Burundi – Belgique / Diaspora noire : Norman Ajari présente « Le Manifeste afro-décolonial »

Manifeste afro-décolonial : Vision pour un État fédéral communiste africain.

Bruxelles (Belgique), 8/05/2024 –  Au cœur des traditions et des croyances ancestrales, la conception de l’âme chez les populations noires se distingue nettement de l’approche occidentale traditionnelle. Selon les écritures retrouvées dans le Livre des Morts des anciens Égyptiens [1] (cf. La Bible des Noirs), l’âme noire n’est pas confinée à trois états d’existence, mais évolue à travers quatre univers particulièrement singuliers.
Le premier de ces univers est le monde du Noun, symbole du néant originel, où résonnent les vibrations et les sons uniques du couple de tambours Mukakaryenda – Karyenda [2]. Vient ensuite le monde secret, caché des yeux des vivants, régi par Imana, écho de la divinité égyptienne Amon Ra. Le troisième univers est celui des Ancêtres, peuplé par les esprits bienveillants du couple Mukakiranga – Kiranga [3]. Enfin, l’âme noire arpente également notre monde matériel, connu sous le nom d’Uburemagi [4].
Toutefois, les séquelles de la colonisation ont altéré cette vision traditionnelle. L’âme noire, autrefois libre de naviguer entre ces quatre dimensions, se retrouve désormais souvent restreinte, limitée à seulement trois de ces mondes [5]. Cette perte d’un aspect essentiel de son identité cosmique a eu des répercussions profondes.
Dans ce contexte, la communauté afrofuturiste [6] souligne l’importance vitale de reconnecter avec ces racines et cette richesse culturelle oubliée. Pour eux, la redécouverte et la pleine intégration du passé sont cruciales pour libérer le potentiel créatif et innovant de l’individu noir, ouvrant ainsi la voie à un avenir où chaque dimension de l’âme peut à nouveau s’exprimer librement et pleinement.

Engagé dans le mouvement panafricaniste décolonial [7], Norman Ajari, un philosophe et auteur afro-américain né en 1987 de parents franco-nigérians, s’est immergé depuis longtemps dans l’analyse du racisme et de l’identité noire [8]. Son travail, qui aborde des questions aussi graves que la négrophobie, cherche à dévoiler l’impact dévastateur de la colonisation et de l’esclavage, ces fléaux du passé reconnus comme des crimes contre l’humanité qui ont alimenté le capitalisme critiqué par Marx au XIXe siècle. Ces événements historiques ont laissé des traces indélébiles sur les vies des Africains et des communautés afro-descendantes à travers le monde.
En avril 2024, du 12 au 15, Norman Ajari était à Bruxelles [9], un moment clé pour partager ses réflexions et son dernier ouvrage, “Le Manifeste afro-décolonial. Le rêve oublié de la politique radicale noire”. Sa visite a été marquée par plusieurs interventions, notamment à l’Université Libre de Bruxelles, orchestrées avec soin par Mme Clette-Gakuba Véronique. Il a également animé des discussions enrichissantes au Centre d’Action Laïque (CAL) Bruxelles Laïque, et a rencontré des lecteurs et des critiques à la librairie Pépite Blues, accueillis par Mme Celestina Jorges [https://www.pepiteblues.be/changements/].
Dans son ouvrage, Norman Ajari plonge dans l’analyse de la manière dont divers auteurs et organisations radicales noires ont cherché à guérir l’âme noire. Cette âme, profondément meurtrie par les affres de la colonisation et du néocolonialisme, se trouve en proie à une aliénation que Frantz Fanon avait vigoureusement critiquée dans ses écrits. Au 21ème siècle, cette aliénation est exacerbée par la Globalisation Unipolaire Américaine Néolibérale (GUAN) [10], influençant subrepticement la lutte noire par l’entremise du “libéralisme identitaire”.
Ajari argue avec véhémence contre cette tendance contemporaine à centrer la lutte sur des questions d’identité, lesquelles, bien qu’importantes, ne sont que les symptômes superficiels d’un problème plus profond. Il insiste sur la nécessité de rediriger l’attention vers la racine du mal : le racisme anti-noir, ou négrophobie, qui s’accompagne invariablement d’aliénation, d’expropriation et de génocide. Ce faisant, il s’aligne avec la vision militante du radicalisme noir, qui percevaient ces luttes non seulement comme une réparation nécessaire mais aussi comme un moyen de réclamation de l’autonomie et de la dignité de l’être noir.

La terre revêt une dimension sacrée pour l’Africain comme pour l’Amérindien; elle est bien plus que la simple matière sous leurs pieds. Elle représente leur identité, leur histoire, et nourrit leur peuple comme une mère nourricière. La défense de ce sol ancestral devient alors un impératif, un acte vital pour affirmer leur existence face aux menaces extérieures.
Parallèlement, dans le lointain cœur de l’Empire romain, l’histoire prend une tournure différente autour de ces mêmes thèmes de terre et domination. L’empereur Constantin, à travers l’Édit de Milan en 313 et le premier concile de Nicée en 325, jette les fondations du christianisme, qui sera plus tard connu sous le nom de catholicisme. Ce faisant, il déploie une stratégie impériale qui transcende la simple propagation d’une foi. Constantin cherche à consolider et à étendre son pouvoir sur de nouveaux territoires, une démarche masquant subtilement une entreprise de prédation économique.
Ce christianisme naissant, qui devrait prôner des idéaux de compassion et d’unité, se trouve enraciné dans une réalité bien plus sombre. Il devient rapidement un instrument de racisme anti-noir et de négrophobie [11], reflétant les pratiques économiques prédatrices de l’époque. Ces pratiques, établies dès l’Antiquité, visent principalement à s’approprier les terres des peuples noirs [12], marquant le début d’une prédation économique systématique. Ce schéma de domination et d’accaparement se perpétue à travers les siècles, se formalisant tragiquement dans les épisodes de la colonisation occidentale, ponctués par l’esclavage et la traite négrière, laissant une empreinte indélébile sur l’histoire et sur les âmes des peuples autochtones.

Dans les pages vibrantes de son “Manifeste afro-décolonial”, Norman Ajari dresse un constat incisif sur les défis actuels rencontrés par les mouvements noirs. Il pointe un déficit notable d’esprit original et d’idéologie clairement définie dans leurs luttes. Puisant dans les profondeurs de la politique radicale noire ( Cf. Black studies ), il propose des pistes de réflexion pour revigorer ces mouvements. Au cœur de ses propositions, Ajari appelle à une réappropriation fervente de la culture noire et évoque l’ambitieuse vision de créer un futur État fédéral communiste africain [13], s’inspirant de l’idéologie de Jane Nardal formulée en 1928.
Nous voici dans l’ère nouvelle du Verseau où l’être noir, riche de mélanine [14], se dresse avec une âme et une culture fortifiées par les révélations du post-colonialisme [15]. Cette culture, réaffirmée par l’afrocentricité [16], forge une conscience noire indomptable, prête à affronter le monde sans crainte. Norman Ajari, à travers ses écrits, non seulement contextualise mais aussi amplifie cette voix qui résonne avec une puissance renouvelée, prête à écrire les prochains chapitres de son histoire.

 

NOTES :

[1] Grégoire Kolpaktchy, Livre des Morts des Anciens Egyptiens, ed. Dervy, 2012, pages 368.
Ce livre “Le livre Pour sortir le jour” est appelé – la Bible des Noirs – .  
[2] Le monde du néant, des vibrations, des sons chez les Barundi (cf. Ingoma y’Uburundi, état traditionnel millénaire africain des Barundi ).
[3] Kiranga est l’ancêtre premier des Barundi (cf. Ingoma y’Uburundi, état traditionnel millénaire africain des Barundi ).
[4] En kirundi, notre univers actuel.
[5] Mohamad Amer Meziane ; Des empires sous terre. Histoire écologique et raciale de la sécularisation ; ed. La Découverte ; 2021 ; pages 346.  |   Pini-Pini Nsasay ; Le Rôle du diagnotic dans l’émergence africaine. De la pensée cosmique à l’intelligence humaine ; ed. Connaissances et Savoirs ; 2024 ; pages 81.
[6] – Reynaldo Anderson, T.E. Barber, H.Boyd, A. Curtis, E.L. Curtis, etc. , Afrofuturism. A history of black futures, ed. Kevin M. Starit and Kinshasha Holman Conwill – Smithsonian Books.,2023 , pages 216.
– George Samuel Schuyler, L’Empire Noir, traduction française ed. Sans Soleil en 2023, 1936-1937, pages 175.
[7] – Panafricanisme, Kemitisme , Post-Colonialisme, Kamitisme, Décolonial : https://1-jamii.org/wp-content/uploads/2023/01/PANAFRICANISME_KEMITISME_POST-COLONIALISME_KAMITISME_DECOLONIAL.pdf
[8] – Marylin Maeso, Norman Ajari ; Où commence le racisme ? Désaccords et arguments ; ed. Philosophie Magazine ; 2023 ; pages 174.
– Norman Ajari ; Noiceur : Race, genre, classe et pessimisme dans la pensée africaine-américaine au 21ème siècle ; ed. Divergences ; 2022 ; pages 242 | Kama ( Afrique ) / Diaspora : Norman Ajari présente son nouveau livre “Noirceur” – https://burundi-agnews.org/histoire/kama-afrique-diaspora-norman-ajari-presente-son-nouveau-livre-noirceur/
– Norman Ajari ; la Dignité ou la Mort. Ethique et politique de la race ; ed. La Découverte ; 2019 ; pages 319
[9] Nicholas Lewis : Nsengiyumva Laura, Clette-Gakuba Véronique, Nzeba Sambi Joëlle,Dibua Mbombo Georgine, Makanga François, Wetsi Mpoma Anne ; Traces et tensiens en terrain colonial. Bruxelles et la colonisation belge du Congo ; ed. SHED ; 2023 ; pages 239.

[10] En 1989, la Globalisation Unipolaire Américaine Néolibérale (GUAN), également connue sous le nom d’Empire des États-Unis, émerge avec la chute de l’URSS. Aujourd’hui, en 2024, la bonne nouvelle est que le contexte géopolitique international a changé. Depuis la guerre en Ukraine en 2022, le monde a basculé de la GUAN vers l’espoir d’un monde multipolaire avec les BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, etc.), devenus le premier pôle économique mondial.

[11] Burundi / Afrique : La Bible des Romains responsable de la négrophobie dans le monde – https://burundi-agnews.org/genocide/burundi-afrique-la-bible-des-romains-responsable-de-la-negrophobie-dans-le-monde/

[12] Robin Walker; When we ruled. The Ancient and Mediaeval History of Black Civilisations – introduction by Runoko Rashidi; ed. Black Classic Press; 2006; pages 713.

[13] Une posture afro-futuriste cf. George Samuel Schuyler, L’Internationale Noire, traduction française ed. Sans Soleil en 2022, 1936-1937, pages 195.
[14] Léon Marshall (Auteur), Jéremy Salmon (Sous la direction de, Illustrations) ; The Hidden Science of Melanin ; ed. Hidden Science Publishing ; 2022 ; pages 312.
[15] – Edward Said, Orientalism ( L’Orient créé par l’Occident), ed. Pantheon Books, 1978, p. 368
[16] – Molefi Kete Asante, Afrocentricity: The Theory of Social Change, Buffalo: Amulefi, Publishing Company, 1980.
– Qu’est ce que être kamite ? https://1-jamii.org/quest-ce-que-etre-kamite/

[ https://www.youtube.com/watch?v=bO8uDJoCO7o ]

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DAM, NY, AGNEWS, https://burundi-agnews.org, Mercredi 8 mai 2024 | Photo : BurundiForum.

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