Burundi / Belgique : A 91 ans Iribagiza Rose Paola, fille d’Ingoma y’Uburundi

À 91 ans, le princesse Iribagiza Rose Paola, fille du Mwami Mwambutsa Bangiricenge, continue de préserver la mémoire d’Ingoma y’Uburundi en Belgique.

Bruxelles (Belgique), 17/03/2025 – Le 14 mai 2012, dans une atmosphère empreinte de solennité, S.A.R. la princesse Iribagiza Rose Paola [1], fille bien-aimée du Mwami Mwambutsa Bangiricenge, reçut un prestigieux brevet officiel du Royaume de Belgique  devant “Commandeur de l’ordre de la couronne” , des mains du Ministre belge des Affaires étrangères, M. Didier Reynders. Ce moment symbolique rendait hommage à une vie profondément liée à l’histoire de son peuple, les Barundi, et au destin d’un État millénaire africain : Ingoma y’Uburundi [2].

Née à Gitega en mars 1934, la princesse Iribagiza célébre aujourd’hui ses 91 ans [3]. Ce moment, à la fois symbolique et intime, offre aux Barundi l’occasion de se replonger dans leur passé, celui d’Ingoma y’Uburundi, cet ancien État qui régnait autrefois sur Kama, le nom traditionnel de l’Afrique. Pour elle, la terre de Muramvya, ancienne capitale du royaume, demeure un lieu de mémoire, un amour profond ancré dans ses racines, qui ne cesse de nourrir son âme.

Comme le rappelait souvent Muganwa Baranyanka Charles [4], Ingoma n’était pas un simple royaume. Tout comme le tambour (Ingoma)[5], symbole par excellence, qui se distingue par son ventre intérieur, source de la vibration (des sons), et son extérieur, là où résonne le son (la musique), le Burundi portait en lui deux royaumes : celui du jour, dirigé par les Bami, et celui de la nuit, où d’autres autorités tenaient le pouvoir. Il était un État dual, divisé entre le règne du jour, visible et public, et celui de la nuit, mystérieux et spirituel. Ingoma y’Uburundi, disait-il, était un monde à part, un état particulier dans notre monde, incompris même dans sa grandeur, qui ne pouvait être simplement réduit à l’appellation de “royaume”. Un équilibre subtil, fragile, qui allait bientôt être brisé. Voilà ce qu’était Ingoma y’Uburundi de S.A.R. la princesse Iribagiza Rose Paola et de ses ancêtres, qu’elle chérit tant. Un héritage glorieux, empreint de traditions et de spiritualité, qui façonna son identité et celle de son peuple.

Mais tout changea. Entre 1959 et 1966, Ingoma y’Uburundi fut démantelé, victime des bouleversements géopolitiques qui secouaient l’Afrique post-coloniale. Son frère, Muganwa Rwagasore Louis, héros de l’indépendance, fut assassiné en octobre 1961, la même année que Lumumba Patrice au Congo voisin. Les fils de Muganwa Baranyanka Pierre, ses cousins – Muganwa Ntidendereza Jean-Baptiste, Muganwa Birori Joseph, Muganwa Ntakiyica Jean-Baptiste, Muganwa Ntakiyica Henri et Muganwa Nahimana Antoine – furent tués en janvier 1963. Puis vint le tour de son oncle, Muganwa Kamatari Ignace, en mai 1964, et en 1965, ce fut le tour des nombreux Bataka et fils de Banyamabanga (Ngendandumwe, Mirerekano, Bamina, Bucumi, Benyuje, Mugabonihera, Nzobaza, Biyorero, Miburo, entre autres). Après 1965, Muramvya, la capitale d’Ingoma y’Uburundi, était vide, vidée de ses âmes et de son essence. La liste des victimes s’allongeait, emportant avec elle des pans entiers de l’histoire des Barundi. Chaque nom, chaque vie perdue, était une page arrachée du livre d’un peuple, une cicatrice indélébile dans la mémoire collective.

Entre 1966 et 1972, une nouvelle ère de bouleversements profonds s’abattit sur le Burundi. Le système traditionnel des Barundi, l’Ubumu [6], leur modèle socio-économique fondé sur la solidarité, l’harmonie et les valeurs ancestrales, fut brutalement démantelé. Ce qui avait été le pilier de la société burundaise pendant des millénaires fut remplacé par un système étranger à ces terres : le capitalisme et l’économie de marché. Cette transition, aussi douloureuse que brutale, plongea le pays dans des abîmes de souffrance et de désolation jusqu’à nos jours. En effet, pour réaliser ce changement systémique, le Burundi fut frappé par un génocide sanglant [7], qui emporta la vie de centaines de milliers d’innocents. Des millions d’autres furent touchés, soit près de la moitié de la population, marquée à jamais par cette tragédie. La terre, autrefois bercée par la paix et la sérénité, se teinta d’un rouge sanglant, témoin silencieux de l’horreur. Cette même année, le Burundi perdit l’un de ses derniers symboles d’Ingoma y’Uburundi : le régicide du Mwami Ntare Ndizeye Charles. Cet événement plongea le pays encore un peu plus dans l’obscurité. Ce n’était pas seulement un roi, un Mwami qui tombait, c’était le frère de la princesse Iribagiza Rose Paola, un lien vivant avec le passé glorieux du royaume. La douleur de ces pertes résonne encore profondément dans le cœur de toute la nation, laissant une marque inconsolable dans l’âme collective des Barundi.

Toutes ces disparitions et cette époque douloureuse bouleversèrent profondément l’existence de la princesse Iribagiza Rose Paola. Confrontée à l’insécurité et à la violence, elle n’eut d’autre choix que de prendre le chemin de l’exil. C’est en Belgique que S.A.R. la princesse Iribagiza Rose Paola trouva refuge, loin de la terre qui l’avait vue naître, mais emportant avec elle la mémoire de son peuple et l’amour inaltérable pour son pays.

Depuis lors, au fil des décennies, la vie de S.A.R. la princesse Iribagiza Rose Paola a été traversée par les ombres des tragédies qui ont frappé son pays natal. Pourtant, depuis 2005 à nos jours, une lueur d’espoir a commencé à percer les ténèbres, comme un rayon de soleil après une longue nuit. Aujourd’hui, à l’aube de ses 91 ans, la princesse Iribagiza Rose Paola incarne une présence lumineuse, semblable à une étoile qui veille dans le ciel, gardienne silencieuse mais résolue de l’histoire de son peuple.

Installée en Belgique, elle vit entourée de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, un cercle familial qui lui apporte réconfort et joie. Malgré la distance, elle n’a jamais rompu les liens avec le Burundi, cette terre qu’elle chérit au plus profond de son être. À travers les souvenirs de ses ancêtres et l’amour indéfectible qu’elle porte à ses racines, elle continue d’honorer l’héritage d’Ingoma y’Uburundi, comme un pont entre le passé et l’avenir. Chaque jour, elle porte en elle la mémoire de ceux qui ont disparu, mais aussi l’espoir d’un Burundi réconcilié, rassemblé autour du couple sacré du tambour Karyenda et de sa belle MukaKaryenda. Elle rêve de ces tambours qui résonnent à nouveau dans les collines, porteurs de paix, d’harmonie et d’unité, comme un écho des temps anciens où Ingoma y’Uburundi rayonnait de sa grandeur.

Références :
[1] NIKIZA (E.), Au coin du feu avec la princesse Rose Paula Iribagiza, Burundi, Iwacu-burundi.org, 2019, lien article : https://www.iwacu-burundi.org/au-coin-du-feu-avec-la-princesse-rose-paula-iribagiza/ ( Consulté le 17 mars 2025 )
[2] NAHIMANA KAROLERO (P.), Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[3] NAHIMANA (P.), Burundi : Iribagiza, fille de Mwami Mwambutsa Bangiricenge, célèbre ses 90 ans., Belgique, Burundi-forum.org, 2024, lien article : https://burundi-forum.org/99049/burundi-iribagiza-fille-de-mwami-mwambutsa-bangiricenge-celebre-ses-90-ans/ ( Consulté le 17 mars 2025 )
[4] BARANYANKA (C.), Le Burundi face à la croix et à la bannière, Bruxelles, 2009
[5] NAHIMANA KAROLERO (P.), Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[6] Ibidem
[7] Kubwayo Félix, La lente reconnaissance du génocide de 1972 contre les Hutu du Burundi: Les faits et l’exécution du génocide par le pouvoir de Micombero, Bruxelles, 2025.

DAM, NY, AGNEWS, https://burundi-agnews.org, Lundi 17 mars 2025 | Photo : Iribagiza Rosa Paula, iwacu-burundi.org

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