de répit et à la fin de l'année scolaire ils sont rentrés chez eux, mais Dieu seul sait s'ils sont arrivés sains et saufs, eux les derniers survivants de notre Ecole normale. Du reste, le palmarès

 


 

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offrait de nombreuses pages presque entièrement blanches, à tel point que certaines classes étaient réduites à une petite dizaine d'élèves.

Si jamais une école à souffert et fut martyrisée, c'est bien l'école protestante de Kiremba. Et tout le monde songe au grand coupable : Madengo Abel-Nego. Car s'il l'avait voulu, aucun élève n'aurait été massacré, tel était son prestige, et s'il s'était opposé à la soldatesque et au commandant, on n'aurait pas touché à un seul de ses élèves. Au lieu de cela il fut la cause de l'hécatombe. Que répondra-t-il lorsque Dieu lui demandera compte pour le sang de tant d'innocents qu'il a laissé verser ?

L'école de Kiremba a été la plus éprouvée de toutes les écoles du Burundi: cent quatre-vingts élèves hutu y sont morts sur trois cent trente-neuf élèves, dont soixante-neuf tutsi et dix-sept jeunes filles.

Celui qui a écrit ces lignes a échappé par miracle au massacre commun. En essayant de s'évader il fut arrêté par les JRR qui encerclaient l'école, mais il se fit passer pour un tutsi - il dut même l'affirmer sous serment et fut alors relâché. En se cachant ensuite dans les bois et avançant péniblement pendant les nuits, il a pu gagner la Tanzanie, et de là passer au Zaïre hospitalier. Voilà le témoignage qu'il peut donner.


E.Z. Sixième Scientifique
République du Zaïre

 

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GÉNOCIDE SÉLECTIF AU BURUNDI

PARTIE 1: par le PROFESSEUR RENÉ LEMARCHAND

L'histoire n'enregistre guère d'équivalent à l'hécatombe de vies humaines qui ensanglanta le Burundi en 1972, dénouement d'une lutte sans merci entre les deux communautés ethniques principales du pays, Hutu et Tutsi. Autant que par le chiffre des victimes (les estimations varient entre 80 et 100.000 morts) on reste confondu par l'indifférence, pour ne rien dire de l'incompréhension, de l'opinion publique devant les dimensions du massacre. Environ 3,5% de la population totale du pays (3,5 millions) furent "nettoyée' en l'espace de quelques semaines, ce qui, en termes comparatifs, signifierait une perte de près de deux millions de personnes pour la France et de 350.000 pour la Belgique. Parler d'un "génocide sélectif" pour qualifier une violence politique d'une telle ampleur, c'est à peine exagérer la réalité.

S'il est encore impossible de déterminer l'impact à long terme de ces événements sur l'ensemble de la société du Burundi, il est en tout cas indéniable qu'une véritable métamorphose sociale en est résultée. A l'heure actuelle le Burundi est le seul état indépendent d'Afrique noire à défendre les droits d'une société de caste, autrement dit à fixer le monopole du pouvoir entre les mains des Tutsi, ceux-ci ne représentant que 15% de la population. Sur la base de critères culturels et régionaux, ce pourcentage pourrait même tomber à moins de 4%. Toute différence raciale mise à part, la situation la plus proche de celle du Burundi se retrouve en Afrique du Sud et en Rhodésie. Cette suprématie s'étend pratiquement à tous les secteurs, limitant à la seule minorité dominante l'accès à la richesse matérielle, à l'éducation et à la participation au pouvoir. Pour qui a eu l'occasion d'apprécier le système de stratification relativement "ouvert" et souple qui caractérisait autrefois la société du Burundi, une telle transformation n'est rien moins qu'effarante.

La trame de ce qu'on appelle pieusement à Bujumbura "les événements" ne sera probablement jamais connue. L'enchaîriement des faits qui ont finalement conduit à la crise est aussi complexe que les motifs qui ont poussé les deux communautés à s'entre-tuer. Départager les faits des rumeurs est encore rendu plus malaisé par l'intensité des passions déchainées parmi les acteurs (et aussi les spectateurs) à la suite des atrocités commises de part et d'autre, par le dosage d'objectivité et d'affabulation savamment distillé par les communiqués officiels et enfin à cause de la répugnance des témoins oculaires à rapporter ce qu'ils ont vu. Les données dont nous disposons sont néanmoins suffisantes pour "faire le point" sur les circonstances qui ont précédé le massacre, et par là même dissiper préjugés et malentendus tant en ce qui concerne la structure sociale du Burundi que les causes profondes de sa récente agonie.

Le contexte: Le pays et sa population

Situé dans la grande faille de l'Afrique Centrale, au coeur même du continent, le Burundi a une superficie équivalante en gros à celle de la Belgique (28.000 km2). Avec son voisin du nord, le Rwanda, le Burundi revendique la plus forte densité de population de l'Afrique (120 habitants au km2). Ses problèmes économiques et sociaux trouvent leurs origines dans la pression croissante exercée par l'augmentation de la population et la rareté des ressources naturelles. Mis à part quelques petits gisements de cassitérite, l'économie du pays dépend quasi exclusivement de l'agriculture. La découverte récente dans le sud-est du pays d'importants gisements de nickel pourrait changer du tout au tout la carte économique d'ici quelques années: mais il faut bien avouer que jusqu'à présent, rien n'a été entrepris pour utiliser ce nouveau potentiel industriel. Le café vient en tète des exportations de produits agricoles, représentant à peu près 80% des échanges commerciaux du Burundi, soit 14 millions de dollars US annuellement; il faut y ajouter quelques récoltes marginales de thé, de coton et de riz. La production agricole n'est toutefois pas suffisante pour répondre aux besoins toujours croissants de la population, et loin de produire le surplus nécessaire pour assurer un essor économique rapide.

La rareté des ressources constitue une donnée essentielle du système socio-politique contemporain, comme ce fut le cas durant la période coloniale et même pré-coloniale, alors que le Burundi faisait par tie d'une pleiade de royaumes traditionnels éparpillés à travers la région des Grands Lacs. Bien plus nettement qu'auparavant, cependant, les effets de la pénurie économique se définissent aujourd'hui dans un contexte ethnique et régional. Il s'agit là d'une mutation capitale. Pour en saisir l'importance ouvrons une brève parenthèse pour exposer la nature du système de stratification sociale propre au Burundi traditionnel, l'un des plus complexes et des plus méconnus de tout le continent.

Les écrits de l'époque coloniale nous présentent généralement la société Rundi sous la forme d'une pyramide ethnique dans laquelles les éleveurs de troupeaux, les Tutsi, représentant 14% de la population, détenaient les leviers du pouvoir; ensuite venaient les paysans Hutu qui formaient le gros de la population (85%), tandis qu'à la base de cet édifice, on trouvait le pygmoides Twa, groupe numériquement insignifiant (1%). On admettait que les caractères physiques communément attribués à chaque ethnie, renforçaient encore cette hiérarchie du pouvoir et des privilèges: proverbialement grands et filiformes, les Tutsi étaient dépeints comme "possédant la même indolence gracieuse de la démarche qui caractérise les peuples d'Orient"(2). Les Hutu, par contre, étaient "un peuple de taille moyenne aux corps lourdaux et disgrâcieux, révélant l'habitude d'un travail pénible et acharné, se courbant patiemment dans une servilité abjecte devant les derniers arrivés, les Tutsi, devenus la race dominante" (3).

Quoique satisfaisante aux yeux de la plupart des observateurs européens, cette image de la sociéte traditionnelle en défigure les traits au point de la rendre méconnaissable. Car elle masque des lignes de clivage importantes au sein de chaque ethnie, et exagère en même temps les discontinuités socio-culturelles qui traditionnellement les séparaient. Ces distorsions sont étroitement fiées entre elles. Passer sous silence les clivages intra-ethniques entraîne le risque de sousestimer l'existence de liens inter-eihnique, et de réduire à une parodie de la réalité les caractéristiques physiques et culturelles de chaque groupe.

On doit d'abord souligner l'existence de deux catégories distinctes de Tutsi, ceux de la "caste inférieure" ou Tutsi

Rem: Le contenu des notes figure aux pages 16 - 18


 

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Hima et ceux de la "caste supérieure" ou tutsi-Banyaruguru, littéralement "ceux qui viennent du noria". Il faut noter aussi que le terme "ruguru" a d'autres significations, voulant dire "venant d'en haut" et donc de régions de plus haute altitude ou, au figuré, possédant une condition supérieure, c'est à dire "proche de la Cour". Les observateurs étrangers se sont généralement appuyés sur la dérivation géographique du terme, au point de considérer tous les Banyaruguru comme étant des Tutsi du nord, ce qui est loin d'être le cas. On trouve des Banyaruguru dans les provinces du nord et dans les provinces du sud, et ceci vaut également pour les Hima. Au moment de la rédaction de ce rapport (1974), le gouverneur de la province de Ruyigi, un diacre anglican défroqué du nom de John Wilson Makokwe, est un Hima de Buhiga, localité située au Nord du pays. Affirmer que les Hima sont inévitablement des gens du sud et les Banyaruguru des gens du nord, comme beaucoup d'observateurs ont tendance à le faire, est certainement un abus de langage. Le moins qu'on puisse dire est que l'équation Hima-sud et Banyaruguru-nord appelle certaines nuances. 

Les premiers seraient arrivés dans le pays, venant des régions frontalières de l'est, vers le 17 ou 18ème siècle, soit quelque deux ou trois cents ans plus tard que les Banyaruguru. il faut admettre cependant que jusqu'à présent aucune réponse définitive n'a pu être apportée à la question de savoir le quel des deux groupespourrait revendiquer le titre de "premier occupant". En revanche il est certain que les Hima étaient traditionnellement frappés d'interdits pour ce qui était de leurs relations avec les familles Tutsi-Banyaruguru les plus "cotées", et a fortiori avec la famille royale. Ils ne pouvaient garder leurs vaches ni leur fournir d'épouses.

L'attitude des Banyaruguru à leur égard était généralement teintée de méfiance et de mépris. On les considérait en quelque sorte comme des parvenus, certes doués d'ingéniosité et de débrouillardise mais totalement dénués de prestige social. Est-ce pour renverser cet ordre social que les Hima, à partir des années 60, se sont hissés au pouvoir aux dépens des Banyaruguru?Quoiqu'il en soit les Hima occupent aujourd'hui une position dominante dans le système politique du Burundi. "Les Hima" ' écrit le Père Rodegem, "semblent doués pour le commandement et l'action directe ~ jugement largement confirmé par le profil des élites politiques aujourd'hui au pouvoir. Un pourcentage appréciable des élites détentrices de postes de commandement dans l'armée et l'administration sont recrutées parnù les Hima de la région de Bururi. Le Président Micombero est lui-même un Hima de Bururi. Les Banyaruguru, par contre, quoique représentés au sein du gouvernement sont virtuellement sans pouvoir.

Ajoutons à cela les distinctions de prestige et de rang social qui jouent à l'intérieur de chaque ethnie, Hutu, Tutsi et Twa, distinctions fondées sur la hiérarchie des lignages (imiryango). Il existe une démarcation très nette entre les "très bonnes" familles, les "bonnes" familles, celles qui ne sont "ni bonnes ni mauvaises" et enfin les "mauvaises". Dans la seule souche Tutsi-Banyaruguru, on ne compte pas moins de 43 types différents de lignage, qui se décomposent chacun en une hiérarchie sociale spécifique. De telle sorte que des affiliations fondées sur le lignage rectifient parfois la hiérarchie qui découle des divisions ethniques. Il arrive que l'appartenance à des échelons sociaux différents à l'intérieur même de l'ethnie Tutsi soit plus perceptible et socialement plus importante que les différences entre Tutsi et Hutu. Cette multiplicité de "paliers sociaux" à l'intérieur de la même ethnie a été génératrice de multiples conflits entre clans, familles et lignées.

Mais encore faut-il noter la fluidité de cette hiérarchie sociale: l'appartenance à un imiryango n'est pas nécessairement fixée une fois pour toutes, ni même dans certains cas l'appartenance à uni ethnie. On se heurte parfois à beaucoup d'ambiguité lorsqu'il s'agit de définir de façon précise l'appartenant d'un individu à un clan, une famille, voire une ethnie. cas typique est celui du "clan" appelé Basapfu, Voici comment le Père Rodegem en explique l'origine: Tutsi de statut hiérarchique élevé, ils descendent initialement des Hima. Mais pour certaines raisons que tradition a omis de préciser, le Roi, un jour, déci( qu'ils devaient tous être massacrés. Il confia cette t, au clan Abongera qui organisa proprement la razzia tous les troupeaux Abasapfu, pilla leurs récoltes, ni le feu à leurs craals et massacra tout ce qui trouvait leur chemin. Un des survivants était un petit garçor avait trouvé refuge derrière un écran de roseaux (sai Après le départ des auteurs du raid, il fut découveri par un passant qui décida de le conduire au Roi Nu Ce dernier le garda à sa Cour sous sa protection et pela Musapfu pour commémorer cette aventure.(5)

Que les Basapfu soient réellement d'origine Hima est une question qui reste à débattre; ce qui est beaucoup plus significatif du point de vue de cette discussion est qu'a jourd'hui les Basapfu s'identifient et sont souvent iden comme n'étant ni des Hirna ni des Banyaruguru. On le désigne purement et simplement par le terme Basapfu, comme s'ils formaient un groupe distinct ethniquement parlant. Ce caractère sui generis du groupe Sapfu, et ai le fait qu'ils soient répartis un peu partout à travers le nous permet de mieux comprendre pourquoi certains élements Sapfu sont parvenus a se poser comme arbitres 1 de conflits régionaux ou ethniques. Notons à ce propo malgré l'influence préponderante du groupe Hima de E dans l'armée et l'administration, certains Basapfu occu à l'heure actuelle des postes importants au sein du gouvernement(6).

Relevons enfin un dernier point: ni les Hutu ni les Tut ne jouissaient de prérogatives politiques importantes d le contexte de la société traditionnelle Rundi. Lorsqu' poste de commandement leur était confié par la Courc il s'agissait d'une concession et non d'un droit. Les véritables détenteurs du pouvoir étaient les princes du sang (ganwa). De par leur position sociale et politique privilégiée ceux-ci ont fini par être vus comme formant un groupe ethnique distinct, dont le pouvoir et le prestige dépassait beaucoup ceux des Hutu ou Tutsi. Les ganwa constituaient le noyau de l'élite politique traditionnelle. Malgré leur position privilègiée (peut-être en raison même de leurs privilèges) ceux-ci n'ont jamais fait preuve de cohésion. L'histoire précoloniale du Burundi est jalonnée de luttes intestines entre princes du sang, certaines entretenues des haines dynastiques, d'autres par des conflits de personnes, mais chacune visant en fin de compte à briser 1, pouvoir des uns pour mieux renforcer celui des autres. affrontements atteignent leur point culminant vers la moitié du l9 ème siècle lors des guerres que se livrèrent les fils roi (mwami) Mwezi Kisabo (1852-1908) et les descend de son prédécesseur, Ntare Rugaamba (1795-1852). La en place de l'appareil colonial aboutit rapidement à la j en veilleuse des vieilles querelles dynastiques entre les descendants de Mwezi (les Bezi) et de Ntare (les Batare niais sans toutefois les faire disparaitre. A la veille de l'indépendence, alors que s'amorce la montée d'une élite neu dynamique et en quelque sorte "accréditée" on assiste l'èlement à une résurgence spectaculaire des antagonisme princiers. Ainsi, même à cette époque relativement récente, le jeu politique ne s'exprimait pas en termes de conflits.

 


 

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ethniques niais sous la forme de luttes de factions entre représentants de différentes dynasties.

A la fois fluide et hiérarchisée l'organisation sociale du Burundi ancien n'était cependant pas dénuée de cohésion. Au role unificateur de la Couronne s'ajoutaient les facteurs de cohésion du milieu social. Car en dehors de l'élite princière aucune ethnie, aucun lignage ne pouvait se prévaloir d'un statut privilégié. Les divisions entre Hutu, Tutsi et Twa n'avaient qu'un rapport lointain ou inexistant avec le rang social, la richesse et le pouvoir. Bien que le pouvoir politique fut en principe le monopole des princes, les chefs subalternes étaient en fait recrutés autant parmi les Hutu que parmi les Tutsi. De plus le jeu des rivalités princières obligeait parfois les "grands" à rechercher indifféremment l'appui des uns et des autres, situation qui n'est pas sans rapport avec le phenomène relevé par Georg Simmel: "Les conflits peuvent avoir pour conséquence d'amener la collaboration de certaines personnes ou groupes qui, dans d'autres circonstances, n'auraient eu aucune raison de s'unir .,,7 Les solidarités nouées à travers les liens de clientèle contribuaient également au maintien du tissu social: à travers l'institution du "contrat de clientèle" (bugabire) un vaste réseau de solidarités recouvrait la pyramide sociale, liant les individus les uns aux autres par la confiance et l'intérêt indépendemment de considérations ethniques. Chaînon central de cet agencement, le Mwarni était le point de convergence des rapports de clientèle entretenus a divers échelons du système. C'est aussi et peut-être davantage encore à travers les rites, les céremonies et les interdits qui l'entouraient que la monarchie affirmait sa puissance "totalisante" et unificatrice. Jusqu'à présent aucun symbole de légitimité n'a reussi 'a acquérir un prestige comparable a celui qui entourait le tambour royal (karyenda), symbole supreme de la monarchie.

Il faut donc admettre,que si la société Rundi renfermait en elle même les germes d'un conflit ethnique, ce type de conflit était sinon inexistant en tout cas extrêmement rare dans la société traditionelle. Voir dans la saignée du printemps 1972 la preuve d'une, "manifestation extrême du vieux problème tribal africain"(8) c'est travestir les faits et fausser les données de l'histoire. Dans le cas qui nous intéresse le terme "tribalisme" ne peut se rapporter qu'à un phenomène relativement récent, exprimant à la fois les transformations radicales subies par la société coutumière et le blocage des mecanismes qui jusqu'alors lui donnaient son équilibre et sa cohérence. Au Burundi comme ailleurs les phénomenes "tribaux" sont indissociables des transformations introduites sous l'égide du colonisateur.

Dimensions du Conflit

Sous son aspect le plus aigu et le plus meurtrier le conflit HutuTutsi apparait comme le stade ultime d'une série d'affrontements d'origines diverses s'échelonnant sur une période d'au moins 12 ans. Ces affrontements recoupent pratiquement toute la gamme des oppositions latentes contenues dans la société coutumière, mais ils expriment aussi les multiples tensions engendrées par l'Etat colonial. Sur une toile de fond traditionnelle se dessinent des formes d'expression politique inédites (partis, syndicats, institutions parlementaires), comme pour rechercher dans le passé la justification des transformations à venir. De cette combinaison d'élements fort disparates est né à la veille de l'indépendence un régime complexe, hybride, dont les contours deviendront de plus en plus flous.

L'introduction du vote en 1956, six ans avant l'indépendence, marque le début d'une prise de conscience politique dont les effets vont peu à peu se faire sentir à chaque échelon de la société. C'est d'abord au niveau des familles princières que se déclenchent les oppositions, mettant aux prises Batare et Bezi; puis viennent les luttes entre monarchistes et républicains, à peine édulcorées par les dissensions internes au sein de chaque groupe; c'est ensuite l'Armée qui prend la relève des élites civiles pour battre en brèche la monarchie et finalement l'abattre. Or malgré le crédit populaire dont elle jouit auprès des générations montantes, l'Armée reste impuissante devant la montée des antagonismes régionaux (nordsud) et ethniques (Hutu-Tutsi). Jusqu'au début des années 60 les clivages de type traditionnel ont en quelque sorte joué le role de brise-lames, freinant la mobilisation des ethnies, ou la canalisant au profit de l'une ou l'autre des factions princières. Contrairement à ce qui s'est passé au Rwanda en 1959-60, où rien n'entravait la montée des antagonismes ethniques (et où l'administration belge laissait délibérement le champ fibre aux têtes de file du mouvement Hutu), au Burundi ces antagonismes ne pouvaient s'exprimer ouvertement qu'en franchissant les frontières du champ politique traditionnel.

Jusqu'à sa chute, en 1965, la monarchie s'efforça de délimiter le domaine du politique pour mieux se prémunir contre les attaques de ses détracteurs; bloquer les relais d'élites tout en restreignant l'amplitude de la contestation ethnique, tels sont, en gros, les objectifs de la Cour.

S'il est vrai que la monarchie ait fixé entre ses mains les fruits de l'indépendence sans pour autant apporter de solution durable au conflit Hutu-Tutsi, il serait injuste de lui attribuer la responsabilité première des "évènements" de 1972. Il serait encore plus aberrant, répétons-le, d'y voir la prolongation du passé précolonial. Sans doute est-il tentant de se référer aux observations d'Hans Meyer au début de l'époque coloniale: "aussi longtemps que les Batussi [sic] sont les maîtres de ce pays, tout progrès spirituel et culturel est impossible pour le peuple du Barundi, car ce n'est qu'à la situation inférieure présente des Bahutu, isolés du monde depuis des siècles, que les Batutsi doivent leur domination". 9 L'argument manque de poids, confondant à la fois le politique, le social et l'économique; ajoutons à cela qu'une distinction évidente s'impose entre un potentiel de conflit et le conflit devenu réalité: celui-là était sans doute inscrit dans le contexte de la société traditionnelle, mais pour que ce potentiel devienne réalité il fallait qu'une nouvelle "règle du jeu" se substitue à celle de la société coutumière et qu'en même temps se pétrifient les rapports entre ethnies.

Il fallait, en bref, que la situation coloniale redéfinisse ces rapports sur au moins deux plans, ethnique et social. En réduisant l'identité des individus à une dimension essentiellement ethnique (au détriment des dimensions sociales et culturelles) et en donnant une valorisation sociale à l'appartenance ethnique, une nouvelle société prend forme entre les mains du colonisateur; une société de caste pratiquement calquée sur celle du Rwanda.

Notons à ce propos, et sous forme de parenthèse, l'influence décisive de la révolution rwandaise (si tant est qu'on puisse véritablement parier de "révolution") sur l'attitude des groupes dirigeants Hutu et Tutsi du Burundi. La prise du pouvoir par les élites Hutu du Rwanda a eu pour effet de susciter les mêmes espoirs chez leurs "frères de race" du Burundi, et chez les Tutsi la crainte de se voir balayer par une tourmente révolutionnaire à la rwandaise. D'où ce
durcissement des attitudes de part et d'autre, les uns s'estimant lèsés, les autres menacés. En un sens c'est à travers une sorte de "prophétie autoréalisante'(10) que se développe la dynamique du conflit Hutu-Tutsi à partir de 1960.

Que le Rwanda ait servi de modèle pour certains - et de repoussoir pour d'autres - se comprend d'autant mieux lorsqu'on songe que le colonisateur belge avait déjà modelé la société du Burundi à l'image de celle du Rwanda. Bien avant que les dirigeants Hutu du Burundi ne cherchent à émuler les objectifs du "menu peuple" rwandais le Rwanda était devenu une sorte de territoire-modele pour les Résidents du Burundi. N'était-il pas plus simple et plus efficace du point de vue de l'administration de considérer le Burundi comme composé d'une aristocracie Tutsi et d'une masse paysanne Hutu, et de faire reposer l'appareil administratif sur l'hégémonie présumée de la minorité Tutsi? Relativement peu d'efforts furent faits pour donner aux éléments Hutu de véritables chances de réussite sociale, et pratiquement rien pour leur faciliter un apprentissage politique. Les registres d'inscription de l'Ecole des Frères de la Charité (rnieux connue sous le nom de "Groupe Scolaire d'Astrida") montrent une nette prédominance de Tutsi par rapport aux Hutu, disproportion encore plus flagrante évidemment dans le cas du Rwanda, ainsi que le révèle le tableau suiv
ant:

Les résultats de cette politique é taient prévisibles: à la % de l'indépendence tout au plus une poignée d'éléments pouvaient se réclamer du nom d'élite au sens moderne d terme. Conscients du fait que la puissance administrante n'avait laissé se constituer parmi eux qu'une faible mino d'hommes de mérite reconnu, ils n'étaient que trop imp tients pour traduire dans les faits leurs aspirations égalitaires Pour cette même raison les tentatives de nivellement so amorcées par les éléments Hutu allaient inévitablement susciter la méfiance du groupe Tutsi. L'extension du droit de vote sur la base du suffrage universel ne pouvait que renforcer la suspicion de la minorité Tutsi: si l'égalité so était synonyme de déchéance pour cette minorité, la loi du nombre ne pouvait en fin de compte que hâter sa dégringolade.

Même dans son sens le plus restrictif (impliquant une re sentation égale des intérêts ethniques dans les instances gouvernementales et administratives), l'égalité ne devin jamais une réalité acquise dans la politique du Burundi Un simple coup d'oeil sur la répartition ethniques dans emplois de l'administration civile en 1965 révèle l'étend de la domination Tutsi dans les hautes sphères du pouvoir.

Nous ne disposons pas des chiffres d'inscriptions pour les années 50-52. Les chiffres ci-dessus sont emprintés au registre d'inscriptions du Groupe Scolaire d'Astrida.

On arrive à la même conclusion à la lecture de la répartition ethnique des sièges au Conseil Supérieur du Pays (CSP) et aux Conseils de Territoire (CT), au niveau du pays et des territoires. L'étude d'Aloys Munyangaju ("L'Actualité Politique du Rwanda-Urundi", Bruxelles 1959) en
fournit la preuve:


 

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Comme le révèlent les chiffres ci-dessus, au cours des années qui suivirent l'indépendance (1962) le décalage entre les aspirations des élites Hutu et leur participation aux responsabilités politiques s'accentue. L'injection de quelques éléments Hutu dans l'appareil gouvernemental ne suffit évidemment pas à apaiser leurs revendications: la disproportion entre leur importance numérique et leur participation effective au pouvoir est trop manifeste pour ne pas susciter leur mécontentement; la dissipation des revenus de l'Etat au profit d'éléments minoritaires (Tutsi et ganwa) ne fait que renforcer leurs griefs.

A partir de 1966 la relève des élites princièrespar dejeunesTutsi d'obédience républicaine confirme l'impuissance du groupe Hutu. Les tentatives de coups d'état montées contre le gouvernement s'avèrent toutes infructueuses. Incapables de se frayer une voie par la force, encore moins par la politique, les élites Hutu restent néanmoins sensibles aux poussées de leurs adversaires, d'autant plus que ceux-ci sont profondément divisés. A partir de 1970 la scène politique du Burundi apparait grouillante d'instigations, de manoeuvres et d'initiatives à partir des quelles s'amorcent des opérations de revanche ou de récupération. Avant d'entrer dans les details de cette situation, il convenient de rappeler brièvement les étapes de la crise.

Le terme "secrétariat" se rapporte aux secteurs du gouvemement qui, en 1963, ont été placés directement sous la juridiction de la Couronne. On peut dégager au moins quatre phases dans l'histoire récente du Burundi, chacune d'elles correspondant à une disposition différente de l'échiquier politique.

Phase 1 (1957-1961): Bezi contre Batare - Les années précédant l'indépendance ( 1962) se signalent par le continuation des rivalités précoloniales sous le couvert de partis politiques à consonance moderne. Les deux protagonistes principaux sont "Le Parti de l'Unité et du Progrès National (UPRONA)- et "Le Parti Démocrate Chrétien (PDC)", chacun dominé par un groupe distinct, le premier par la "famille" des Bezi, le second par la "famille" des Batare. Sous la conduite du fils aîné du Mwami Mwambutsa, le Prince Rwagasore, I'UPRONA s'affirme rapidement comme le plus dynamique, emportant une victoire décisive aux élections de septembre 1961. Disposant de 58 sièges sur un total de 64 à l'Assemblée Nationale, Rwagasore pouvait normalement s'attendre à être élu chef du gouvernement après l'indépendance. Le sort en décida autrement. Son assassinat, en octobre 1961, par un tueur à la solde des dirigeants du PDC, met une fin brutale à sa carrière politique.
L'événement devait peser de façon décisive sur les destinées du royaume. Privé de son chef l'UPRONA se trouve tout à coup en proie à de graves dissensions; quant aux dirigeants du PDC ceux-ci sont publiquement exécutés à Gitega le 14 janvier 1962. L'embryon de partis politiques né à la veille de l'indépendance disparait donc avant même que ceux-ci aient pu jouer le role qui leur avait été dévolu. Devant ce vide politique la Cour n'hésite pas à récupérer le pouvoir à son profit.

Phase Il (1961-1965): La Couronne contre le Parti - La période qui suit la mort de Rwaagasore verra le pouvoir de la Cour se constituer contre l'UPRONA, tandis que certains de ses dirigeants (comme l'ex-Premier Ministre André Muhirwa) cherchent en elle un protecteur à qui s'accrocher. Autant que par l'intervention du Palais, l'UPRONA se trouve également paralysé par les luttes intestines qui y sévissent, et qui dans la plupart des cas opposent les cadres Hutu aux cadres Tutsi. Des tensions parallèles se font jour au sein du gouvernement et de l'administration, donnant ainsi a la Couronne l'occasion de parachever son entreprise de récupération. L'issue des élections législatives de 1965 en donnent la preuve: malgré la victoire incontestable du parti Hutu qui remporte 23 sièges sur 31 à l'Assemblée Nationale, la manière dont sont nommés les membres du gouvernement confirme ce que certains soupçonnaient déjà, à savoir què l'Assemblée Nationale était devenue un parlement-croupion. La Cour reste toute-puissante. La nomination d'un célèbre ganwa ou poste de premier ministre (Léopold Biha) le 13 septembre 1965 confirme l'intention de Mwambutsa de refuser "de souscrire à un subterfuge de langage qui (le) priverait de tout contrôle, de toute autorité et de toute possibilité d'étendre (à son peuple) le bénéfice de (sa) protection"."

Phase Il 1 (1965-1966): La Couronne contre l'Armée - La période suivante s'ouvre - et se termine - par un coup d'état. Le premier, le 18 octobre 1965, a toutes les apparences d'un coup manqué. Déclenchée par une mutinerie de certains officiers Hutu de l'Armée et de la Gendarmerie, cette première tentative se termine en effet par un échec. Mais ses conséquences politiques sont loin d'être insignîfiantes: Le premier ministre, Biha, attaqué à son domicile par les mutins, est laissé pour mort; et tandis que pratiquement chaque dirigeant Hutu de quelque valeur est apprehendé (puis exécuté), le Mwami, cédant à la panique, cherche réfuge au Zaire avant de choisir l'exil en Europe. Mwambutsa, cependant, refuse d'abdiquer en faveur de son fils. On assiste alors à une situation ubuesque: un royaume sans roi, un gouvernement sans pren-der ministre, et une administration en état de déliquescence! En fait les véritables détenteurs de l'autorité appartiennent à un groupe assez disparate composé de fonctionnaires, de militaires et de "Jeunesses" 12 la plupart d'origine Tutsi ou Hima. Tout en expédiant les affaires courantes, leur attention se porte naturellement sur le prâlème de la succession. C'est finalement le Prince Charles Ndizeye, fils cadet de Mwambutsa, qui sera choisi pour succéder à son père sous le nom dynastique de Ntare Les paroles prononcées par Ntare peu de temps avant son intronisation, en particulier qu'en vue "de mettre fin a quatre années de chaos et d'anarchie (il) avait décidé de prendre en mains les destinées du royaume" ~ traduisent mal la réalité de la situation. Car Charles est l'instrument choisi par les "Jeunes Turcs" pour stabiliser leur propre situation, et non le contraire. Lorsque le capitaine Micombero est formellement investi des fonctions de premier ministre par le souverain, ceux-ci savent à quoi s'en tenir: c'est Ntare qui est l'obligé et le tributaire de Micombero, et


 

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non l'inverse. Mais Ntare refuse à tout prix de voir rec son pouvoir personel - aussi son règne fut-il de courte durée ... Le 28 novembre 1966, alors qu'il se trouvaii Kinshasa, Ntaré apprit à la radio que l'Armée l'avait dE tué et instauré la République par un coup semblable à celui qui l'avait, quelques mois auparavant, hissé au po Ainsi se termina le dernier et le plus court des règnes ici registrés dans les annales du royapme.

Phase IV (1966-1972): La voie de la violence - Même coup du 28 novembre semble bieen avoir été préparé pa éléments Hirna, ai l'Armée ni l'Adrrùnistration ne furer transformés du jour au lendemain en institutions exclu ment dominées par des Hima. Le nouveau gouvernemet formé par Micomberci, le 12 décembre 1966 confia cinq treize postes ministériels à des Hutu, les huit sièges rest; étant partagés d'une manière presqu'égale entre Tutsi-H et Tutsi-Banyaruguru. Et bien que la présidence de la R publique fût assurée par Micombero, il n'y avait que de officiers parmi les ministres. Us affiliations régionales é ent également diversifiées, encore qu'au moins quatre & titulaires provenaient de la province de Bururi.

Les liens régionaux devaient cependant jouer un rôle de en plus important dans le processus de recrutement des élites civiles et militaires. A tel point qu'au début de 19» le partage des responsabilités gouvernementales est souv défini en termes régionaux: on parle de plus en plus des &4gens du sud" et des "gens du nord", des "Banyabururi' des 4'Banyaruguru". Il convient de noter a ce propos qui contrairement à l'appellation "Banyaruguru" le terme "Banyabururi" recouvre des solidarités purement région Les 4'Banyabururi" sont tout simplement les gens de la province de Bururi, quelque soit leurs origines ethniques Prétendre, comme le font certains, que le Banyabururi si par définition Hima est un non-sens, en tout cas une con trevérité. Ce qu'il faut souligner c'est l'émergence d'une prise de conscience régionaliste au sein des élites non-Hu originaires de Bururi. Cette prise de conscience est à la source du conflit qui allait bientôt opposer les gens de Bu ruri (Tutsi, Hirna et Sapfu) aux Banyaruguru originaires des autres provinces.

La région n'a cependant jamais supplanté de façon perm; nente le clan, le lignage ou l'ethnie comme source de solidarités. Tout au cours de la période qui a précédé la c nous assistons à une sorte de va-et-vient de solidarités. Cc revirements forment la toile de fond sur laquelle s'inscril le jeu des cliques et des factions. Pour s'accrocher au pou voir Micombero et ses conseillers doivent constamment manoeuvrer à la lisière de l'ethnie, de la région et du clan.

Deux types de conflits surgissent au cours de cette période: un conflit de clan et de région au sein du groupe Tutsi, et un conflit ethnique opposant les Tutsi aux Hutu. Jusqu'a moment où la crise éclate le champ où s'inscrivent les manoeuvres politiques s'organise autour de pôles multiples - autour de la région, de l'ethnie et du clan - mais sans toutefois produire un écartelement des forces relevant de chacun de ces pôles. Lorsque, pour une raison ou pour ur autre, s'accentuent les clivages régionaux, les différences ethniques s'amoindrissent; au contraire lorsque celles-ci s'affirment, ceux-là s'estompent.

Dans cet environnement remarquablement complexe et fluide, surgit un groupe de politiciens Tutsi dont l'action devait avoir un impact décisif sur les destinées du pays. Constitué d'une simple poignée d'individus (surtout d'ori gine Basapfu), ses chefs les plus en vue ont pour noms Albert Shibura, Arthémon Simbananiyé et André Yanda.


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Au début 1971, ils contrôlent plusieurs postes clés du gouvernement et de l'Armée, le premier comme ministre de l'Intérieur et de la Justice (en même temps qu'il détenait le grade le plus élevé de l'Armée du Burundi); le second comme ministre des Affaires Etrangères, de la Coopération et du Plan; le troisième comme ministre de l'Information et Secrétaire Général de l'UPRONA. Tous les trois sont originaires de Bururi; en tant que Basapfu ils peuvent à la rigueur se réclamer de liens lointains avec les Hima; enfin tout les autorise à s'identifier avec le groupe Tutsi au sens large - leur origine, leur apparence physique, leur méfiance presque congénitale des Hutu. Ils se situent sur une frange d'interférences culturelles qui leur permet de redéfinir leurs allégeances en fonction de la conjoncture du moment.

Leur ascension est d'autant plus remarquable que moins d'un an avant l'arrivée au pouvoir de Micombero les Basapfu avaient été pratiquement tous écartés du gouvernement. Après plusieurs essais infructueux visant à utiliser le Parti et les Jeunesses contre l'Armée (condamnés par Micombero comme "de folles tentatives émanant d'un petit groupe de personnalités irresponsables"" les têtes de file du "clan" Sapfu tentent de rallier l'Armée à leur cause. Leur objectif est ni plus ni moins de transformer l'Armée en tribunal de dernière instance destiné à arbitrer les querelles d'ethnie et de région. Mais pour mener à bien cette entreprise l'Armée devait au préalable être "purgée" de ses éléments "déviationistes", autrement dit d'éléments Hutu. Déjà en 1966 lors de l'incorporation des nouvelles recrues l'indice de Pignet avait été porté de 30 a 40 de manière a avantager les Tutsi. La taille minimum était portée a 1,70 m. A la même époque des instructions précises avaient été données pour exclure tout Européen des Commissions de Recrutement. En juillet 1968, huit officiers belges de l'Assistance Technique furent remerciés de leurs services sous le prétexte d'ingérence dans les procédures 4'normales" du recrutement. Des accusations montées de toutes pièces contre les élements Hutu de l'Armée justifièrent par après les purges énergiques qui y furent pratiquées.

La découvert d'un complot Hutu dans la nuit du 16 au 17 septembre 1969 fut le prétexte invoqué pour "résoudre" le problème Hutu. Après l'arrestation de quelque trente personnalités Hutu, la plupart officiers ou fonctionnaires, vint l'emprisonnement (suivi de l'exécution) de dizaines de soldats Hutu. Parmi les personnes arrêtées et par la suite exécutées figuraient Charles Karolero, sous-lieutenant membre de l'Etat-Major Général; Barnabé Kanyaruguru, ministre du Plan et de l'Economie; Jean-Chrysostome Mbandabonya (exécuté en 1972), ancien ministre des Affaires Sociales dans le pren-ùer gouvernement de Micombero; Cyprien Henehene, ancien ministre de la Santé (qui aurait succombé au cours de l'interrogatoire); et Joseph Cimpaye, directeur de la Sabena à Bujumbura (exécuté en 1972). Tous furent accusés de complot contre la sûreté de l'Etat. Le 18 décembre, vingt des détenus furent condamnés à mort et exécutés deux jours plus tard. Certains affirment que plus de cent exécutions eurent heu en décembre. Malgré la présence de quelques rares Hutu au gouvernement, la tendance vers la suprématie Tutsi est indéniable: sept des douze cabinets ministériels, dont celui des Affaires Etrangères, de la Défense et de la Sûreté ainsi que celui de l'Intérieur étaient occupés par des personnalités d'origine Tutsi. Six des huit gouverneurs de province appartenaient également à cette ethnie. Restait à savoir se cette tendance devait aboutir à une suprématie Banyabururi ou Banyaruguru.

En 1971, la clique Sapfu avait pris suffisamment d'ascendance sur Micombero pour lui faire croire à une menace Banyaruguru. Forts de l'appui du Chef d'Etat-Major de l'Armée du Burundi, Thomas Ndabemeye, ils accusent de conspiration un certain nombre de personnalités et mifitaires d'origine Banyaruguru, parmi les-quelles trois anciens ministres des Affaires Etrangères, Lazare Ntawurishira, Libère Ndabakwaje et Marc Manirakiza. Tous trois sont arrêtes, jugés et condamnés à mort. Le scénario adopté en 1969 pour éliminer le noyau de l'opposition Hutu se répète maintenant pour éliminer les Banyaruguru de tout poste influent. Une fois de plus, le procès se transforme en parodie de justice. Le 14 janvier 1972, le tribunal ritilitaire prononce neuf peines de mort et sept condamnations à vie. A la lecture du verdict, le Procureur Général, Nduwayo, quoique lui-même d'origine Basupfu, décide de remettre sa démission. Cependant, le 4 février, sous la pression de l'opinion publique nationale et internationale, les peines de mort sont commuées en emprisonnement à vie, et cinq des accusés, condamnés précédemment à des peines de prison, sont relaxés. Entretemps, le 20 octobre 1971, devant une situation de plus en plus tendue au sein de son propre gouvernement, Micombero met en place un "Conseil Suprême de la Révolution" (CSR) corps consultatif composé de 27 officiers de lArmée.

Tout en mettant en lumière les graves tensions survenues entre Banyabururi et Banyaruguru, ce scénario eut comme conséquence immédiates de créer dans le pays une atmosphère de crainte obsidionelle. Les débats connurent une large diffusion; la radio et la presse rapportèrent mot à mot les plaidoyers de la défense et de l'accusation. L'opinion publique n'avait jamais été mise en prise aussi directe avec l' "évènement". Les conséquences ne tardèrent pas à se faire sentir sur les collines. Des factions et groupuscules rivaux surgirent du jour au lendemain dans bon nombre de localités. C'est dans ce climat hypertendu, saturé d'appréhensions et de tensions de toutes sortes que le 29 avril 1972, Micombero décide soudainement de destituer tous les membres de son cabinet. Quelques heures après, la rébellion éclate, pour faire place aussitôt à une répression sans merci.

L'anatomie de la violence

Les pren-ùer coups furent portés entre 20 et 2 1 heures le 29 avril, et presque simultanément à Bujumbura et dans les provinces méridionales de Rumonge, Nyanza-Lac et Bururi. Dans ces provinces les assaillants Hutu sont appuyés par des groupes auxiliaires de "Mulélistes" organisés en bandes de 10 à 30 hommes; dans la seule province de Bururi les "Mulélistes", se chiffrent à environ 1.000 ou 1.500 individus. Notons à ce propos qu'au moment ou se déclenche l'insurrection environ 25.000 réfugiés Zairois, la plupart d'origine Babembe", s'étaient établis dans le sud du pays. Bien que culturellement distincts des populations Hutu du Burundi ils n'en partageaint pas moins leurs griefs contre le "lobby" de Bururi; on comprend d'autant mieux leur réceptivité aux incitations du mouvement rebelle. que tout comme les Hutu, les Babembe avaient été parmi les premières victimes de la "tribalisation" du pouvoir au Kivu et au nord-Katanga dans les années 60-63. Comme les Hutu ils appartenaient a une ethnie d' "exclus". Ceci dit il semble que le fer de lance de la rébellion ait été constitué d'éléments opérant à partir de le Tanzanie, à proximité de la frontière du Burundi.


 

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Les attaques sont menées avec un brutalité sanguinaire: équipés d'armes automatiques, de machetes et de lances, les assaillants massacrent ou mutilent systématiquement tous les Tutsi qu'ils rencontrent, femmes, hommes et enfants. Les Hutu qui refusent de participer aux tueries sont euxmême massacrés (conformément à ce que prescrit la tradition à l'égard des hommes de main récalcitrants). On estime à 10.000 le nombre des rebelles, tant Hutu que Muléhstes", qui prirent part à l'insurrection. Ils se rendent rapidement maîtres des chefs-lieux de province de Nyanza-Lac et de Rurnonge; si l'on en croit la version officielle, ils proclament une "République Populaire" dans la région de Bururi et s'y maintiennent pendant deux semaines avant d'être mis en déroute. Parmi les victimes du massacre, à Bururi, figurent le beau-frère du Président Micombero, le gouverneur de Bururi et environ une quarantaine de fonctionnaires provinciaux. Entretemps à Bujumbura une trentaine de rebelles s'attaquent simultanément à la station de radio et au camp militaire. Ils sont immédiatement repoussés. Dans sa phase initiale la rébellion a couté la vie à au moins 2.000 personnes; les pertes les plus lourdes sont enregistrées dans la province de Bururi.

Par certains cotés la rébellion rappelle de façon frappante celle qui sévit dans l'est du Zaire en 1964. Au Burundi comme au Zaire c'est par l'usage des stupéfiants et de la magie que les rebelles cherchent l'assurance de leur invincibilité; dans un cas comme dans l'autre les attaques sont menées de façon désordonnée, et s'accompagnent de cruautés gratuites; ajoutons que tout comme au Zaire (et peutêtre davantage encore) le processus de la rébellion se déroule dans un cadre organisationnel extrêmement rudimentaire. A la manière des simbas du Zaire les rebelles ont recours au chanvre et au rituel d'immunisation magique, croyant ainsi se rendre invulnérables; selon le témoignage d'un journaliste, certains des insurgés "portaient sur la tête err guise de casque des espèces de casseroles blanches enduites de sang, le corps tatoué de signes magiques pour se rendre invulnérables"". S'il faut en croire Micombero, "les médecinsféticheurs jouerent un rôle important ... à tel point que pour prouver leur efficacité les instructeurs Mulélistes n'hésitaient pas à tirer à blanc sur leurs compagnons, puis à balles réelles sur un chat ou un chien"19. Quoiqu'il en soit retenons ici que c'est surtout gràce à la réceptivité du milieu ambient que la rébellion doit son succès initial et non a la solidité de son appareil insurrectionnel ou son idéologie. Contrairement à ce que nous venons de décrire la vengeance répressive qui s'abat sur le pays se déroule de façon plus systématique, plus efficace aussi si l'on en juge par ses effets destructeurs. Les contre-attaques débutent le 30 avril. C'est alors que l'Armée et les Jeunesses coordonnent leur action pour exterminer pratiquement tout individu soupçonné d'avoir pris part à l'insurrection. La loi martiale est mise en vigueur dans tout le pays; un couvre-feu est instauré. Entre temps Micornbero prend contact avec les autorités àu Zaire pour obtenir une couverture aérienne et des renforts de troupes. Ceux-ci arrivent à Bujumbura le 3 mai. Les paracommandos Zairois ayant pris en charge la défense de l'aéroport l'Armée du Burundi entreprend alors le "nettoyage" des provinces. Parler de "répression" pour décrire le massacre hideux qui s'ensuivit serait un euphémisme. Selon Marvine Howe, du New York Times, ce sont les brigades de Jeunesses Révolutionnaires Rwagasore qui prennent l'initiative des arrestations et tueries arbitraires. Il faut ajouter à cela les règlements de compte personnels, les individus dénoncés comme rebelles en raison de bisbilles au sujet d'un lopin de terre ou d'une vache2o. A Bururi, cependant, l'Armée s'en prend indistinctement à tous les

Hutu. A Bujumbura, Gitega et Ngozi tous les "cadres (entendons par la non seulement les fonctionnaires p ciaux mais les chauffeurs, clercs, plantons et ouvriers semi-specialisés) sont systématiquement arrêtés au cc rafles, jetés en prison pour y être soit fusillés soit bat mort à coups de crosse ou de gourdin. Rien qu'à BujL on estime à 4,000 le nombre de Hutu chargés sur des camions et menés comme du bétail à la fosse commui Au dire d'un témoin Tutsi, "tous les Hutu au dessus c secondaire ont été embarqués" 21 ;on pourrait en ajou beaucoup d'autres au dessous de ce niveau.

Certaines des scènes les plus horribles ont pour théatre l'Université Officielle de Bujumbura ainsi que les écoles techniques et secondaires. Des dizaines d'étudiants Hutu sont littéralement assaillis par leurs "condisciples" tués et battus à mort. Pendant ce temps, des groupes de mouvement de Jeunesses pénètrent à l'improviste dans les classe appellent les élèves Hutu par leurs noms et les sommes les suivre. Bien peu prendront le chemin du retour. A l'Uni versité Officielle, un tiers des étudiants soit environ 12  disparaissent de cette façon. L'Ecole Normale de Ngag près de Bujumbura, perdit ainsi plus de 100 étudiants ~ un total de 314, sur les 415 étudiants inscrits à l'Ecole Technique de Kamenge-Bujumbura, on estime à 60 le chiffre des élèves massacrés, et à 110 ceux qui prirent la fuite; à l'Athénée (école secondaire) de Bujumbura, su 700 élèves, au moins 300 disparurent, certains étant tu d'autres ayant fui le massacre; à l'Athénée de Gitega, 40 étudiants furent tués, portant le nombre de disparu 148; à l'institut Technique Agricole, également à Gitega 40 des 79 étudiants sont portés manquants, et 26 parmi eux ont été exécutés. L'Ecole Normale Supé rieure et l'Ecole Nationale d'Administration subirent de lourdes pertes. Ces coupes sombres atteignent également les écoles confessionnelles, tant catholiques que protestantes. Ce ne sont pas seulement les élites Hutu proprement dites, mais tout ce qui chez les Hutu représen tait une élite en puissance, qui furent éliminés (voir Appendice 11). Pas même l'Eglise ne fut épargnée. Suivant le témoignage de Marvine Howe "12 prêtres Hutu auraient été tués et milliers de pasteurs protestants, de directeurs d'écoles et d'instituteurs. A l'hôpital de Bujumbura, 6 docteurs et infirmières furent arrêtés et probablement mis à mort". L'appartenance à une Eglise ou à une autre n'a pourtant rien à voir avec les pertes de leurs effectifs. Aucun secte ne jouit d'une immunité contre les massacres. La répression prit ainsi l'allure de génocide sélectif destiné à supprimer toutes les couches instruites ou semi instruite de l'ethnie Hutu.

Quelle explication donner à une violence aussi démesuré Avant de tenter de répondre à cette question, plusieurs remarques s'imposent. Notons en premier heu que les vii times de la répression ne furent pas exclusivement d'orig Hutu. Même si les Tutsi ne représentent qu'un infime pourcentage du chiffre des victimes, le fait que des Tutsi aient été massacrés par des membres de la même ethnie mérite d'être souligné. S'agit-il de réfugiés rwandais? On peut  y voir la preuve d'un règlement de comptes entre Hima e Banyaruguru? Nous y reviendrons ultérieurement. Relevé  cependant qu'une centaine de Tutsi furent exécutés à Gitega dans la nuit du 6 mai. Au cours de la journée,  que le rapporte Jeremy Greenland, "des conseils de gueri siégèrent dans les chefs-lieux de province et les condamnés furent exécutés le même soir. Un chauffeur congolais, travaillant au Burundi au service d'une firme italienne, eu l'ordre de creuser cette nuit-là deux grandes fosses à l'ex térieur de Gitega. Il y entassa 100 cadavres fraîchement abattus et jure que les victimes étaient principalement des Tutsi". Comme l'ajoute Greenland il s'agit là d'un témoignage capital pour qui veut mettre en évidence que des Tutsi aient bel et bien été exécutés au cours de la répres
sion.



Un autre élément à ne pas perdre de vue concerne les circonstances qui ont entouré le retour de l'ex-roi Ntaré au Burundi en mars 1972, et son exécution à Gitega le 29 avril. Le retour de Ntare fut négocié personnellement par le Président Amin de l'Ouganda et Micombero, peu après l'arrivée de l'ex-souverain à Kampala le 21 mars. Sur la promesse de garanties verbales et écrites du Président Micombero, Amin autorisa Ntaré à retourner à Bujumbura le 30 mars. "Tout comme vous, écrivait Micombero à son homologue de l'Ouganda, je crois fermement en Dieu ... Votre Excellence peut-être assurée qu'aussitôt que Monsieur Ndizeyé sera de retour dans mon pays, il y sera considéré comme un simple citoyen et qu'en tant que tel, sa vie et sa sécurité seront assurées".' Cependant, l'ex-roi avait à peine atterri à Bujumbura qu'il était immédiatement amené sous escorte militaire à Gitega et mis en résidence surveillée. Il y fut passé par les armes exactement un mois plus tard. La nouvelle de sa mort fut annoncée à Bujumbura par un communiqué officiel de la radio: l'ex-roi avait été tué au cours d'une attaque des rebelles contre sa résidence. Toutefois le Président Micombero devait admettre ultérieurement qu'il avait été jugé pour complot contre le gouvernement et exécuté dès le début de la rébellion, c'est à dire le 29 avril. D'après la version officielle Ntaré avait mis au point un plan d'invasion du pays avec l'aide de mercenaires étrangers.

La version officielle des autorités du Burundi met donc en cause deux groupes d'acteurs politiques distincts: d'une part l'ex-roi Ntaré, s'efforçant, selon les termes de Micombero, "de lui tendre un piège avec la complicité de mercenaires étrangers"", et d'autre part les auteurs du complot Hutu, parmi les quels figuraient des personnalités importantes de l'Armée et du gouvernement. Le premier complot fut rapidement étouffé et ne prêta guère à conséquence (sauf pour Ntaré); on ne pouvait en dire autant du deuxième, car de toute évidence il s'agissait là d'une affaire infiniment plus sérieuse. Toujours dans cette optique officielle, la rébellion nous est présentée comme une gigantesque conspiration Hutu visant à "liquider" l'ethnie Tutsi.
Ni l'une ni l'autre de ces explications n'est entièrement satisfaisante; le moins qu'on puisse dire est qu'elles laissent de nombreuses questions en suspens. Peut-on imaginer un instant que Ntaré était capable à lui seul de préparer l'invasion du Burundi par des mercenaires étrangers ou même imaginer qu'il en ait eu l'idée? Est-il concevable, et luimême pouvait-il sérieusement concevoir, que son autorité chancelante, sinon inexistante, eût suffi à rallier à ses côtés les masses Hutu et à allumer des foyers de révolte dans tout le pays - et cela au nom d'une monarchie qui avait déjà cessé d'exister?

L'idée d'un vaste complot orchestré par des fonctionnaires et militaires Hutu, quoique plausible, soulève néanmoins un certain nombre de questions. S'il est vrai - ainsi que l'affirme la version officielle des autorités du Burundi - que certains fonctionnaires Hutu avaient accordé une aide financière aux rebelles, que des milliers de machetes avaient été découverts au domicile du ministre Hutu des Travaux Publics, qu'une carte dévoilant les zones de forte concentration Tutsi avait été trouvée chez le ministre Hutu des Postes et Communications, pourquoi de telles preuves n'ont-elles

pas été produites à l'appui des accusation S? 26 S'il est exact que deux millions de francs belges et des quantités d'armes et de munitions furent saisies au domicile du souslieutenant Ndayahozé, et que ce dernier avait été pressenté pour devenir le premier Président de la République Hutu, où sont les preuves? Où sont les listes de conspirateurs Hutu trouvées en possession des rebelles? Quelle explication donner à la démission brutale du cabinet Micombero le 29 avril? Enfin s'il on tient compte de l'effet traumatisant - et atrophiant - des purges effectuées au cours des années précédentes, peut-on réellement croire qu'un petit groupe de fonctionnaires Hutu aient l'intrépidité, voire la folie, de préparer une révolte contre une armée largement dominée par des officiers Tutsi? Que quelques officiers ou sousofficiers Hutu aient réellement comploté contre le gouvemement n'est pas à exclure; ce qui, par contre, laisse beaucoup plus sceptique est que ce soi-disant complot ait impliqué autant de personnes dans la haute Administration et dans l'Armée que les autorités du Burundi l'ont affirmé par la suite.

Au moins deux autres hypothèses: ou bien la rébellion était la résultat d'une provocation délibérée du "lobby" de Bururi, ayant pour but d'amener une "solution définitive" du problème Hutu et une "solution provisoire" du problème Banyaruguru; ou elle était l'aboutissement d'une alliance tactique entre les élements Banyaruguru et Hutu. La première de ces hypothèses semble très improbable, ne fût-ce qu'en raison des énormes risques qu'elle entraînait. De plus, on peut se demander si les quelques heures qui se sont écoulées entre la démission du cabinet de Micombero et le déchaînement de la rébellion étaient suffisantes pour donner le branle à une révolte d'une telle ampleur. On ne doit pas non plus perdre de vue que la région la plus durement touchée par la révolte et où les "événements" curent les effets les plus dévastateurs, était précisément le bastion des élites de Bururi. Que certains membres du cabinet démissionnaire aient délibérément déclenché une rébellion là où ils étaient les plus vulnérables, semble difficile à concevoir. Une explication plus raisonnable, suggérée par Jeremy Greenland27, est que Micomb,.ro avait eu vent du complot et s'attendait au pire, et qu'il congédia ses ministres de façon à avoir les mains libres pour affronter la rébellion au moment où elle se déclencherait. La preuve la plus évidente à l'appui de cette hypothèse - qui montre également que ni Micombero ni ses conseillers n'avaient la moindre idée de la date à laquelle cette révolte éclaterait - est que le 29 avril, tous les fonctionnaiires Tutsi de la province de Bururi avaient accepté de se rendre à une réunion politique organisée à leur intention à Rumonge ... invitation qui n'était qu'une ruse pour les assassiner. Tous les invités furent tués à l'exception de Shibura et de Yanda.

Si l'idée d'un Complot a quelque fondement, celui-ci ne doit pas être recherché au niveau d'une alliance tactique entre Hutu et Banyaruguru; tout au plus s'agit-il d'une coalition d'interêts plus ou moins précaires entre Hutu et Mulélistes, et peut-être aussi (mais là nous entrons dans le domaine de la spéculation) entre réfugiés rwandais et Banyaruguru. La nature exacte des fiens qui relient chacun de ces groupes n'est pas facile à déterminer. Les Mulélistes, nous l'avons vu, se trouvaient largement concentrés dans les provinces du sud; les réfugiés rwandais, par contre, sont surtout répartis dans les provinces du nord (tout au moins jusqu'en 1965). Sans doute malgré les différences culturelles qui les séparent, rwandais et Muléfistes ont-ils partagé les mêmes épreuves: certains ne se sont-ils pas battus côte à côte contre l'Armée Nationale Congolaise(ANC) durant la rébellion de 1964? 

 


 


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Ils entretiennent par ailleurs des griefs analogues vis-à-vis du régime Micombero, les Muléfistes pour ne pas avoir été soutenus suffi. sament dans leur lutte contre les autorités du Zaire, les rwandais pour avoir été mis dans l'impossibilité de monter des opérations à main armée contre le régime de Kayibanda. D'origine Tutsi pour la plupart, les réfugiés rwandais les plus politisés appartiennent au groupe d'inyenzi ("combat tants"'I qui pénétrèrent au Burundi en 1965 après avoir essuyé, aux côtés des Mulélistes, les contre-offensives de i i~NC, A l'époque leur présence au Burundi fournissait aux autorités iti Burundi une garantie de securité en cas de Hutu; mais à partir du moment où cette 
J.L1n~,~" pouvait se transformer en menace les autorités uc Bujumbura n'hésitèrent pas 4 ies désarmer. L'opération, notons-le, fut menée "en ta.-iGer.l" par les armées du Zaire et du Burundi. Aussi réelle que soit leur antipathie vis-à-vis de ce certains réfugies appellent la "clique" Micombero, celle-ci n'a rien de commun avec la haine qui semble les animer à l'égard des Hutu. Qu'une alliance de raison ait pu se nouer entre Muléfistes et réfugiés rwandais nous semble parfaitement fantaisiste; l'hypothèse d'une alliance HutuBanyaruguru ne résiste pas davantage à l'examen. Mieux vaut parler d'une convergence d'intérêts liant chaque groupe de réfugiés à l'ethnie (ou "faction") la plus proche, culturellement et politiquement, à savoir les Mulélistes aux Hutu et les in - venzi aux Tutsi. Chaque groupe de réfugiés devinÉ en qiic!,itie soîie tributaire de l'ethnie "alliée". Vu le contexte c~fL.ïqu2 et geographique où débuta l'insurrection en corrip-t3-d que ini ies inyenzi ni les Banyaruguru n'aient eu !e désir de se jeter dans la melée, prefèrant pour le moment laisser les Hutu et les Banyaruguri s'entredéchirer. Ce fut precisément l'un des reproches adressés aux Banyaruguru, si l'on en juge par le massacre de Tutsi qui eut heu à Gaega le 6 mai. Peut-être aussi (autre facteur susceptible d'expliquer le massacre) certains Banyaruguru espèraient-ils que le soulèvement Hutu pourrait être "récupéré" à leur profit grâce à l'intervention de Ntaré au moment opportun, la rébellion se transformant alors en véhicule destiné à restaurer à la fois la monarchie et l'hégémonie Banyaruguru. Nous n'en avons cependant aucune preuve.

En dehors de savoir qui étaient les véritables auteurs du ~1complot" ce qu'il faut souligner c'est la diversité des motifs qui poussèrent les insurgés à la violence. Pour les Muléhstes le fait de participer aux tueries exprimait beaucoup plus qu'une accumulation de griefs contre le "lobby" dz Bururi; leur comportement traduisait également un ir,unsfert d'aggressivité d'une cible (les autorités zairoises)
anc autre (les autorités du Burundi). Ce n'est donc pas s.~u!einent sur le plan culturel et ethnique que les Mulélistes se differenciaient des Hutu, mais aussi sur le plan des motivations. Parmi les Hutu certains se rallièrent à la rébellion par cr4inte des représailles; d'autres par opportunisme; d'autres enfin - la majorité - en raison de leur haine profonde de tous les Tutsi, quelque soit leur clan ou leur orgine régionale. On relève enfin des différences majeures en ce qui concerne le comportement des activistes ruraux et des "comploteurs" urbains de Bujumbura. À supposer qu'un complot ait effectivement été ourdi à Bujumbura par certains fonctionnaires ou sous-officiers Hutu, ni leur modus operandi ni leurs objectifs à long ternie n'avaient quoique ce soit de commun avec ceux des cadres ruraux, Hutu ou Mulélistes. L'objectif-cilef à Bujumbura n'était pas de tuer tous les Tutsi à portée de la main, ou des balles, mais de prendre l'a radio et le camp militaire, conditions sine qua non d'une prise de pouvoir. Et si nous devions
donner crédit à l'hypothèse suivant la quelle les Banv~ guru espéraient s'entendre avec Ntaré dans le but de récupérer la rébellion, c'était pour des motifs évidemn très différents de ceux qui animaient les insurgés de Bujumbura et de Bururi.

Ces remarques valent également en ce qui concerne les motivations et contradictions qui se sont manifestées c les auteurs de la répression. La crainte d'un massacre ii nent de tous les Tutsi sans distinction - crainte parfait ment fondée si l'on se rappelle des massacres de Tutsi ~ Rwanda en 1959-62, et à nouveau en 1964 - explique doute la brutalité sanguinaire à la quelle nous avons fai allusion précédemment. Il faudrait aussi mentionner le animosités personnelles, les rancoeurs dont certains ca( Hutu étaient devenus l'objet (à tort ou à raison), le dés de s'approprier les biens des victimes - leurs vaches, le terres, leurs bicyclettes, leurs huttes, parfois même lew compte en banque. Mais tout cela n'explique pas les tu délibérées et systématiques qui suivirent le soulèvernen On reste littéralement sidéré par la vélocité avec la quel la répression se mua en actes quasi-génocidaires, visant à liquider purement et simplement la presque totalité d Hutu instruits ou semi-instruits. Voici comment Jerem, Greenland décrit le déroulement des opérations de nettoyage:

Des Tutsi de l'endroit arrivaient au lieu dit, appréhei daient instituteurs, dirigeants de mouvements ecclésiastiques, infirmiers, fonctionnaires, commercants, Hutu, et leur faisaient signe de monter dans leurs La rovers. Des bandes de Tutsi ratissaient les faubourgs de Bujumbura et emmenaient des camionnées de Hu vers une destination inconnue. Durant tout le mois É mai et jusqu'à la mi-juin les excavatrices fonctionnai~ chaque nuit à Gitega et à Bujumbura, aménageant le! fosses communes. Dans les écoles secondaires les ma: assistaient impuissants aux ratissages d'étudiants ... Ceux qui étaient arretés étaient pour la plupart liqui( la nuit même, souvent dévêtus et assommés à coups ( trique sous les bâches des camions avant même d'arri à la prison, puis achevés sur place, à la nuit tombante à coups de gourdins. Il ne fallait pas qu'on gaspflle in tilement des cartouches.


On assiste à une sorte de violence "prophylactique", vis; non seulement à décapiter la rébellion mais pratiquemer toute la société Hutu. Ainsi s'ébauche, à coups de bayor nettes, un nouvel ordre social.

C'est en effet une société d'un type entièrement nouveai qui est née de cette ablation chirurgicale des meilleurs d~ ses membres. Une société où seuls les Tutsi sont quatifW pour accéder au pouvoir, à l'influence et à la richesse.

L'ethnie Hutu, c'est à dire ce qu'il en reste, est à présent systématiquement exclue de l'Armée, de la fonction pub fique, et pour ainsi dire de l'Université et de l'enseignerm secondaire. Les quatre Hutu à présent investis de fonctio ministérielles n'ont aucune autorité, leur fonction essentielle étant de masquer le fait de la domination Tutsi. Le: fonctions auparavant réservées aux Hutu sont maintenan le privilège des Tutsi, comme le sont pratiquement tous 1 postes importants du secteur économique moderne. (La réimposition de taxes d'école en septembre 1973 a eu comme effet une nouvelle réduction du nombre des orpb. Uns et autres enfants Hutu admis dans les écoles primaire et secondaires. Comme le disait un missionaire: "Ayant réglé le sort des pères, ce sont maintenant les fils de l'éfitt qui sort exclus de l'instruction".) Etre Hutu c'est appart nir à une catégorie humaine inférieure.

 

 

 

TEMOIGNAGES SUR UN GENOCIDE

 

 

TÉMOIGNAGES SUR UN GÉNOCIDE (Le Monde)
Plusieurs lecteurs, témoins des troubles au Burundi, nous adressent des précisions sur les massacres qui, selon le premier ministre belge. M. Gaston Eyskens. ont pris les proportions d'un " véritable génocide " ("le Monde"  du 26 mai)... Depuis une semaine, la répression qui fait suite à la rébellion du 29 avril s'est considérablement aggravée. Elle prend l'allure d'une élimination systématique des intellectuels hutus, et, en général, de tous ceux qui savent quelque chose ou possèdent quelque bien. Dans la capitale, les arrestations et les exécutions sommaires se poursuivent. Excités par la Voix de la Révolution, qui encourage « les forces vives de la nation à débusquer les ennemis du peuple »,les Tutsis, surtout les membres du parti Uprona, dénoncent tous les Hutus qu'ils connaissent, collègues de travail, subordonnés, supérieurs, voisins, condisciples... Quarante-cinq noms figuraient sur la liste des arrestations, mais une vingtaine d'élèves en fuite n'ont pas répondu à l'appel.

 

UN JOURNALISTE BELGE CONFIRME QU'UN VERITABLE GENOCIDE A LIEU ACTUELLEMENT AU BURUNDI
Le journaliste a affirmé que des camions ont transporté de nombreux corps qui ont été inhumés près de Bujumbura. Même des étudiants de 15 ans auraient été exécutés, selon lui. A l'issue du Conseil de cabinet de vendredi dernier, on s'en souvient, le Premier ministre, M. Eyskens, avait déclaré que la situation au Burundi était particulièrement alarmante et qu'on était, en réalité, confronté à un gigantesque génocide.

 

 

Les témoignages se multiplient /La population Hutu du Burundi est l'objet d'une liquidation systématique /Il y aurait entre cinquante et
cent cinquante mille morts

Cependant, les témoins rapportent que la répression contre les Hutus a dépassé en horreur cette révolte. On cite les cas de petits élèves hutus qu'on irait chercher dans les écoles pour les tuer. Des centaines de personnes seraient soumises à des séances de matraquages par des membres des  Jeunesses révolutionnaires. Les blessés seraient laissés sur place jusqu'à ce que mort s'ensuive.  A Bujumbura, l'armée s'ést emparée d'étudiants hutus et les ai mis à mort dans les camions qui les emportaient, parfois à l'arme blanche. Des professeurs hutus ont également été massacrés. Cette répression systématique ne viserait pas seulement les élites, mais également les éléments hutus qui, au niveau du primaire et du secondaire, en étaient au stade de l'alphabétisation.

 

 

 


Une des premières photos des massacres du Burundi:
 ce camion rempli de cadavres. 
(Source: La Libre Belgique,29-05-1972)

 

La répression contre les Hutus'est déchaînée le 7 mai après un appel lancé à la radio (Source: La Libre Belgiques,29-05-1972)
Les événements qui se sont déroulés et se dérouleraient encore au Burundi, apparaissent d'une extrême gravité. En dépit du black-out systématique imposé par les autorités, on commence à avoir des détails - grâce aux témoignages d'Européens qui ont quitté le pays récemment - sur le véritable génocide que l'armée, la police, les militaires du parti unique et la « jeunesse révolutionnaire » ont entrepris à l'encontre des Hutu.

 

La répression contre les Hutu

Un appel à la radio : Le dimanche 7 mai, au matin la radio a annoncé que les tribunaux militaires, ayant siégé le samedi, avaient prononcé plusieurs condamnations à mort sans en préciser le nombre et que les jugements avaient été aussitôt exécutés. Mais la radio a demandé aussi aux militants du parti unique, l'UPRONA, et à la "jeunesse révolutionnaire RWAGASORI" de demeurer vigilants, d'arrêter tous les suspects, au besoin de les désarmer et de les livrer aux autorités militaires...Le dimanche matin, aussitôt après l'appel lancé par la radio, la jeunesse révolutionnaire et les militants du parti ont procédé à des arrestations dès la sortie de la messe dans plusieurs localités. lis ont également arrêté, dans les hôpitaux, des infirmières, et des médecins africains. L'un d'eux a été battu à mort. Lorsque sa femme, mère de huit enfants, est venue proposer un matelas pour son mari, les gardes lui ont dit qu'il n'en avait plus besoin.

 

 

TÉMOIGNAGES : L'extermination d'une ethnie (Le Monde, 01/06/1972)

L'E.N.S. (2) a perdu soixante élèves (tous Hutu), l'U.O.B. (3) cent étudiants (tous Hutu). Le massacre continue. Par camions entiers on charroie, nuit et jour, des cadavres. On arrête tous les « suspects». On les oblige à se dévêtir. On les fait coucher à plat ventre, les mains derrière la nuque. On les cogne à coups de crosse, de bâton, de pierres. On les torture. Puis on les transperce à la baïonnette. Les bulldozers font le reste.Sans parler des innombrables règlements de comptes ! Dans les écoles, les élèves tutsi assassinent leurs camarades à coups de pierres, de machette, de bâton...La J.R.R., constituée en groupes d'autodéfense, «ratisse» les collines, tue les gens, incendie les fermes.

 

TÉMOIGNAGES SUR UN GÉNOCIDE (Le Monde)


Plusieurs lecteurs, témoins des troubles au Burundi, nous adressent des précisions sur les massacres qui, selon le premier ministre belge. M. Gaston Eyskens. ont pris les proportions d'un " véritable génocide " ("le Monde"  du 26 mai)... Depuis une semaine, la répression qui fait suite à la rébellion du 29 avril s'est considérablement aggravée. Elle prend l'allure d'une élimination systématique des intellectuels hutus, et, en général, de tous ceux qui savent quelque chose ou possèdent quelque bien. Dans la capitale, les arrestations et les exécutions sommaires se poursuivent. Excités par la Voix de la Révolution, qui encourage « les forces vives de la nation à débusquer les ennemis du peuple »,les Tutsis, surtout les membres du parti Uprona, dénoncent tous les Hutus qu'ils connaissent, collègues de travail, subordonnés, supérieurs, voisins, condisciples... Quarante-cinq noms figuraient sur la liste des arrestations, mais une vingtaine d'élèves en fuite n'ont pas répondu à l'appel.

 

UN JOURNALISTE BELGE CONFIRME QU'UN VERITABLE GENOCIDE A LIEU ACTUELLEMENT AU BURUNDI

Le journaliste a affirmé que des camions ont transporté de nombreux corps qui ont été inhumés près de Bujumbura. Même des étudiants de 15 ans auraient été exécutés, selon lui. A l'issue du Conseil de cabinet de vendredi dernier, on s'en souvient, le Premier ministre, M. Eyskens, avait déclaré que la situation au Burundi était particulièrement alarmante et qu'on était, en réalité, confronté à un gigantesque génocide.

 


TÉMOIGNAGES : L'extermination d'une ethnie (Le Monde, 01/06/1972)

L'E.N.S. (2) a perdu soixante élèves (tous Hutu), l'U.O.B. (3) cent étudiants (tous Hutu). Le massacre continue. Par camions entiers on charroie, nuit et jour, des cadavres. On arrête tous les « suspects». On les oblige à se dévêtir. On les fait coucher à plat ventre, les mains derrière la nuque. On les cogne à coups de crosse, de bâton, de pierres. On les torture. Puis on les transperce à la baïonnette. Les bulldozers font le reste.Sans parler des innombrables règlements de comptes ! Dans les écoles, les élèves tutsi assassinent leurs camarades à coups de pierres, de machette, de bâton...La J.R.R., constituée en groupes d'autodéfense, «ratisse» les collines, tue les gens, incendie les fermes.

 

Selon le secrétaire de l'O. N. U.: «Les dimensions de la tragédie au Burundi sont effarantes»/Les efforts de développement ont été gravement affectés
" Le gouvernement du Burundi lui-même, indique le rapport, a informé la mission spéciale que 80.000 personnes avaient trouvé la mort depuis le 29 avril, et que cinq cent mille autres, parmi lesquelles 50.000 veuves et des dizaines de milliers d'orphelins. étaient en proie à de graves souffrances et avaient besoin d'une assistance humanitaire"

 

L'ONU déplore une « tragédie aux dimensions effarantes
« Le gouvernement du Burundi lui-même, indique le rapport, a informé la mission spéciale que quatre-vingt mille personnes avaient trouvé la mort depuis le 29 avril, et que cinq cent mille autres, parmi lesquelles cinquante mille veuves et des dizaines de milliers d'orphelins, étaient en proie à de graves souffrances et avaient besoin d'une assistance humanitaire. La mission spéciale a également été informée que quarante mille personnes environ avaient cherché refuge au Ruanda, en Tanzanie et au Zaïre, pays voisins du Burundi. »

 

La cruauté de  la  répression (1972)
Les massacres organisés par les rebelles le 29 avril et les jours suivants en province de Bururi ont peut-être acculé à la répression les Tutsis effrayés. Il ne reste qu'une jacquerie paysanne, soutenue - sinon provoquée - par les nostalgiques de la révolte que sont les Simbas congolais, donne maintenant au pouvoir militaire un prétexte pour frapper durement ceux qui ne demandent qu'à prendre légitimement en main leur avenir.

 

Le tribalisme érigé en politique
S'il s'agit de distinguer des choix Politiques dans les relations avec l'étranger, dans la politique à l'éducation... dans l'attitude à l'égard de l'affairisme de l'Association des commerçants barundis ou à l'égard des capitaux étrangers, etc, il me semble qu'il y a là des options idéologiques et dans ce contexte le "tribalisme"  est un outil au service d'un groupe dominant des élites urbaines ( certains parleront de "bourgeoisie nationale"). Le tribalisme, ce n'est pas une fatalité raciale comme on le croit facilement: c'est une politique.

 

Rapportés par des témoins rentrés en Belgique/Des récits effroyables sur les massacres au Burundi/Les enfants seraient pris dans les écoles pour être exécutés
Dans cette sinistre hiérarchie de la liquidation, ils en étaient, la semaine dernière, à venir enlever dans leurs écoles techniques des élèves de 14 à 17 ans et commençaient à s'en prendre aux femmes et aux jeunes filles. Il y a une huitaine de jours, les estima tions les plus sérieuses du nombre des victimes du génocide allaient de cinquante mille à cent mille. Mais depuis lors le massacre s'est' poursuivi. Notre confrère de la B.R.T., M. Geerts, a vu, à Bujumbura, des captifs étendus en couches super posées dans un camion, emmenés vers le lieu de leur supplice. Une heure après le couvre-feu, chaque soir, il voyait des camions chargés de cadavres roulant en direction du champ d'aviation à proximité duquel une fosse commune se comblait peu à peu de corps.


M.Eyskens: "un véritable génocide au Burundi"
(La Cité, 21-22 mai 1972) Les informations que nous publions, depuis quinze jours, sur les horribles massacres perpétrés au Burundi viennent d' être confirmées par le gouvernement beige.Hier, à l'issue dit Conseil des ministres, M. Eyskens - qui. la semaine dernière déjà, avait souligné le caractère dramatique de la situation - a déclaré que " le gouvernement avait pris connaissance d'informations complémentaires indiquant que le Burundi n'est pas confronté avec une lutte tribale, mais avec un véritable génocide" !

 

Selon le secrétaire de l'O. N. U.: «Les dimensions de la tragédie au Burundi sont effarantes»/Les efforts de développement ont été gravement affectés
" Le gouvernement du Burundi lui-même, indique le rapport, a informé la mission spéciale que 80.000 personnes avaient trouvé la mort depuis le 29 avril, et que cinq cent mille autres, parmi lesquelles 50.000 veuves et des dizaines de milliers d'orphelins. étaient en proie à de graves souffrances et avaient besoin d'une assistance humanitaire"

 

 

Selon le représentant permanent de Bujumbura à l'O.N.U.: LES TROUBLES DU BURUNDI AURAIENT FAIT DE 50 A 60.000 MORTS
"Le Burundi, contrairement à la Belgique, est une nation au plein sens du mot", a déclaré devant la presse, à Genève, l'ambassadeur Nsanze Terence, représentant permanent du Burundi auprès des Nations-Unies. Si celui-ci admire le fait que Wallons et Flamands ont fini par constitue la nation belge, il a tenu à souligner que les Burundais, quant à eux, ne sont divisés en Hutus et Tutsis que  "par la fantaisie des premiers colonisateurs et sur le simple critère de leur taille"...  Le  "génocide sélectif " imaginé par les organisateurs de la rébellion fut alors transformé par ceux-ci en un carnage sans distinction, dans le sud-ouest du pays surtout. Les "rares" monarchistes du pays pensèrent pouvoir profiter de la situation, et c'est pourquoi le Roi fut jugé et exécuté. Le rôle du gouvernement et de l'armée fut celui, démocratique de la défense de l'ordre :" Quelques mesures punitives furent prises, c'est tout."En indiquant comment, à la suite de survols systématiques des régions frappées par ces événements, le nombre de 50.000 à 60.000 victimes fut établi avec précision, l'ambassadeur du Burundi a sévèrement fustigé ceux qui ont donné des "versions fantaisistes" des faits, notamment certains organes de presse et plus particulièrement les agences catholiques.

 

 

Les origines du génocide au Burundi/Les Tutsi ont voulu régler le sort des Hutu pour vingt ans
Mais le pouvoir, lui, dispose de la force (l'armée) et de l'organisation. Sa répression sera plus vaste, plus systématique et cyniquement dirigée vers une «solution finale» du «péril hutu ». Face à la rébellion, les Tutsi oublient leurs dissensions et font bloc. Il s'agit cette fois de régler le problème pour les vingt années à venir. On va radicalemept exterminer l'élite et par l'élite il faut entendre tous ceux qui savent lire et écrire ou qui ont quelque influence. «Génocide»  qualifie bien cette politique délibérée: fonctionnaires, commerçants, prêtres, catéchistes, écoliers, petits employés, bref tous les hutu qui ne sont pas les simples paysans illetrès des collines sont menacés et souvent sommairement passés par les armes, cinquante mille morts semble un chiffre confirmé officiellement. 

 

 

Des massacres du Burundi - A la prison de Bujumbura,les prisonniers sont exposés au soleil jusqu'à ce que mort s'ensuive
Passant outre à la consigne du silence qui leur avait été donnée par le représentant diplomatique de la Belgique à leur départ de Bujumbura, des ressortissants belges récemment rentrés du Burundi témoignent de l'ampleur du génocide des Hutus mené par les Tutsi, dont une des cinq grandes familles du pays détient actuellement le pouvoir. Il s'agit du groupe des Bahimas du Sud, par ailleurs mal considéré, rapporte-t-on, par les autres grandes familles, royales celles-là.