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Comment porter secours aux Hutus encore vivants ? 


par CÉLINE COSSETTE 

 

"Le Devoir, mardi 3 octobre 1972


Travailleuse sociale et garde-malade, Céline Cossette a séjourné au Burundi entre 1968 et 1970 puis de juillet 1971 à juillet 1972. Dans ce libre opinion, elle commente le génocide pratiqué contre l’ethnie hutue et le silence de l’opinion publique à cet égard. On peut lui adresser toute correspondance et tout don à l’adresse suivante : Les Pères Blancs –attention: Burundi – C.P. 450 – Québec 4.

Voici ce que Céline écrit en octobre 1972

« Il est difficile d’expliquer avec des mots ce qu’a été le malheur d’une ethnie. En un siècle où on parle de liberté, de justice, de paix et dans un pays ayant signé la charte de l’O.N.U., nous avons vécu le paroxysme de la barbarie.

J’ai vécu avec ces gens , je les ai aimés, je les ai regardé travailler et j’ai lu les écrits de ceux que tentaient d’aider leur pays. Je les ai regardé agir, j’ai écouté leur voix, du temps qu’ils étaient encore vivants, en pleine action, se dévouant pour le peuple."

 

 

(1) La vérité doit éclater

 

(2)La victoire dans le sang

 

(3)La culpabilité des étrangers

 

(4)Les morts vous parlent

 

 

 

 

 

 

 

(1) La vérité doit éclater


Dès le début du drame du Burundi, aucun journaliste n'était autorisé à mettre sur pied le sol burundais... Pourquoi cette défense?
Plus tard, on les guidait dans les régions du Sud (Nyanza-Lac,Rumonge, Bururi) afin de leur montrer les maisons brûlées et les cadavres de Tutsi qui gisaient sur le bord du Tanganyika. Leur a-t-on permis d'aller ailleurs dans le pays, d'interroger les veuves et tous les Hutus que la répression avait touchés?

Quelques journalistes assez clairvoyants et sans doute informés par des étrangers qui vivaient dans le pays, ont pu relater des faits assez exacts sur ce qui se passait vraiment au Burundi. Mais, que n'a-t-on pas dit a leur propos à la Voix de la Révolution", radio nationale du pays. 

En Belgique, le journal "Pourquoi pas?" du 15 juin 1972 s'exprime en ces mots: "Pour atténuer l'émotion suscitée dans le monde par les massacres du Burundi, les autorités de Bujumbura tentent actuellement, par différents moyens, de faire croire que la répression contre les hutus est terminée, que le carnage a été commis par quelques extrémistes isolés et que l'armée est intervenue, non pour "casser du Hutu", mais uniquement pour venir à bout d'une bande de rebelles drogués."

On dresse les premiers bilans de l'hécatombe et une horrible arithmétique officielle répartit même les victimes par zones géographiques. Avec toujours un même total 50 000 morts. 
"En vérité les massacres ont été beaucoup plus importants que ne l'admet la version officielle. Et ils continuent encore avec cependant un peu plus de discrétion."

"Selon nos sources, la tuerie aurait fait 200.000 morts et constituerait l'horrible aboutissement d'un plan conçu par un ministre du colonel Micombero, M. Artemon Simbananiye, que l'on retrouve à chaque étape de la répression contre les Hutus. Un "plan diabolique", échafaudé en juillet1967, visant à amener les deux ethnies (Tutsis 15% et Hutus 85%) à égalité ."

Voici maintenant quelques lignes explicatives sur l'esprit de ce plan:


- Accepter de sacrifier quelques membres tutsis pour déclencher un génocide hutu. Faire en sorte que les étrangers ne découvrent pas l'action. 


- Supprimer tous ceux qui pourraient dévoiler la réalité: Ministres, Prêtres, étudiants, fonctionnaires, commerçants... etc, toute personne suffisamment ouverte pour causer préjudice aux Tutsis.


- Informer la population, l'intoxiquer, l'imprégner d'une opinion aberrante, l'endoctriner... la rendre totalement aveugle.


- Ne jamais procéder aux arrestations en même temps: prendre de petits groupes, laisser un peu de repos pour donner l'impression que le calme est revenu et que la paix est retrouvée.


- Continuer de fonctionner normalement dans le pays: l'enseignement doit continuer, les travaux (constructions de routes etc.) les cultures, les récoltes doivent se poursuivre normalement. Les familles éprouvées ne peuvent montrer ni mécontentement, ni tristesse.


- Créer des conseils de guerre à Bujumbura, Gitega, Ngozi et Bururi, faire semblant de juger les inculpés et profiter du couvre-feu et de la nuit pour les fusiller et les jeter dans les fosses communes.


- Organiser les masses à massacrer les leurs. Dans l'ampleur des massacres, jeter la poudre aux yeux, mettre en prison ou tuer certains des
leurs, soi-disant pour mater ceux qui se livrent à arrêter et à assassiner  les innocents.

 

 

La victoire dans le sang

 

La radio burundaise, au cours de la période du 29 avril 72 au 30 juin 72 et encore maintenant selon des informations de source sûre diffuse que jamais le peuple burundais n'avait remporté de victoire pareille. 

Oui, c' est la victoire quand Mgr  Gabriel Gihimbare, aumonier militaire, premier évêque hutu, fut assassiné avant son sacre par les militaires tutsis le 15 décembre 1964.

Oui c'est la victoire qund le premier ministre Pierre Ngendandumwe (un hutu) a été làchement assassiné le 15 janvier 1965 alors qu'il sortait de l'hôpital où se trouvait sa femme qui venait d'accoucher.

Oui c'est la victoire quand on dit que le colonel Micombero avait remplacé la monarchie sans effusion de sang  alors que les Tutsis avaient réussi, avant la proclamation de la république, à liquider l'élite hutu qui venait de remporter une victoire écrasante aux élections législatives de 1965 (23 députés hutus sur 33, 10 sénateurs hutus sur 16; et les Présidents de ces deux chambres étaient des Hutus).

Oui c'est la victoire car à partir de 1965 jusqu'à maintenant, des mesures ont été prises et appliquées. Ainsi  dans l'administration  civile, on admettait le moins de Hutus possible et s'il en fallait, on les plaçait adjoints des Tutsis. Ce programme était étendu dans toute la République: provinces, arrondissements, communes, collines.

Oui c'est la victoire quand le gouvernement a réussi à faire rentrer de l'étranger en 1965 quelques étudiants hutus civils et militaires qui seront tués un an plus tard.

Monsieur le Président de la République a raison d'annoncer au peuple
tutsi que les ennemis de la République sont réduits à néant.

Mais il fallait aller jusqu'au bout. En 1971 il faut trouver d'autres motifs de liquidation des Hutus. Malheureusement le plan est déjoué et les Tutsis s'entredéchirent.

Un fait plus significatif et révélateur est celui du procès de 1971. Les
inculpés du Coup d'Etat de 1971, tous Tutsis, sont condamnés  soit à la peine capitale, soit à l'emprisonnement à vie, soit à quelques années de prison selon la gravité de leur acte. Mais au début de l'année 72, M. Micombero déclare, après avoir gracié tous les condamnés, que l'année 72 sera une annéé de victoire totale, de justice, d'unité et de paix!!!

Il est à remarquer que tous les condamnés hutus des années 62, 65, 67 et 69 n'ont jamais été relevés de leur peine et qu'ils ont tous été liquidés. 

 

 

Encore une fois le journal "Pourquoi pas?" du  25 juin 72 nous éclaire sur le Mystère Ntare V; voici ce qu'on y lit: "L'ancien Mwami était réfugié en Ouganda. Au mois de mars de cette année, il rencontre à Bruxelles, un ministre burundais, M. Artemon Simbananiye. Ce n'est pas une rencontre fortuite: les deux hommes logent pendant quatre jours dans le même hôtél. C'est en effet le retour, comme simple citoyen, de Ntare V se négocie secrètement.  Et  le 31 mars l'avion personnel du président ougandais, le général Amin, se pose à l'aéroport de Bujumbura. En descendant, un haut fonctionnaire des affaires étrangères et deux officiers ougandais, ainsi que Ntare V accompagné de son garde du corps allemand. Dès que les officiels ougandais son partis, l'ancien Mwarni est placé dans un hélicoptère et conduit à Gitega. Quand il débarque au camp militaire, il porte des menottes... 

Le journal "Ndongozi" titre à la une "Le roi est de retour au pays" mais se fait saisir. Un enregistre quelques remous dans la population ("le mythe Mwami" ) et les Tutsis ne peuvent se mettre d'accord sur le sort à réserver à Ntare V.

D'accord, ils le seront toutefois, quelques jours plus tard... 
Pour se livrer au massacre des Hutus! 

Un conflit a-t-il été fomenté par l'éthnie hutu?

Il devient de plus en plus manifeste qu'il s'agit d'un prétexte au déclenchement de la tuerie. On possède plus de détails aujourd'hui, sur les incidents de Nyanza-Lac et sur le meeting organisé par le ministre de la Justice et le ministre de l'information (également secrétaire exécutif du parti de la révolution). On sait que ces deux Tutsis ont assisté à la distribution de tracts appelant à l'extermination des ... Tutsis. Les rebelles avaient-ils intérêt à attendre la visite des deux ministres et de leur puissante escorte militaire pour distribuer leurs tracts? N'est-ce pas ,plutôt, la technique classique de la provocation?

Tout s'est, par ailleurs déclenché en parfaite synchronisation. Comme si l'armée n'attendait que le signal pour se lancer à l'assaut dans les quatre régions du pays, au soir du 29 avril. La révolte hutu dans le sud et sur les bords du lac Tanganyika ?  Ne serait-ce pas un sursaut de défense des populations hutus menacées, écoeurées par le massacre de leurs frères?

 

 

La culpabilité des étrangers

Nous ne pouvons exclure les étrangers dans la non-existence des Hutus. Depuis 1962 presqu'à nos jours, ont assiste à ces ignobles massacres.

Jusqu'à avril 72, les massacres furent mieux dissimulés et il est
possible que la plupart des gens vivant à l'extérieur du Burundi ne se sont pas rendu compte de ce qui se passait exactement; cependant ceux qui vivaient dans ce pays percevaient une certaine animosité entre les deux ethnies et ont vécu les troubles de 65 et de 69. Mais le génocide actuel ne peut plus être dissimulé et l'humanité entière doit en prendre conscience.

 

 

Les morts vous parlent

 

Vous les Africains qui prônez l'unité, la fraternité ' l'égalité et qui luttez contre l'impérialisme, vous que nous croyions amis, avez-vous fourni des armes pour nous supprimer? Et avez-vous soutenu et continuez-vous à avoir des relations avec un gouvernement de carnage? 

Et vous les enseignants tant Barundi qu'étrangers, avezvous accepté qu'on
vous arrache des élèves des mains et avez-vous continué à assurer les cours comme si rien ne s'était passé? 

Et vous le monde religieux, avez-vous attendu l'effusion de sang avant de
vous rendre compte de la sinistre réalité? 

Et vous les Puissances Mondiales, à quoi vous intéressez-vous, alors qu'on extermine toute une ethnie en reproduisant la persécution juive de 1939? 

Avant de terminer, nous vous demandons ceci:
 

- Etez-vous sûrs que vous faites du bien en n'agissant pas et en gardant le
silence, témoignage de complicité?

- Pouvez-vous, en conscience, aider le gouvernement du  Burundi, lequel continue l'élimination systématique d'une ethnie?

- Pourquoi accepter de former une élite qui sera supprimée  demain devant vos yeux?

- Les  pays qui gardent encore des relations diplomatiques avec le Burundi ne
sont-ils pas complices devant l'humanité et ne seront-ils pas jugés par cette même humanité?.

-
Que peut-on faire pour aider ceux qui sont encore vivants ? 
Plusieurs Hutus ont été massacrés mais d'autres sont encore vivants et ont besoin qu'on les aide. Certains sont restés dans le pays et les missionnaires essaieront de pourvoir à leurs besoins à condition qu'ils aient de quoi les aider. D'autres sont réfugiés dans les pays limitrophes tels que Rwanda, Zaïre, Tanzanie. Ceux-là sont démunis de tout, ils sont en haillons, nous leur devons notre aide. Le Rwanda, par exemple, accueille les refugiés barundi mais le Rwanda seul ne peut pas subvenir à leurs besoins. 

Un ami vient de m'écrire ceci: "Les réfugiés sont sans nourriture suffisante, sans habits et tu connais les pluies de l'Afrique, sans médicaments, sans logement et par dessus le marché ils sont au milieu de la forêt à 80 km de Kigali, au milieu des animaux sauvages et des serpents ...mais tout cela ne leur fait rien ... ils sont en vie et plus en sécurité que dans leur pays." 

 Nous autres ici, nous vivons tranquilles, non sans problème, mais nous sommes libres et capables de mener une vie normale et parfois même assez agréable. Il arrive que nous lisions des articles dans les journaux où on nous raconte des faits vécus comme celui du Burundi. Là on s'exclame, on se demande ce qui se passe et pourquoi en ne fait rien pour ces gens?... Mais quelques minutes plus tard, on se rassoit dans son fauteuil, on écoute la télé et on a déjà tout oublié!!!

 Si chaque lecteur se sentait humainement responsable, si chacun acceptait de faire quelque chose pour ces gens qui sont maintenant en deuil et démunis de tous leurs biens, savez-vous qu'il serait possible de leur redonner au moins  l'espoir d'une survivance?

 

 

 

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