Au Burundi:
Les chefs féodaux Tutsi exterminent méthodiquement l'élite de la race Hutu
(D'un correspondant)
Le Courrier d'Afrique, mercredi 12 janvier 1966
Le Burundi est un petit royaume d'une superficie d'environ 30.000 km2 et comptant une population d'environ 3 millions habitants. Cette population est composée essentiellement de deux ethnies : l'une, les Tutsi, représentant approximativement 15 % de la population totale, et l'autre, les Hutus, représentant 85 % de la population. Depuis quelques centaines d'années, le pouvoir a été exercé par les Tutsi (le Roi appelé Mwami, les Princes et autres seigneurs ou sujets Tutsi) et toutes les fonctions de direction dam l'administration, dans la magistrature, l'enseignement, l'armée, etc... ont été réservés, jusqu'à un passé très récent, exclusivement aux Tutsi. (1)
Dans ce régime strictement féodal, les Hutu étaient considérés et traités exactement comme l'étaient les serfs au
Moyen-age, c'est-à-dire taillables et corvéables à merci. L'administration coloniale allemande, jusqu'en 1919, l'administration de tutelle belge a partir de cette date jusqu'en 1962, ont toujours respecté les structures existantes qui leur permettaient une administration indirecte plus commode et moins coûteuse. Les missions, depuis leur implantation en 1890, ont également développé leur action à travers les structures existantes.
NAISSANCE D'UNE OPINION
Cependant, depuis une dizaine d'années, grâce aux contacts qu'un certain nombre dé Hutu ont pu établir avec l'extérieur, les idées démocratiques se répandirent dans le pays, et avec elles une conception de plus en plus nette de la dignité et de la valeur de l'homme, un désir de plus en plus grand de justice et enfin une volonté de plus en plus affirmée d'opérer une transformation profonde des structures et du régime politique en vigueur. Les premières organisations sociales qui se créèrent au Burundi
(syndicats, mutualités, coopératives) purent tout d'abord se" développer sans trop de
difficultés, parce qu'elles avaient été prises en mains par des Tutsi. Mais dès que, sous l'impulsion des dirigeants hutu progressivement formés à l'intérieur de ces organisations, elles prirent une
position nette vis-à-vis du régime féodal en vigueur, condamnant ses excès et réclamant l'abolition de ses privilèges, la réaction du pouvoir fut dure.
N.B. Le Mwami actuel règne sous le nom de Mwambutsa IV depuis 1915, c'est-à-dire depuis plus de 50 ans en monarque absolu ! . On assista alors à la naissance d'un certain nombre de partis politiques groupant essentiellement des Hutu et dont tous, bien que parfois divisés sur le problème de la monarchie, avaient pour dénominateur commun la suppression du régime féodal et de ses excès. Malheureusement, ces partis ne reçurent guère d'appui ni même la compréhension à l'extérieur et au Burundi même, ils se heurtèrent à l'opposition du Vice-Gouverneur Général de l'époque et à celle de la quasi-totalité de son administration, dont le seul souci
semblait être : " Pas d'histoire !".
PREMIERES ELECTIONS
Aux premières élections de septembre 1961, ce sont les partis féodaux, l'UPRONA et le soi-disant Parti Démocratique Chrétien (en réalité ni chrétien, ni démocratique, mais strictement féodal et ayant pour chef le prince Biroli ) qui remportèrent la victoire, en partie par le faït de la dispersion et de la faiblesse des Hutu et en partie par le fait de la pression constante que le
Vice-gouverneur Général et son administration exercèrent sur les partis progressistes et populaires pour les
empêcher de constituer une force politique cohérente et de se présenter -comme telle devant les électeurs.
LA REPRESSION
Aussitôt au pouvoir, et avertis du danger que représentait l'action des militants progressistes et démocratiques, l'UPRONA et ses chefs, mettant à profit l'assassinat du prince Rwagasore, premier ministre, par les membres d'une famille princière rivale, entreprirent, encore sous l'autorité belge, une répression sanglante contre les principaux dirigeants hutu.
Dans la première quinzaine de janvier 1962, nombre d'entre eux furent maltraités très gravement; leurs biens furent saccagés ou brûlés, et quatre principaux leaders hutu : le président et le secrétaire du syndicat chrétien et deux des dirigeants nationaux de l'Union des Partis Populaires furent assassinés, un cinquième, M. Miburo, bourgmestre hutu de Muramba, fut enterré vivant ! Tous ces crimes furent commis avec la bénédiction et le soutien direct du premier ministre tutsi de l'époque.
A six mois de l'indépendance du Burundi, I'administration de tutelle belge se refusa à entreprendre sérieusement la recherche, le jugement et la condamnation des coupables.
Aujourd'hui, encore, les assassins, connus de tous, continuent à vaquer à leurs occupations et occupent des fonctions importantes dans les divers gouvernements féodaux qui se sont succédés.
Finalement condamnés à mort ou à de lourdes peines par un tribunal régulier, sous le gouvernement éphémère d'un Premier ministre hutu, ils furent tous
graciés, quelques mois plus tard, par un Premier ministre tutsi, revenu 'au pouvoir,- et réintégrés dans leurs fonctions. Depuis cette date, les leaders hutu politiques et syndicaux ne connurent plus, en dehors de quelques périodes d'accalmie que vexations, mauvais traitements, emprisonnements, tortures et assassinats et certains durent choisir entre l'exil et la mort. A la même époque, le premier
évêque de race hutu, Mgr Gihimbare, fut assassiné à coup de fusil, la veille de son sacre.
Cependant, à l'intérieur, la résistance hutu contre les abus du pouvoir tutsi, se renforçait les partis politiques hutu se réorganisaient en vue des -prochaines élections législatives.
Impressionné par la puissance croissante des réactions populaires, le Mwami du Burundi nommait de nouveau un premier ministre hutu; Pierre Ngendandumwe. mais tout modérés et monarchiste qu'il soit, M. Ngendandumwe était hutu et le 15 Janvier 1965, quelques heures à peine après la constitution de son gouvernement, il tombait sous les balles des tueurs tutsi. Comme les premiers, les assassins de M. Ngendandumwe n'ont pas été inquiétés et circulent librement au vu et au su de tous dans le pays.
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2002
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