1972-1997: maccabre anniversaire d'un
génocide qui continue
IJAMBO, les quatre Vérités
(Organe d'expression de l'Association de
Réflexion et d'Information sur le Burundi)
ARIB, ASBL
N°26/27 Avril/Mai 1997
SOMMAIRE
...
Plaidoyer
pour la reconnaissance du génocide des Hutu au Burundi
(Message au S.G.
de l'ONU, adressé par le Comité organisateur du
25è anniversaire du début du génocide au Burundi) p30/1
Témoignages
sur le génocide de 1972.
« Il faut rester enfermé au
collège ... » p30/4
« Même les
jeunes élèves de 10 à 14 ans devaient
être massacrés! » p31
« Quand l'homme ne
trouve plus dans l'homme un semblable
... » p34
30/1
COMITE ORGANISATEUR
ANNIVERSAIRE
DU DEBUT DU GENOCIDE
AU BURUNDI.
C/O B.P 24 BRUXELLES , 23
TEL / FAX : 02 / 465 24 92
Au Secrétaire Général Des
Nations Unies C/O la Représentation des Nations Unies à BRUXELLES
PLAIDOYER POUR LA RECONNAISSANCE
DU GENOCIDE DES
HUTU AU BURUNDI
Depuis l'éclatement de la
guerre du Zaïre, tous les autres drames qui se jouent dans la Région des
Grands Lacs africains sont occultés. Le drame burundais est de ceux-là.
Pourtant les élections de juin 1993 qui portèrent au pouvoir le Président
Melchior NDADAYE avaient laissé espérer que le Burundi allait enfin sortir des
cycles de violences connus de la royauté à nos jours et dont les périodes
noires furent 1965, 1969, 1972-1973, 1988, 1991,... L'intermède ne dura que
trois mois (10 juillet - 20 octobre 1993), sous le Président civil
démocratiquement élu, Melchior NDADAYE. Ce dernier fut ignominieusement
assassiné par les forces Armées Burundaise, celles-là mêmes chargées de le
protéger. Cet acte ignoble, commis le 21 octobre 1993, plongea le pays dans un
nouvel univers de violences qui durent depuis quatre ans.
Alors que, selon les chiffres les plus fiables,
le génocide de 1972-1973 avait fait quelques 300.000 morts et 200.000 exilés
(sur une population de trois millions environ), celui de 1993-1997 a déjà fait
plus de 200.000 morts auxquels il faut ajouter des centaines de milliers de
déplacés et de regroupés, toutes victimes innocentes. Vingt-cinq ans de
génocide hutu au Burundi ont déjà fait plus d'un demi-million de morts. C'est
ce génocide qui visait, selon certaines sources à « régler la question hutu
pour une génération » qui emporta tous les âges: enfants, vieillards,
écoliers, étudiants, exclusivement hutu.
30/2
En 1972, le Premier Ministre belge, Gaston EYSKENS, fut le
premier Chef de Gouvernement étranger à qualifier cet acte innommable de «
GENOCIDE ». Celui-ci n'épargna personne: des ecclésiastiques, aux simples
fidèles, des militaires aux civils, des cadres politiques aux enfants d'écoles
primaires,... Tous furent touchés ou prirent le chemin de l'exil. Pour
couronner le tout, les autorités politiques burundaises expulsèrent tous les
témoins étrangers gênants, spécialement des missionnaires et des coopérants.
A propos de ce génocide, le Professeur René LEMARCHAND (Génocide
sélectif au Burundi, MRG, Rapport n°20, novembre 1974, p 13), a écrit en
1974: « On assiste à une sorte de violence « prophylactique » visant non
seulement à décapiter la rébellion mais pratiquement toute la société
hutu. Ainsi, s'ébauche à coup de baïonnettes un nouvel ordre social(...).
Une société où seuls les Tutsi sont qualifiés pour accéder au pouvoir,
l'influence et à la richesse. L'ethnie hutu, c'est-à-dire ce qu'il en reste,
est à présent systématiquement exclue de l'armée, de la fonction publique,
et pour ainsi dire de l'Université et de l'enseignement secondaire ».
Curieusement, des pays dits démocratiques comme la France
s'empressèrent de voler au secours de cette dictature en assurant la coopération
militaire que venait de suspendre courageusement la Belgique. Tout le monde se
tut, y compris l'Eglise Catholique, malgré l'assassinat de 22 prêtres,
religieux et religieuses. Par ailleurs, contrairement à d'autres génocides déjà
reconnus dans le monde, la communauté internationale, l'ONU en tête, refuse
de reconnaître le génocide hutu de 1972 au Burundi.
La célébration de son vingt-cinquième anniversaire prend un
cachet spécial.
Comme il est de coutume depuis 1986, des Hutu résidant en
Belgique commémorent le 29 avril de chaque année, le début du génocide de
1972. Le 29 avril 1997 sera, jour pour jour, le 25ème anniversaire du début
de ce génocide. C'est pourquoi, cette année, plusieurs organisations, partis
et associations ont uni leurs efforts pour organiser la commémoration de
vingt-cinquième anniversaire dont les activité s'étaleront sur une semaine,
du 26 avril au 4 mai 1997.
Cette démarche répond à un objectif multiple. Il s'agit de
se souvenir de tous les morts du Burundi, victimes du génocide et/ou des
massacres sélectifs.
30/3
Il faut que les enfants, les parents, les époux, les
amis, puissent y trouver l'occasion de pleurer leurs morts, car cela a été
rarement possible. Il s'agit également d'interpeller la communauté
internationale, l'ONU en tête, pour qu'elle dénonce et reconnaisse ce génocide,
la Belgique étant le seul Etat à l'avoir dénoncé et condamné.
Il s'agit par ailleurs, d'interpeller
le public sur le silence total observé sur la situation dramatique qui prévaut
au Burundi et lancer un appel à la solidarité en faveur de toutes les
victimes de ce génocide et de ces massacres.
Cela doit également être une
occasion de dire non à ce génocide qui continue encore aujourd'hui, sous le
signe de l'impunité et de lancer un message d'espérance pour tous les
Burundais en les appelant à bâtir un monde meilleur. Il s'agit enfin d'aider
les Burundais à mettre fin à cette folie meurtrière, à renoncer à l'idéologie
de la mort pour opter pour l'idéal de la vie et de la paix.
Comité Organisateur :
Ntimpirantije Abel - Rugurika Mathias -
Kubwayo Félix - Karolero Pascal
Avec la participation:
Des Fondations:
Fondation Ndadaye - Fondation ORBI,
Des associations Burundaises:
- Association de Réflexion et d'information sur le
Burundi (ARIB asbl.)
- Centre d'Analyse et d'action pour le Burundi
(CAAB asbl))
- Entraide Burundais de Liège (EBLI)
- Génération Afrique 93/2000 asbl
- Indanga asbl
- Tureme.
Les Partis et Mouvements politiques Burundais:
- Conseil National pour la Défense de la Démocratie
(CNDD)
- Front pour la Démocratie au Burundi (FRODEBU)
- Parti Libéral (PLI)
- Parti pour la Libération du Peuple Hutu
(PALIPEHUTU)
30/4
Témoignages sur le génocide
commis contre les Hutu du Burundi par le régime militaire tutsi hima en 1972
« Il faut rester enfermé au
collège ... »
TÉMOIGNAGE
D'UN ÉLÈVE DU COLLÈGE DON BOSCO (NGOZI)
Voici quelques détails des événements au
collège Don Bosco durant les derniers mois de l'année
scolaire 1971-1972.
Samedi, 29 avril, rien de
particulier. Même la nouvelle d'après laquelle MICOMBERO a dissous le
gouvernement n'a pas encore pénétré l'intérieur de nos toits. Mais la paix
n'allait point durer.
Dimanche matin, une voiture
vint s'arrêter à l'entrée de notre salle d'études. Un homme en sort, en
tenue militaire: le commandant des forces armées de Ngozi, M. Joseph BIZOZA.
Il s'avan(a vers notre groupe avec un air empressé. Sans doute a-t-il quelque
chose de très urgent à nous dire. "Citoyens, notre pays est en danger,
une bande de mercenaires veut s'emparer de notre cher patrimoine. Déjà à
Bururi, des gens ont péri; pour éviter que le désordre ne gagne votre
secteur, vous devez rester enfermés au collège; plus de conversations avec
les ouvriers et n'écoutez plus la radio. Si l'un d'entre vous viole un de ces
ordres, il sera poursuivi par la justice. À vous de veiller et de lutter':
Puis, il disparaît, nous laissant dans le doute. Pourquoi de telles mesures ?
Toute la semaine s écoule dans
le calme et dans la peur, car nous gnorons tout ce qui se passe
au-delà de notre clôture.
Mais la paix du collège était
au bord de la tombe. Après six jours, un professeur hutu, maître en chimie,
est arrêté. De quoi était-il coupable ? Je n en savais rien alors. Ce ne fut
pas lui seul, car un jour plus tard, trois autres le suivirent (...) pour ne pas
faire soupçonner leur programme d'élimination, ils arrêtèrent tous les
professeurs hutu et tutsi. Pourtant, la situation ne tarda pas à être éclaircie,
car deux jours après, tous les Tutsi étaient de retour alors que les Hutu
avaient succombé sous !e poids du marteau.
Nous avons observé à la
lettre les ordres de BIZOZA, mais cela nempêcha pas que mercredi le 16 mai (ou
le 17), les militaires pénétrèrent à l'intérieur de notre institut Trois étudiants
furent emportés par les ravisseurs ce jour-là.
Le lendemain nous réservait
une surprise. Il était neuf heures du matin lorsque les mêmes militaires cernèrent
le collège: trente-cinq élèves furent appelés et arrêtés, vingt-et-un Hutu
et quatorze Tutsi. À sept heures du soir, les Tutsi revinrent tout joyeux. il
était inutile de leur demander où étaient
leurs vingt-et-un autres condisciples. D'ailleurs, nous connaissions leur
jugement après les vingt-quatre Hutu
du cycle supérieur qui avaient déjà disparu.
31
Jusqu'à ce moment, nous
sommes restés calmes et aimables envers les morts et les assassins. Les
militaires, voyant qu'ils avaient tout leur temps et que nous étions étroitement
surveillés, ne vinrent plus nous déranger dans les jours qui suivirent. Seul
le commandant joseph BIZOZA passait chaque jour au collège pour voir si tous
les septante-quatre étaient là et qu'il n'y avait pas quelque problème à régler.
Les Tutsi faisaient leur
possible pour nous déranger, mais cela ne nous faisait rien. Personne ne répliquait
maté notre nombre important. Heureusement d'ailleurs, car si nous avions
bouge tout le collège aurait été écrasé.
La vie continua dans la même
atmosphère jusqu'au 23 juin, veille de nos vacances. M. BIZOZA qui
n'avait cessé de perturber notre tranquillité revint nous donner ses
derniers ordres: "Demain, vous irez en vacances. Vous rencontrerez des
gens qui vous diront toutes sortes de choses, et gare à vous si vous les
croyez! Vous ne pourrez partir qu avec un laissez-passer que je vous donnerai
tout à l'heure. Ce papier, vous irez le présenter à votre administrateur
quand vous serez rentrés. J'insiste encore une fois pour que tout k monde
aille chez lui et veille à ce que je viens de dire. Merci".
Après ce discours sec, des
laissez passer nous ont été distribués et nous sommes allés faire nos
valses. Ce fut mon dernier jour au collège.
0001/030597/MPD,0192/N.R/Ngozi.
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« Même les jeunes élèves de
10 à 14 ans
devaient être massacrés! »
TÉMOIGNAGE D'UN
ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE DE KIREMBA
Les soldats investissent l'école
Samedi 29 avril, le directeur
de l'internat interdisait aux élèves de rentrer chez eux à l'occasion du
congé du premier mai. Le lendemain matin, les soldats envahissaient, armes à
la main, le quartier où résidaient les missionnaires de l'école et de l'église.
Ils s'emparaient d'un camion de l'école qu'ils allaient dorénavant employer
pour le transport de leurs proies humaines.
A 9 heures, les élèves
assistaient au culte à l'église située au bord de la route BururiMahamba.
Tandis qu'ils célébraient l'office, le premier pasteur M. MADENGO Abel Nego
était appelé par des soldats qui rôdaient autour de l'église. Ils lui
signifièrent de faire sortir tous ceux qui priaient à l'église.
32
Arrestation des professeurs
hutu
Tandis que tous rentraient à l'école,
les soldats arrêtèrent deux professeurs hutu,MM.
Ekazar B. et frédéric B., ainsi que leurs frères qui étaient venus leur
rendre visite: ils étaient cinq à être appréhendés ainsi à l'improviste.
Terrifiés par la fureur des
soldats, tous les élèves voulaient s'enfuir, riais le pasteur MADENGO les
rassura mensongèrement en prétendant qu'il n' y avait aucun danger et que
les soldats les protégeraient. Ils restèrent donc tous à l'internat.
Le soir du 2 mai, des soldats
vinrent s'informer auprès d'un élève tutsi s'il n'y avait pas de querelles.
Comme il répondait que tout était calme, le militaire quitta, mais mal en
prit à l'élève qui fut rossé par les autres Tutsi, pour avoir dit la vérité.
Jeudi 4 mai, les autres
professeurs hutu et un surveillant furent arrêtés. Le soir, quelques élèves
ont tenté de s'en fuir niais la plupart d'entre eux furent rattrapés et
massacrés en chemin
On prépare l'arrestation des
élèves
Le jour suivant, le faux pasteur
- car il était d'une fausseté et d'une fourberie majuscules - conseilla aux
élèves de ne pas tenter la fuite: "Vous êtes innocents, leur
disait-il, tout cela ne vous concerne pas, vous êtes trop jeunes, il n'y a
pas de raison de vous enfuir" : Or, déjà il s'était entretenu avec les
soldats de la façon dont il fallait s'y prendre pour arrêter le plus grand
nombre d'élèves. Cette nuit-la, les JRR sont venus, lances et machettes à
la main, fouiller les armoires des élèves hutu pour voir sils ne cachaient
rien de suspect Ils n'y trouvèrent rien.
Dès ce moment, les élèves
hutu voulaient à tout prix s enfuir; mais impossibilité totale de quitter
l internat- les JRR entouraient l'école et veillaient jour et nuit que
personne ne s'évade. Et le pasteur MADENGO allait même chercher les absents
à la maison et les forçait à venir à l'école.
Arrestation de septante-deux
élèves du cycle supérieur
Samedi, le 27 mai, le commandant
du Centre d'instruction de Bururi, Samuel NDUWINGOMA, se présenta à notre école
et entra dans le bureau du directeur. Un peu plus tard, il en sortit et fit
signe à sa troupe qui, aussitôt, investit l'établissement de toutes parts.
Les élèves n'avaient pas les moyens d'échapper, d'autant plus qu'ils étaient
tous en classe.
Un des soldats, muni d'une
liste nominative, dressée par des élèves tutsi, dont faisait partie le fils
du premier pasteur, Nathan MADENGO, proclama le nom d'un grand nombre d'élèves,
qui devaient être emmenés. Tous ces élèves du cycle supérieur étaient
poussés hors de la classe à coups de crosse, et forcés de monter dans le
camion qui stationnait devant le bàtiment.
Le nombre des élèves
conduits ce matin-là à la mort dans les pires tortures s élève à
septantedeux.
Arrestation de cinquante-deux
élèves du cycle inférieur
Mardi 30 mai, un soldat déguisé
en civil se présenta auprès du directeur de l'internat et demanda à pouvoir
parler aux élèves. On sonna la cloche. Les élèves arrivèrent et se rangèrent
selon les classes. Alors le militaire tira de sa poche une nouvelle liste et
commença par appeler le nom de nombreux élèves.
33
Ceux-ci étaient tirés hors
des rangs et au même moment, ils se virent encerclés par un grand nombre de
militaires armés, surgis d'on ne savait où. Cette fois, le cycle inférieur
était amputé: on lui ravissait cinquante-sept victimes.
Tous ces garçons dirent
adieu à leurs camarades et partirent pour ne plus jamais revenir. Ils
regardaient une dernière fois leurs petits frères qui restaient en 6eme
moderne. Et parmi ceux qui étaient conduits à la mort se trouvaient deux
jeunes filles de première normale. Ceux du deuxième groupe forent les plus
cruellement massacrés, transpercés par des lances et des baïonnettes.
On veut arrêter les jeunes
de 10 à 14 ans
Les plus jeunes élèves de 6eme
étaient désormais exposés sans défense aux vexations et brimades des
grands élèves tutsi. Ceux-ci poussèrent leur ruse Jusqu'à déchirer la
photo de MICOMBERO, puis rejetèrent la faute sur les élèves hutu et
particulièrement sur une jeune fille: elle eut le privilège d'être renvoyée
de l'école, bien quelle était totalement innocente.
À la moindre occasion, on
voyait les élèves tutsi se ruer sur les petits hutu, les battre jusquà ce
que le sang coule, parfois leur infliger de profondes blessures et leur
arracher la peau. La cruauté de ces Tutsi parvint aux oreilles de Mgr MARTIN,
évêque de Bururi. Il en avertit le Président lui-même. Celui-ci intervint
pour arrêter ces atrocités. Ainsi ces jeunes eurent un peu de répit et à
la fin de l'année scolaire, ils sont rentrés chez eux, mais Dieu seul sait
qu'ils sont arrivés sains et saufs, eux les derniers survivants de notre
École normale. Du reste, le palmarès offrait de nombreuses pages presque
entièrement blanches, à tel point que certaines classes étaient réduites
à une petite dizaine d'élèves.
Si jamais une école a souffert
et fut martyrisée, c'est bien l'école protestante de Kiremba. Et tout le
monde songe au grand coupable- MADENGO Abel-Nego.
Car s'il l'avait
voulu, aucun élève n' aurait été massacré, tel était son prestige, et
sil s était opposé à la soldatesque et au commandant, on n' aurait pas
touché à un seul de ses élèves. Au lieu de cela, il fut la cause de l'hécatombe.
Que répondra-t-il lorsque Dieu lui demandera compte pour le sang de tant
d'innocents qu'il a laissé verser ?
L école de Kiremba a été la
plus éprouvée de toutes les écoles du Burundi: cent quatrevirgts élèves
hutu y sont morts sur trois cent trente-neuf élèves, dont soixante-neuf
Tutsi et dix sept jeunes filles.
Celui qui a écrit ces lnes a échappé
par miracle au massacre commun. En essayant de s'évader, il fût arrêté par
les JRR qui encerclaient l'école, mais il se fit passer pour un Tutsi - il
dut même l'affirmer sous serment et fut alors relâché. En se cachant
ensuite dans les bois et avançant péniblement pendant les nuits, il a pu
gagner la Tanzanie, et de là passer au Zaïre hospitalier. Voilà le témoignage
qu'il peut donner
0002/030597/MPD,0192/E.Z./KIREMBA
34
« Quand l'homme ne trouve
plus dans l'homme un semblable ... »
TÉMOIGNAGE
D'UN ÉTUDIANT À L'UNIVERSITÉ DE BUJUMBURA
Tout commença dans la nuit
du samedi 29 avril 1972, alors qu'à midi, le président Micombero venait de révoquer
son équipe ministérielle. Ce soir-là, j' avais eu l'occasion de passer la
nuit dans ma famille, à la maison, en compagnie de mes frères et soeurs,
comme c'était le cas chaque week-end.
Des racontars qui ne
terrifient pas
Le lendemain matin, à mon réveil,
des bruits couraient comme quoi il y avait eu une attaque en ville, que des
hommes avaient été tués, des véhicules brûlés. Ces racontars ne me
terrifièrent pas. J'y voyais un rejaillissement de ce régionalisme séculaire
des Tutsi qui était le problème à la page. Je n'imaginais surtout pas un
affrontement entre Hutu et Tutsi, car je savais que tous les Hutu
intellectuels, fils issus des niasses populaires, avaient été décimés au
cours des dix années indépendance. J'étais sûr que le pays appartenait désormais
aux Tutsi pour un certain nombre d'années et que le peuple n'arriverait plus
à prendre les rênes du pays.
Le pays appartenait aux
Tutsi, minorité segneuriale ( ..), tenant en tutelle, en esclavage une
majorité paysanne, travailleuse séculaire produisant pour la petite minorité.
(..)
Donc, ce lundi matin, le me
rendis à l'université Là comme toujours quand il y avait un incident
politique, on ne voyait que des groupes hermétiquement fermés; ici des Tutsi
de Bururi, là des Hutu, plus loin des Tutsi
de Muramvya; tout cela rendait la situation plus confuse. Petit à petit, je
commençais à y voir un mauvais présage: "Si c'est nous, trie disais
je, nous serons particulièrement raccourcis".
Premières arrestations (1er
mai)
Très vite, le voile fut levé,
la situation devint claire. Ce soir, , une petite camionnette arriva au campus
universitaire avec deux agents de la sûreté. L'un d'eux sortit un petit
billet sur lequel étaient inscrits des noms. Et quand il commença à faire
l'appel, il n'y eut plus de doute, nous étions visés. Des étudiants hutu,
les plus remarquables, étaient convoqués afin de subir un
"interrogatoire" (..). Nous gnorions que c'était là l'extinction
brusque de leur vie encore fleurie de jeunesse et de volonté. Ce qui fut
surtout c'était que ce coup frappa les garçons intelligents des facultés de
médecine et de sciences. Car, il faut l'avouer, sans aucune prétention, ces
deux facultés constituaient le f ef des étudiants hutu, tandis que les étudiants
tutsi s'inscrivaient à la faculté des Lettres et de Droit La raison est
simple: les Hutu savaient qu il fallait posséder une carrière technique sérieuse,
exigeant une formation incontestable et exgeante pour trouver un emploi.
Donc, on amena les vingt
premiers étudiants hutu, tout le monde s'attendait un peu naïvement à leur
retour, après un 'interrogatoire': Pour moi, le sort des Hutu était déjà décidé.
(..) D'autres étudiants avaient aussi coin pris,
mais sachant leur tristesse dans l'incapacité de se révolter (...), ils ne
pouvaient que se taire et subir innocemment ces atrocités.
35
Mardi passa, mercredi, jeudi.
Les étudiants crurent que leurs compagnons arrêtés méritaient peut-être
leur sort, et qu'il n'y en aurait plus d'autres. Le coeur revint en place, le
pessimisme céda à l'optimisme. Mais vendredi recelait dans son sein notre
destinée. Ce vendredi qui restera éternellement gravé dans nia mémoire
(..).
Hécatombe des universitaires
hutu (5 mai)
Il était neuf heures. Nous
étions en classe. Brusquement un bruit se fit entendre à l'extérieur. Cric
Crac ! Un bruit sec, saccadé. Et tout à coup, en un instant, la porte de
l'auditorium s'ouvre. Trois hommes armés, en tenue de campagne, revolver au
poing, prêts à tirer, font irruption dans la salle. Un soupir bref de désespoir
s échappa de la poitrine des étudiants. "Silence", ordonna le
premier des trois militaires. il
sortit alors d'un énorme livre, un papier qu'il présenta au Doyen de la
faculté. Je puis voir sur la feuille deux photos -format de passeport- lune
du Président Micombero, l'autre du Procureur de la République- c'était le
mandat d'arrêt.
Après avoir vu la sgnature même
du Président, le professeur était désormais dans l'impuissance de dire quoi
que ce soit Le militaire était un commandant, homme noir, avec un nez en
falaise, de petits yeux enfoncés profondément dans le crâne, un vrai représentant
de la mort il se tourna vers les étudiants et vociféra: "Certains parmi
vous doivent être arrêtés. Tout le monde dehors!': Je vis tout d'un coup,
parmi les étudiants, des visages pâles et décolorés, des visages sans plus
aucun espoir dans la vie, et d'autres, au
contraire, souriants et cyniques, des visages de trahison.
Quant à moi, je tremblais,
une sueur formée dégouttes aussi grosses que des gouttes d'eau me dégoulina
tout le long du visage. La mort était devant moi. C'était fini! Les forces
tribalistes avaient explosé, il était impossible de les retenir. Ou fuir, ou
ne pas fuir? Des instruments de mort étaient braqués dans tous les sens,
tout le campus était encerclé; des soldats avec armes lourdes: Jeeps, blindés,
mitraillettes, mitrailleuses et autres machines encore que le monde moderne a
pu inventer. Un observateur étranger aurait cru deux fronts sérieux en
guerre. C'était horrible à voir tout cet attirail d'armes légères et
lourdes, de baïonnettes et de petits couteaux arrondis que le gouvernement
tutsi avait osé moholiser pour réduire en pièces quelques étudiants
innocents, complètement gnorants de ce qu'on leur reprochait.
Tout le monde; sauf les
Blancs, fut regroupé à l'extérieur de la salle: Hutu, Tutsi, Zaïrois,
travailleurs et professeurs barundi. L'instant de la fin était arrivé. Le
commandant ouvrit à nouveau son grand livre et commença l'appel Batungwanayo
Romain, Nzoramba Dismas, Ryoni François, ... tous les Hutu jusqu'à la fin.
Seul un silence de mort répondit Alors k commandant se fâcha et commença à
charger sa mitraillette: 'celui qui ne répond pas, cria-t-il, sera fusillé
surplace" Il recommença l'appel et le premier, terrffé par ces paroles,
obéit et répondit.
Cher lecteur, je ne trouve
pas les mots pour vous exprimer les tortures, combien inhumaines, que cette
première victime dut subir. Le visage contre le sol, un soldat k piétina,
lui frappa la tête avec sa baïonnette, il lui transperça le côté avec un
long couteau. Après l'avoir déshabillé,
il lui trancha froidement et cyniquement les organes extérieurs de l'appareil
reproducteur.
36
Devant cet
horrible spectacle, je fus glacé, je m'abandonnais à Dieu, car pour la première
fois de ma vie, je me reconnaissais tout à fait impuissant. Je préfère
qu'on me tue avec un revolver plutôt que de subir ce martyre. Je regardais,
contemplais ce sang innocent qui coulait clair et limpide comme de l'eau
jaillissant d'une source, et je restai convaincu qu'il ne serait jamais
pardonné à ces animaux à face d'homme.
"Nzoramba Dismas"
, le commandant continua la liste, et chaque étudiant cité devait subir le même
carnage. Chaque nom qui retentissait symbolisait la disparition d'une élite
qui se désagrégeait lentement.
A chaque nom appelé,
mon coeur battait comme un tambour, mon âme s évadait pour un instant. Au
rythme martelé de chaque nom proclamé, tout le monde f rnnait les yeux comme
pour ne pas entendre le sien. C'était inutile, l'ef ectif diminuait, les Hutu
disparaissaient, la jeunesse intellectuelle issue de la masse de la nation
subissait ces inqualifiables atrocités.
A la fin, le
commandant s'arrêta, les yeux rougis par ces crimes, insensibles aux
sentiments humains. il vociféra: "C'est fini pour le moment, nous
reviendrons demain" : A ces mots, je respirai profondément: Je ne suis
pas du nombre!, me dis je intérieurement. Ceux qu on avait pris furent
embarqués dans un grand camion, les uns déjà morts, d'autres à moitié, et
un bon nombre encore vivants. Une trentaine de soldats montèrent dans le même
camion et continuèrent leur inqualifiable boucherie.
Trente jours caché, sans
voir le soleil
Immédiatement,
alors que les autres commençaient à échanger leurs émotions, je pris mes
jambes à mon cors Aveuglé par les visions de ce jour-là, et surtout
cragnant dêtre identi fié par quelque camarade d'étude, je courus Jusqu'à
la maison. Arrivé à mon domicile, je n'expliquai rien à ma famille. Maman
me demanda la cause de ma stupeur. Ma réponse fut: "Tu ne sais pas ce
que je viens de voir": En un clin d'oeil, je fis ares malles, je mis des
habits usés que j'avais abandonnés depuis cinq ans. Frappé d'étonnement,
toute la famille nie regardait, pleine de stupeur. Tout ce que je prononçais
était: Je m'en vais à l'intérieur, à Rushubi chez ma grand'mére". Et
je pris le chemin de la montagne.
Rushubi représentait
pour moi un lieu de refuge, un lieu de bonheur et de salut. Situé à vingt
cinq kilomètres de Bujumbura, Rushubi hébergeait ma grand'mère et avait vu
naître maman. J'y espérais des lendemains meilleurs. J'avais la ferme
conviction que les masses paysannes (..) seraient au moins à l'abri de ce
massacre, de ce poison tribal. Mais, ... je me trompais lourdement, car chaque
jour, la radio, la "Voix de la Révolution , ne cessait d'attiser la
flamme: 'Militants du parti, s'exclamait-elle, démasquez l'ennemi où qu'il
soit et quel qu'il soit': Cela voulait tout simplement dire: "Traquez
tout Hutu intellectuel". (..) Je fus ainsi
victime de cette délation, nais fort heureusement, je fus relâché grâce
ale ne sais quel 'Deus ex Machina".
Arrivé finalement à Rushubi, je dus me
cacher pendant trente jours, sans voir aucun rayon de soleil Comme tous les
intellectuels du pays, la petite élite hutu de Rushubi fut
également traquée à mort- commissaire d'arrondissement, directeurs
d'écoles, moni-teurs et monitrices, infirmières, tous furent tués par les
troupes gouvernementales tutsi.
37
Furent également exécutés.-
balayeurs des églises, chefs de marchés, commerçants, jusqu'aux
cultivateurs qui avaient pu augmenter le rendement de leurs terres, en
appliquant les méthodes de rationalisation de lagriculture. Finalement, les
soldats avançaient dans les églises, k dimanche, et emmenaient quiconque
portait une chemise et un pantalon un peu voyants.
Dans toute la région, il ne
resta qu'un garçon nommé Honoré et moi-même. Honoré était un garçon en
classe terminale des Humanités au collège du Saint-Esprit, dirigé par les Jésuites.
Il avait pu échapper à la mort après avoir reçu des blessures graves lors
dune bataille qui avait oppose Hutu et Tutsi au collège du Saint-Esprit Mais
à peine venait-il d'entrer en convalesence qu'il allait partager le sort
commun. Les troupes gouvernementales le trouvèrent caché sous son lit ( ..).
"Petit animal,
pourquoi as-tu quitté l'école?"
interrogea un
des flics. Sur ce, avec ses énormes bottes, il s'amusa à danser sur le
ventre du garçon. Ensuite avec son couteau, il lui transperça le cou jusqu'à
ce que la poitrine ressorte dans la nuque. Satisfait, il contempla le sang qui
s'écoulait sur le ventre du pauvre Honoré. Son camarade lui prêta ensuite
main forte et avec un énorme marteau, à deux, il écrasèrent le crâne de
l'adolescent. Honoré rendit l'âme à son Créateur. Son père et son oncle
furent soumis aux mêmes atrocités. Toute la famille disparut ainsi. Qui
pardonnera à ces hommes?
Quand les personnes qui
assistaient à la tuerie me dirent ce qui sétait passé, je fus secoué par
la peur et allai passer la nuit dans une
bananeraie. Le matin venu, je décidai de redescendre à Bujumbura, à
Kamenge, espérant que le déchaînement de violence serait ralenti là-bas.
Je me déguisai en paysan avec des vêtements en haillons, en prenant soin de
porter sur la tête un régime de bananes, car, au Burundi, il fallait être
paysan pour survivre.
Encore trente jours à rester
enfermé
En chemin, Dieu me garda
jusquà la maison. Personne ne nie reconnut, tellement j'étais changé. Et je
m'engouffrai rapidement dans lhabitaiton familiale. Je m'y cachais pendant
exactement trente jours, ne sortant que la nuit pour les nécessites
habituelles Mais il fallait à tout prix quitter ce pays, ce pays où les
droits les plus élémentaires de l'homme sont bafoués: le droit à la vie y
est inexistant Par une fente de la maison, je regardais comment-
des personnes étaient éventrées, comment des têtes sautaient par-dessus
les troncs, et en même temps les chiens et les poules se promenaient
tranquillement, sans inquiétude aucune. 'Si j'étais chien", me disais
je, tellement je préf "trais à ce moment les animaux aux humains.
L'humain n'avait plus de raison d'être. L'absurde des philosophes
existentialistes se réalisait
Dès ce moment, je commençais
à former des plans pour l'évasion, il fallait à tout prix quitter ces
lieux.
Lueur d'espoir
Un jour je nie décidai.
D'intellgence avec mon grand frère, je me dirigeai vers la frontière du Zaïre.
Maintenant la question la plus importante se posait: comment passer les postes
de police? Là des milliers de vies humaines s'étaient éteintes en tentant
une évasion. Heureusement, nous parvînmes à nous arranger
avec de jeunes pécheurs.
38
Après avoir accepté une
petite somme, ils nous conduisirent à sept heures précises vers le
Tanganyika. La barque y était déjà prête.
Une lueur d'espoir m'envahit:
l'enfer allait disparaître par morceaux pour faire place à une vie nouvelle
toute pleine d'espoirs nouveaux.
De temps en temps, les
vedettes militaires qui sillonnaient le lac, braquaient leurs phares de mort
sur notre pirogue, mais le bon Dieu avait décidé de nous sauver. Notre
pilote maitrisait sa barque avec une adresse des plus rares. Lorsque les
phares nous illuminaient, il stoppait la pirogue, immobile comme un arbre
mort, tandis que nous nous écrasions contre le fond de la barque pour nous
cacher. La lumière passait.
Finalement nous arrivâmes à
Uvira, sur la côte du Zaïre. Nous avions la vie sauve. Désormais j'étais
loin des cruels humains, face à une nouvelle existence.
0003/030597/MPD,0192B.P.Bujumbura
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2002
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