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1972-1997: maccabre anniversaire d'un génocide qui continue


IJAMBO, les quatre Vérités 
(Organe d'expression de l'Association de 
Réflexion et d'Information sur le Burundi)

ARIB, ASBL

N°26/27  Avril/Mai 1997


 






SOMMAIRE

...

Plaidoyer pour la reconnaissance du génocide des Hutu au Burundi

(Message au S.G. de l'ONU, adressé par le Comité organisateur du 25è anniversaire du début du génocide au Burundi) p30/1

Témoignages sur le génocide de 1972.

« Il faut rester enfermé au collège ... » p30/4

« Même les jeunes élèves de 10 à 14 ans devaient être massacrés! » p31

« Quand l'homme ne trouve plus dans l'homme un semblable ... » p34






 


 






 

30/1

COMITE ORGANISATEUR
ANNIVERSAIRE
DU DEBUT DU GENOCIDE
AU BURUNDI.
C/O B.P 24 BRUXELLES , 23
TEL / FAX : 02 / 465 24 92

 

Au Secrétaire Général Des Nations Unies C/O la Représentation des Nations Unies à BRUXELLES

 

PLAIDOYER POUR LA RECONNAISSANCE DU GENOCIDE DES
HUTU AU BURUNDI

 

 

Depuis l'éclatement de la guerre du Zaïre, tous les autres drames qui se jouent dans la Région des Grands Lacs africains sont occultés. Le drame burundais est de ceux-là. Pourtant les élections de juin 1993 qui portèrent au pouvoir le Président Melchior NDADAYE avaient laissé espérer que le Burundi allait enfin sortir des cycles de violences connus de la royauté à nos jours et dont les périodes noires furent 1965, 1969, 1972-1973, 1988, 1991,... L'intermède ne dura que trois mois (10 juillet - 20 octobre 1993), sous le Président civil démocratiquement élu, Melchior NDADAYE. Ce dernier fut ignominieusement assassiné par les forces Armées Burundaise, celles-là mêmes chargées de le protéger. Cet acte ignoble, commis le 21 octobre 1993, plongea le pays dans un nouvel univers de violences qui durent depuis quatre ans.

 

Alors que, selon les chiffres les plus fiables, le génocide de 1972-1973 avait fait quelques 300.000 morts et 200.000 exilés (sur une population de trois millions environ), celui de 1993-1997 a déjà fait plus de 200.000 morts auxquels il faut ajouter des centaines de milliers de déplacés et de regroupés, toutes victimes innocentes. Vingt-cinq ans de génocide hutu au Burundi ont déjà fait plus d'un demi-million de morts. C'est ce génocide qui visait, selon certaines sources à « régler la question hutu pour une génération » qui emporta tous les âges: enfants, vieillards, écoliers, étudiants, exclusivement hutu.

 






 


 






 

30/2

 

En 1972, le Premier Ministre belge, Gaston EYSKENS, fut le premier Chef de Gouvernement étranger à qualifier cet acte innommable de « GENOCIDE ». Celui-ci n'épargna personne: des ecclésiastiques, aux simples fidèles, des militaires aux civils, des cadres politiques aux enfants d'écoles primaires,... Tous furent touchés ou prirent le chemin de l'exil. Pour couronner le tout, les autorités politiques burundaises expulsèrent tous les témoins étrangers gênants, spécialement des missionnaires et des coopérants.

 

A propos de ce génocide, le Professeur René LEMARCHAND (Génocide sélectif au Burundi, MRG, Rapport n°20, novembre 1974, p 13), a écrit en 1974: « On assiste à une sorte de violence « prophylactique » visant non seulement à décapiter la rébellion mais pratiquement toute la société hutu. Ainsi, s'ébauche à coup de baïonnettes un nouvel ordre social(...). Une société où seuls les Tutsi sont qualifiés pour accéder au pouvoir, l'influence et à la richesse. L'ethnie hutu, c'est-à-dire ce qu'il en reste, est à présent systématiquement exclue de l'armée, de la fonction publique, et pour ainsi dire de l'Université et de l'enseignement secondaire ».

 

Curieusement, des pays dits démocratiques comme la France s'empressèrent de voler au secours de cette dictature en assurant la coopération militaire que venait de suspendre courageusement la Belgique. Tout le monde se tut, y compris l'Eglise Catholique, malgré l'assassinat de 22 prêtres, religieux et religieuses. Par ailleurs, contrairement à d'autres génocides déjà reconnus dans le monde, la communauté internationale, l'ONU en tête, refuse de reconnaître le génocide hutu de 1972 au Burundi.

 

La célébration de son vingt-cinquième anniversaire prend un cachet spécial.

 

Comme il est de coutume depuis 1986, des Hutu résidant en Belgique commémorent le 29 avril de chaque année, le début du génocide de 1972. Le 29 avril 1997 sera, jour pour jour, le 25ème anniversaire du début de ce génocide. C'est pourquoi, cette année, plusieurs organisations, partis et associations ont uni leurs efforts pour organiser la commémoration de vingt-cinquième anniversaire dont les activité s'étaleront sur une semaine, du 26 avril au 4 mai 1997.

 

Cette démarche répond à un objectif multiple. Il s'agit de se souvenir de tous les morts du Burundi, victimes du génocide et/ou des massacres sélectifs.

 

 







 

 

 






30/3

Il faut que les enfants, les parents, les époux, les amis, puissent y trouver l'occasion de pleurer leurs morts, car cela a été rarement possible. Il s'agit également d'interpeller la communauté internationale, l'ONU en tête, pour qu'elle dénonce et reconnaisse ce génocide, la Belgique étant le seul Etat à l'avoir dénoncé et condamné.

Il s'agit par ailleurs, d'interpeller le public sur le silence total observé sur la situation dramatique qui prévaut au Burundi et lancer un appel à la solidarité en faveur de toutes les victimes de ce génocide et de ces massacres.

Cela doit également être une occasion de dire non à ce génocide qui continue encore aujourd'hui, sous le signe de l'impunité et de lancer un message d'espérance pour tous les Burundais en les appelant à bâtir un monde meilleur. Il s'agit enfin d'aider les Burundais à mettre fin à cette folie meurtrière, à renoncer à l'idéologie de la mort pour opter pour l'idéal de la vie et de la paix.

Comité Organisateur : 

Ntimpirantije Abel - Rugurika Mathias - Kubwayo Félix - Karolero Pascal

Avec la participation:

Des Fondations:     Fondation Ndadaye - Fondation ORBI,

Des associations Burundaises:

  • Association de Réflexion et d'information sur le Burundi (ARIB asbl.) 
  • Centre d'Analyse et d'action pour le Burundi (CAAB asbl)) 
  • Entraide Burundais de Liège (EBLI)
  • Génération Afrique 93/2000 asbl
  • Indanga asbl 
  • Tureme.

Les Partis et Mouvements politiques Burundais:

  • Conseil National pour la Défense de la Démocratie (CNDD)
  • Front pour la Démocratie au Burundi (FRODEBU) 
  • Parti Libéral (PLI)
  • Parti pour la Libération du Peuple Hutu (PALIPEHUTU)

 






 

 


  

 






30/4

 

Témoignages sur le génocide commis contre les Hutu du Burundi par le régime militaire tutsi hima en 1972

« Il faut rester enfermé au collège ... »

 TÉMOIGNAGE D'UN ÉLÈVE DU COLLÈGE DON BOSCO (NGOZI)

 

Voici quelques détails des événements au collège Don Bosco durant les derniers mois de l'année scolaire 1971-1972.

Samedi, 29 avril, rien de particulier. Même la nouvelle d'après laquelle MICOMBERO a dissous le gouvernement n'a pas encore pénétré l'intérieur de nos toits. Mais la paix n'allait point durer.

Dimanche matin, une voiture vint s'arrêter à l'entrée de notre salle d'études. Un homme en sort, en tenue militaire: le commandant des forces armées de Ngozi, M. Joseph BIZOZA. Il s'avan(a vers notre groupe avec un air empressé. Sans doute a-t-il quelque chose de très urgent à nous dire. "Citoyens, notre pays est en danger, une bande de mercenaires veut s'emparer de notre cher patrimoine. Déjà à Bururi, des gens ont péri; pour éviter que le désordre ne gagne votre secteur, vous devez rester enfermés au collège; plus de conversations avec les ouvriers et n'écoutez plus la radio. Si l'un d'entre vous viole un de ces ordres, il sera poursuivi par la justice. À vous de veiller et de lutter': Puis, il disparaît, nous laissant dans le doute. Pourquoi de telles mesures ?

Toute la semaine s écoule dans le calme et dans la peur, car nous gnorons tout ce qui se passe au-delà de notre clôture. 

Mais la paix du collège était au bord de la tombe. Après six jours, un professeur hutu, maître en chimie, est arrêté. De quoi était-il coupable ? Je n en savais rien alors. Ce ne fut pas lui seul, car un jour plus tard, trois autres le suivirent (...) pour ne pas faire soupçonner leur programme d'élimination, ils arrêtèrent tous les professeurs hutu et tutsi. Pourtant, la situation ne tarda pas à être éclaircie, car deux jours après, tous les Tutsi étaient de retour alors que les Hutu avaient succombé sous !e poids du marteau.

Nous avons observé à la lettre les ordres de BIZOZA, mais cela nempêcha pas que mercredi le 16 mai (ou le 17), les militaires pénétrèrent à l'intérieur de notre institut Trois étudiants furent emportés par les ravisseurs ce jour-là.

Le lendemain nous réservait une surprise. Il était neuf heures du matin lorsque les mêmes militaires cernèrent le collège: trente-cinq élèves furent appelés et arrêtés, vingt-et-un Hutu et quatorze Tutsi. À sept heures du soir, les Tutsi revinrent tout joyeux. il était inutile de leur demander où étaient leurs vingt-et-un autres condisciples. D'ailleurs, nous connaissions leur jugement après les vingt-quatre Hutu du cycle supérieur qui avaient déjà disparu.

 






 


 






31

 

Jusqu'à ce moment, nous sommes restés calmes et aimables envers les morts et les assassins. Les militaires, voyant qu'ils avaient tout leur temps et que nous étions étroitement surveillés, ne vinrent plus nous déranger dans les jours qui suivirent. Seul le commandant joseph BIZOZA passait chaque jour au collège pour voir si tous les septante-quatre étaient là et qu'il n'y avait pas quelque problème à régler.

Les Tutsi faisaient leur possible pour nous déranger, mais cela ne nous faisait rien. Personne ne répliquait maté notre nombre important. Heureusement d'ailleurs, car si nous avions bouge tout le collège aurait été écrasé.

La vie continua dans la même atmosphère jusqu'au  23 juin, veille de nos vacances. M. BIZOZA qui n'avait cessé de perturber notre tranquillité revint nous donner ses derniers ordres: "Demain, vous irez en vacances. Vous rencontrerez des gens qui vous diront toutes sortes de choses, et gare à vous si vous les croyez! Vous ne pourrez partir qu avec un laissez-passer que je vous donnerai tout à l'heure. Ce papier, vous irez le présenter à votre administrateur quand vous serez rentrés. J'insiste encore une fois pour que tout k monde aille chez lui et veille à ce que je viens de dire. Merci".

Après ce discours sec, des laissez passer nous ont été distribués et nous sommes allés faire nos valses. Ce fut mon dernier jour au collège.

0001/030597/MPD,0192/N.R/Ngozi.

 

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« Même les jeunes élèves de 10 à 14 ans
devaient être massacrés! »

TÉMOIGNAGE D'UN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE DE KIREMBA

 

 

Les soldats investissent l'école

Samedi 29 avril, le directeur de l'internat interdisait aux élèves de rentrer chez eux à l'occasion du congé du premier mai. Le lendemain matin, les soldats envahissaient, armes à la main, le quartier où résidaient les missionnaires de l'école et de l'église. Ils s'emparaient d'un camion de l'école qu'ils allaient dorénavant employer pour le transport de leurs proies humaines.

A 9 heures, les élèves assistaient au culte à l'église située au bord de la route BururiMahamba. Tandis qu'ils célébraient l'office, le premier pasteur M. MADENGO Abel Nego était appelé par des soldats qui rôdaient autour de l'église. Ils lui signifièrent de faire sortir tous ceux qui priaient à l'église.

 

 







 






 

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Arrestation des professeurs hutu

Tandis que tous rentraient à l'école, les soldats arrêtèrent deux professeurs hutu,MM. Ekazar B. et frédéric B., ainsi que leurs frères qui étaient venus leur rendre visite: ils étaient cinq à être appréhendés ainsi à l'improviste.

Terrifiés par la fureur des soldats, tous les élèves voulaient s'enfuir, riais le pasteur MADENGO les rassura mensongèrement en prétendant qu'il n' y avait aucun danger et que les soldats les protégeraient. Ils restèrent donc tous à l'internat.

Le soir du 2 mai, des soldats vinrent s'informer auprès d'un élève tutsi s'il n'y avait pas de querelles. Comme il répondait que tout était calme, le militaire quitta, mais mal en prit à l'élève qui fut rossé par les autres Tutsi, pour avoir dit la vérité.

Jeudi 4 mai, les autres professeurs hutu et un surveillant furent arrêtés. Le soir, quelques élèves ont tenté de s'en fuir niais la plupart d'entre eux furent rattrapés et massacrés en chemin

 

 

On prépare l'arrestation des élèves

Le jour suivant, le faux pasteur - car il était d'une fausseté et d'une fourberie majuscules - conseilla aux élèves de ne pas tenter la fuite: "Vous êtes innocents, leur disait-il, tout cela ne vous concerne pas, vous êtes trop jeunes, il n'y a pas de raison de vous enfuir" : Or, déjà il s'était entretenu avec les soldats de la façon dont il fallait s'y prendre pour arrêter le plus grand nombre d'élèves. Cette nuit-la, les JRR sont venus, lances et machettes à la main, fouiller les armoires des élèves hutu pour voir sils ne cachaient rien de suspect Ils n'y trouvèrent rien. 

Dès ce moment, les élèves hutu voulaient à tout prix s enfuir; mais impossibilité totale de quitter l internat- les JRR entouraient l'école et veillaient jour et nuit que personne ne s'évade. Et le pasteur MADENGO allait même chercher les absents à la maison et les forçait à venir à l'école.

 

 

Arrestation de septante-deux élèves du cycle supérieur

Samedi, le 27 mai, le commandant du Centre d'instruction de Bururi, Samuel NDUWINGOMA, se présenta à notre école et entra dans le bureau du directeur. Un peu plus tard, il en sortit et fit signe à sa troupe qui, aussitôt, investit l'établissement de toutes parts. Les élèves n'avaient pas les moyens d'échapper, d'autant plus qu'ils étaient tous en classe.

Un des soldats, muni d'une liste nominative, dressée par des élèves tutsi, dont faisait partie le fils du premier pasteur, Nathan MADENGO, proclama le nom d'un grand nombre d'élèves, qui devaient être emmenés. Tous ces élèves du cycle supérieur étaient poussés hors de la classe à coups de crosse, et forcés de monter dans le camion qui stationnait devant le bàtiment.

Le nombre des élèves conduits ce matin-là à la mort dans les pires tortures s élève à septantedeux.

 

Arrestation de cinquante-deux élèves du cycle inférieur

Mardi 30 mai, un soldat déguisé en civil se présenta auprès du directeur de l'internat et demanda à pouvoir parler aux élèves. On sonna la cloche. Les élèves arrivèrent et se rangèrent selon les classes. Alors le militaire tira de sa poche une nouvelle liste et commença par appeler le nom de nombreux élèves.

 

 







 






 

33

 

Ceux-ci étaient tirés hors des rangs et au même moment, ils se virent encerclés par un grand nombre de militaires armés, surgis d'on ne savait où. Cette fois, le cycle inférieur était amputé: on lui ravissait cinquante-sept victimes.

Tous ces garçons dirent adieu à leurs camarades et partirent pour ne plus jamais revenir. Ils regardaient une dernière fois leurs petits frères qui restaient en 6eme moderne. Et parmi ceux qui étaient conduits à la mort se trouvaient deux jeunes filles de première normale. Ceux du deuxième groupe forent les plus cruellement massacrés, transpercés par des lances et des baïonnettes.

 

 

On veut arrêter les jeunes de 10 à 14 ans

 

Les plus jeunes élèves de 6eme étaient désormais exposés sans défense aux vexations et brimades des grands élèves tutsi. Ceux-ci poussèrent leur ruse Jusqu'à déchirer la photo de MICOMBERO, puis rejetèrent la faute sur les élèves hutu et particulièrement sur une jeune fille: elle eut le privilège d'être renvoyée de l'école, bien quelle était totalement innocente.

À la moindre occasion, on voyait les élèves tutsi se ruer sur les petits hutu, les battre jusquà ce que le sang coule, parfois leur infliger de profondes blessures et leur arracher la peau. La cruauté de ces Tutsi parvint aux oreilles de Mgr MARTIN, évêque de Bururi. Il en avertit le Président lui-même. Celui-ci intervint pour arrêter ces atrocités. Ainsi ces jeunes eurent un peu de répit et à la fin de l'année scolaire, ils sont rentrés chez eux, mais Dieu seul sait qu'ils sont arrivés sains et saufs, eux les derniers survivants de notre École normale. Du reste, le palmarès offrait de nombreuses pages presque entièrement blanches, à tel point que certaines classes étaient réduites à une petite dizaine d'élèves.

Si jamais une école a souffert et fut martyrisée, c'est bien l'école protestante de Kiremba. Et tout le monde songe au grand coupable- MADENGO Abel-Nego.

Car s'il l'avait voulu, aucun élève n' aurait été massacré, tel était son prestige, et sil s était opposé à la soldatesque et au commandant, on n' aurait pas touché à un seul de ses élèves. Au lieu de cela, il fut la cause de l'hécatombe. Que répondra-t-il lorsque Dieu lui demandera compte pour le sang de tant d'innocents qu'il a laissé verser ?

L école de Kiremba a été la plus éprouvée de toutes les écoles du Burundi: cent quatrevirgts élèves hutu y sont morts sur trois cent trente-neuf élèves, dont soixante-neuf Tutsi et dix sept jeunes filles.

Celui qui a écrit ces lnes a échappé par miracle au massacre commun. En essayant de s'évader, il fût arrêté par les JRR qui encerclaient l'école, mais il se fit passer pour un Tutsi - il dut même l'affirmer sous serment et fut alors relâché. En se cachant ensuite dans les bois et avançant péniblement pendant les nuits, il a pu gagner la Tanzanie, et de là passer au Zaïre hospitalier. Voilà le témoignage qu'il peut donner

0002/030597/MPD,0192/E.Z./KIREMBA

  

 







 






 

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« Quand l'homme ne trouve plus dans l'homme un semblable ... »

TÉMOIGNAGE D'UN ÉTUDIANT À L'UNIVERSITÉ DE BUJUMBURA

 

 

Tout commença dans la nuit du samedi 29 avril 1972, alors qu'à midi, le président Micombero venait de révoquer son équipe ministérielle. Ce soir-là, j' avais eu l'occasion de passer la nuit dans ma famille, à la maison, en compagnie de mes frères et soeurs, comme c'était le cas chaque week-end.

 

Des racontars qui ne terrifient pas

Le lendemain matin, à mon réveil, des bruits couraient comme quoi il y avait eu une attaque en ville, que des hommes avaient été tués, des véhicules brûlés. Ces racontars ne me terrifièrent pas. J'y voyais un rejaillissement de ce régionalisme séculaire des Tutsi qui était le problème à la page. Je n'imaginais surtout pas un affrontement entre Hutu et Tutsi, car je savais que tous les Hutu intellectuels, fils issus des niasses populaires, avaient été décimés au cours des dix années indépendance. J'étais sûr que le pays appartenait désormais aux Tutsi pour un certain nombre d'années et que le peuple n'arriverait plus à prendre les rênes du pays.

Le pays appartenait aux Tutsi, minorité segneuriale ( ..), tenant en tutelle, en esclavage une majorité paysanne, travailleuse séculaire produisant pour la petite minorité. (..)

Donc, ce lundi matin, le me rendis à l'université Là comme toujours quand il y avait un incident politique, on ne voyait que des groupes hermétiquement fermés; ici des Tutsi de Bururi, là des Hutu, plus loin des Tutsi de Muramvya; tout cela rendait la situation plus confuse. Petit à petit, je commençais à y voir un mauvais présage: "Si c'est nous, trie disais je, nous serons particulièrement raccourcis".

 

Premières arrestations (1er mai)

Très vite, le voile fut levé, la situation devint claire. Ce soir, , une petite camionnette arriva au campus universitaire avec deux agents de la sûreté. L'un d'eux sortit un petit billet sur lequel étaient inscrits des noms. Et quand il commença à faire l'appel, il n'y eut plus de doute, nous étions visés. Des étudiants hutu, les plus remarquables, étaient convoqués afin de subir un "interrogatoire" (..). Nous gnorions que c'était là l'extinction brusque de leur vie encore fleurie de jeunesse et de volonté. Ce qui fut surtout c'était que ce coup frappa les garçons intelligents des facultés de médecine et de sciences. Car, il faut l'avouer, sans aucune prétention, ces deux facultés constituaient le f ef des étudiants hutu, tandis que les étudiants tutsi s'inscrivaient à la faculté des Lettres et de Droit La raison est simple: les Hutu savaient qu il fallait posséder une carrière technique sérieuse, exigeant une formation incontestable et exgeante pour trouver un emploi.

Donc, on amena les vingt premiers étudiants hutu, tout le monde s'attendait un peu naïvement à leur retour, après un 'interrogatoire': Pour moi, le sort des Hutu était déjà décidé. (..) D'autres étudiants avaient aussi coin pris, mais sachant leur tristesse dans l'incapacité de se révolter (...), ils ne pouvaient que se taire et subir innocemment ces atrocités.

  

 







 






 

35

 

Mardi passa, mercredi, jeudi. Les étudiants crurent que leurs compagnons arrêtés méritaient peut-être leur sort, et qu'il n'y en aurait plus d'autres. Le coeur revint en place, le pessimisme céda à l'optimisme. Mais vendredi recelait dans son sein notre destinée. Ce vendredi qui restera éternellement gravé dans nia mémoire (..).

 

Hécatombe des universitaires hutu (5 mai)

Il était neuf heures. Nous étions en classe. Brusquement un bruit se fit entendre à l'extérieur. Cric Crac ! Un bruit sec, saccadé. Et tout à coup, en un instant, la porte de l'auditorium s'ouvre. Trois hommes armés, en tenue de campagne, revolver au poing, prêts à tirer, font irruption dans la salle. Un soupir bref de désespoir s échappa de la poitrine des étudiants. "Silence", ordonna le premier des trois militaires. il sortit alors d'un énorme livre, un papier qu'il présenta au Doyen de la faculté. Je puis voir sur la feuille deux photos -format de passeport- lune du Président Micombero, l'autre du Procureur de la République- c'était le mandat d'arrêt.

Après avoir vu la sgnature même du Président, le professeur était désormais dans l'impuissance de dire quoi que ce soit Le militaire était un commandant, homme noir, avec un nez en falaise, de petits yeux enfoncés profondément dans le crâne, un vrai représentant de la mort il se tourna vers les étudiants et vociféra: "Certains parmi vous doivent être arrêtés. Tout le monde dehors!': Je vis tout d'un coup, parmi les étudiants, des visages pâles et décolorés, des visages sans plus aucun espoir dans la vie, et d'autres, au contraire, souriants et cyniques, des visages de trahison.

 

Quant à moi, je tremblais, une sueur formée dégouttes aussi grosses que des gouttes d'eau me dégoulina tout le long du visage. La mort était devant moi. C'était fini! Les forces tribalistes avaient explosé, il était impossible de les retenir. Ou fuir, ou ne pas fuir? Des instruments de mort étaient braqués dans tous les sens, tout le campus était encerclé; des soldats avec armes lourdes: Jeeps, blindés, mitraillettes, mitrailleuses et autres machines encore que le monde moderne a pu inventer. Un observateur étranger aurait cru deux fronts sérieux en guerre. C'était horrible à voir tout cet attirail d'armes légères et lourdes, de baïonnettes et de petits couteaux arrondis que le gouvernement tutsi avait osé moholiser pour réduire en pièces quelques étudiants innocents, complètement gnorants de ce qu'on leur reprochait.

Tout le monde; sauf les Blancs, fut regroupé à l'extérieur de la salle: Hutu, Tutsi, Zaïrois, travailleurs et professeurs barundi. L'instant de la fin était arrivé. Le commandant ouvrit à nouveau son grand livre et commença l'appel Batungwanayo Romain, Nzoramba Dismas, Ryoni François, ... tous les Hutu jusqu'à la fin. Seul un silence de mort répondit Alors k commandant se fâcha et commença à charger sa mitraillette: 'celui qui ne répond pas, cria-t-il, sera fusillé surplace" Il recommença l'appel et le premier, terrffé par ces paroles, obéit et répondit.

Cher lecteur, je ne trouve pas les mots pour vous exprimer les tortures, combien inhumaines, que cette première victime dut subir. Le visage contre le sol, un soldat k piétina, lui frappa la tête avec sa baïonnette, il lui transperça le côté avec un long couteau. Après l'avoir déshabillé, il lui trancha froidement et cyniquement les organes extérieurs de l'appareil reproducteur.

 

 







 






 

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 Devant cet horrible spectacle, je fus glacé, je m'abandonnais à Dieu, car pour la première fois de ma vie, je me reconnaissais tout à fait impuissant. Je préfère qu'on me tue avec un revolver plutôt que de subir ce martyre. Je regardais, contemplais ce sang innocent qui coulait clair et limpide comme de l'eau jaillissant d'une source, et je restai convaincu qu'il ne serait jamais pardonné à ces animaux à face d'homme.

"Nzoramba Dismas" , le commandant continua la liste, et chaque étudiant cité devait subir le même carnage. Chaque nom qui retentissait symbolisait la disparition d'une élite qui se désagrégeait lentement.

A chaque nom appelé, mon coeur battait comme un tambour, mon âme s évadait pour un instant. Au rythme martelé de chaque nom proclamé, tout le monde f rnnait les yeux comme pour ne pas entendre le sien. C'était inutile, l'ef ectif diminuait, les Hutu disparaissaient, la jeunesse intellectuelle issue de la masse de la nation subissait ces inqualifiables atrocités.

A la fin, le commandant s'arrêta, les yeux rougis par ces crimes, insensibles aux sentiments humains. il vociféra: "C'est fini pour le moment, nous reviendrons demain" : A ces mots, je respirai profondément: Je ne suis pas du nombre!, me dis je intérieurement. Ceux qu on avait pris furent embarqués dans un grand camion, les uns déjà morts, d'autres à moitié, et un bon nombre encore vivants. Une trentaine de soldats montèrent dans le même camion et continuèrent leur inqualifiable boucherie.

Trente jours caché, sans voir le soleil

Immédiatement, alors que les autres commençaient à échanger leurs émotions, je pris mes jambes à mon cors Aveuglé par les visions de ce jour-là, et surtout cragnant dêtre identi fié par quelque camarade d'étude, je courus Jusqu'à la maison. Arrivé à mon domicile, je n'expliquai rien à ma famille. Maman me demanda la cause de ma stupeur. Ma réponse fut: "Tu ne sais pas ce que je viens de voir": En un clin d'oeil, je fis ares malles, je mis des habits usés que j'avais abandonnés depuis cinq ans. Frappé d'étonnement, toute la famille nie regardait, pleine de stupeur. Tout ce que je prononçais était: Je m'en vais à l'intérieur, à Rushubi chez ma grand'mére". Et je pris le chemin de la montagne.

Rushubi représentait pour moi un lieu de refuge, un lieu de bonheur et de salut. Situé à vingt cinq kilomètres de Bujumbura, Rushubi hébergeait ma grand'mère et avait vu naître maman. J'y espérais des lendemains meilleurs. J'avais la ferme conviction que les masses paysannes (..) seraient au moins à l'abri de ce massacre, de ce poison tribal. Mais, ... je me trompais lourdement, car chaque jour, la radio, la "Voix de la Révolution , ne cessait d'attiser la flamme: 'Militants du parti, s'exclamait-elle, démasquez l'ennemi où qu'il soit et quel qu'il soit': Cela voulait tout simplement dire: "Traquez tout Hutu intellectuel". (..) Je fus ainsi victime de cette délation, nais fort heureusement, je fus relâché grâce ale ne sais quel 'Deus ex Machina".

Arrivé finalement à Rushubi, je dus me cacher pendant trente jours, sans voir aucun rayon de soleil Comme tous les intellectuels du pays, la petite élite hutu de Rushubi fut également traquée à mort- commissaire d'arrondissement, directeurs d'écoles, moni-teurs et monitrices, infirmières, tous furent tués par les troupes gouvernementales tutsi.

  

 







 

 






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 Furent également exécutés.- balayeurs des églises, chefs de marchés, commerçants, jusqu'aux cultivateurs qui avaient pu augmenter le rendement de leurs terres, en appliquant les méthodes de rationalisation de lagriculture. Finalement, les soldats avançaient dans les églises, k dimanche, et emmenaient quiconque portait une chemise et un pantalon un peu voyants.

Dans toute la région, il ne resta qu'un garçon nommé Honoré et moi-même. Honoré était un garçon en classe terminale des Humanités au collège du Saint-Esprit, dirigé par les Jésuites. Il avait pu échapper à la mort après avoir reçu des blessures graves lors dune bataille qui avait oppose Hutu et Tutsi au collège du Saint-Esprit Mais à peine venait-il d'entrer en convalesence qu'il allait partager le sort commun. Les troupes gouvernementales le trouvèrent caché sous son lit ( ..).

 

"Petit animal, pourquoi as-tu quitté l'école?"

 interrogea un des flics. Sur ce, avec ses énormes bottes, il s'amusa à danser sur le ventre du garçon. Ensuite avec son couteau, il lui transperça le cou jusqu'à ce que la poitrine ressorte dans la nuque. Satisfait, il contempla le sang qui s'écoulait sur le ventre du pauvre Honoré. Son camarade lui prêta ensuite main forte et avec un énorme marteau, à deux, il écrasèrent le crâne de l'adolescent. Honoré rendit l'âme à son Créateur. Son père et son oncle furent soumis aux mêmes atrocités. Toute la famille disparut ainsi. Qui pardonnera à ces hommes?

Quand les personnes qui assistaient à la tuerie me dirent ce qui sétait passé, je fus secoué par la peur et allai passer la nuit dans une bananeraie. Le matin venu, je décidai de redescendre à Bujumbura, à Kamenge, espérant que le déchaînement de violence serait ralenti là-bas. Je me déguisai en paysan avec des vêtements en haillons, en prenant soin de porter sur la tête un régime de bananes, car, au Burundi, il fallait être paysan pour survivre.

 

Encore trente jours à rester enfermé

En chemin, Dieu me garda jusquà la maison. Personne ne nie reconnut, tellement j'étais changé. Et je m'engouffrai rapidement dans lhabitaiton familiale. Je m'y cachais pendant exactement trente jours, ne sortant que la nuit pour les nécessites habituelles Mais il fallait à tout prix quitter ce pays, ce pays où les droits les plus élémentaires de l'homme sont bafoués: le droit à la vie y est inexistant Par une fente de la maison, je regardais comment- des personnes étaient éventrées, comment des têtes sautaient par-dessus les troncs, et en même temps les chiens et les poules se promenaient tranquillement, sans inquiétude aucune. 'Si j'étais chien", me disais je, tellement je préf "trais à ce moment les animaux aux humains. L'humain n'avait plus de raison d'être. L'absurde des philosophes existentialistes se réalisait

Dès ce moment, je commençais à former des plans pour l'évasion, il fallait à tout prix quitter ces lieux.

 

Lueur d'espoir

Un jour je nie décidai. D'intellgence avec mon grand frère, je me dirigeai vers la frontière du Zaïre. Maintenant la question la plus importante se posait: comment passer les postes de police? Là des milliers de vies humaines s'étaient éteintes en tentant une évasion. Heureusement, nous parvînmes à nous arranger avec de jeunes pécheurs.

 

 







 






 

38

 

Après avoir accepté une petite somme, ils nous conduisirent à sept heures précises vers le Tanganyika. La barque y était déjà prête.

Une lueur d'espoir m'envahit:  l'enfer allait disparaître par morceaux pour faire place à une vie nouvelle toute pleine d'espoirs nouveaux.

De temps en temps, les vedettes militaires qui sillonnaient le lac, braquaient leurs phares de mort sur notre pirogue, mais le bon Dieu avait décidé de nous sauver. Notre pilote maitrisait sa barque avec une adresse des plus rares. Lorsque les phares nous illuminaient, il stoppait la pirogue, immobile comme un arbre mort, tandis que nous nous écrasions contre le fond de la barque pour nous cacher. La lumière passait.

Finalement nous arrivâmes à Uvira, sur la côte du Zaïre. Nous avions la vie sauve. Désormais j'étais loin des cruels humains, face à une nouvelle existence.

0003/030597/MPD,0192B.P.Bujumbura

 

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