Civilisation noire : Kemet ou l’Egypte ancienne



Extraits du livre de  : Jean-François Champollion , Lettre à M. le duc de Blacas d'Aulps,premier gentihomme de la chambre, pair de France,etc. sur le nouveau système hiéroglyphique de MM. Spohn et Seyffarth , ed. Florence chez Guillaume Piatti ,126 pages, 1824-1826




P.19

... les artistes s'efforçant d'imiter les formes qu'ils avaient perpétuellement sous les yeux, les têtes de leurs statues durent toutes porter les traits caractéristiques de la race égyptienne; et si l'on ne retrouve point, par exemple,d'analogie marquée entre les têtes égyptiennes et les tètes grecques, c'est que ces deux nations appartenaient à deux races très-distinctes.


P.30

... Il en est de même du nom de la reine ARI ou NANÉ-ARI (Pl. III, n° 21), épouse de Ramsès-le-Grand, si fréquent dans les bas-reliefs du petit temple d'Ibsamboul en Nubie [ NANIARI ou NANYARI ].


P.41

J'ai admiré la beauté d'exécution de cette tête,sur laquelle on ne remarque aucun des grossiers caractères de la race nègre, dite aussi éthiopienne,qu'on a cherché à reconnaître dans tous les ouvrages égyptiens du premier style. L'angle facial de cette statue est, à très-peu de chose près, celui des belles statues grecques ...

L'excellent travail de la tête de cette statue, eût suffi naguère pour la faire ranger parmi les ouvrages appartenant à ce qu'on nommait le second style égyptien, c'est-à-dire qu'on l'aurait assignée au temps des rois grecs d'Egypte, ou des empereurs romains, sous la domination desquels on croyait que l'art égyptien, sortant de sa vieille enfance, avait fait certains progrès en cherchant à se rapprocher des chefs-d'œuvre de l'école grecque.


p.43

Les légendes de ce souverain, que nous appellerons Thoutmosis II pour le distinguer de son ancêtre Thoutmosis Ier, sont très-multipliées parmi les sculptures des grands monumens de l'Egypte. M. Huyot l'a reconnue sur les magnifiques pilastres de granit et sur l'une des portes du palais de Karnac à Thèbes. La Commission d'Egypte l'a retrouvée dans les beaux appartemens de granit du même palais, et M. Gau, sur un e partie de l'édifice désigné sous le nom de tombeau d'Osimandjas : elle se lit encore dans les bas-reliefs d'un des temples de la Nubie existant au lieu nommé Éguisse par M. Huyot. C'est enfin ce même Pharaon qui a fait exécuter le plus colossal des obélisques transportés.


p.48

On peut regarder comme un fait certain que l'art ne déchut point en Égypte sous le règne du successeur de Thoutmosis Il; plusieurs parties importantes du palais de Karnac, un temple dans le fond de la Nubie, construits par ce Pharaon, et une grande statue du musée de Turin, le démontrent suffisamment


p.50

Le socle de ce colosse ne porte aucune inscription, et le massif qui en soutenait la partie postérieure a entièrement disparu. Le prénom seul de ce roi (Pl. II, n° 7 a) est gravé, comme je l'ai déjà dit, sur l'agrafe de la ceinture, et son nom propre nous est heureusement connu par les légendes hiéroglyphiques qui couvrent les édifices construits sous son règne soit en Égypte soit en Nubie.


p.51

C'est le troisième des princes de la XVIIIe dynastie nommés Thoutmosis sur les monuments; et nous voyons en effet, par les fragments qui restent encore des écrits de Manéthon, que ce nom appartint exclusivement aux souverains de cette illustre famille Thébaine. C'est encore sur le temple d'Amada, en Nubie, et à la suite des constructions exécutées sous Aménophis Ier, son père et son prédécesseur, que se lisent les légendes complètes de ce Thoutmosis III (Pl. II, n° 8 a et b)


p.52

La tête d'Aménophis II ne porte aucun ornement royal. Sa chevelure est divisée en une infinité de petits flocons tressés, genre de coiffure encore en usage parmi les barabras de Nubie.


p.55

Ce fils d'Amon-ra est debout,et a huit pieds de hauteur totale. La tête, enveloppée de la coiffure ordinaire du dieu, sorte de calotte étroite qui se modèle exactement sur tous les contours du crâne se fait remarquer par la beauté de son exécution quoique empreinte de cette physionomie véritablement africaine, que les artistes

égyptiens donnèrent toujours à Phtha, mais à ce dieu seul parmi les innombrables personnages symboliques dont ils sculptaient habituellement les images.


p.68

Du côté du roi Horus, sont figurés quatre prisonniers debout (i), liés au col et aux bras avec des cordes diversement reployées et qui toutes se terminent par des fleurs de lotus. Deux de ces captifs marchant vers la droite, portent sur leur face tous les caractères de la race nègre; de grands anneaux pendent à leurs oreilles, et une large bretelle ou bandoulière soutient leur tunique tombant jusques à mi-jambe. Le costume de ces prisonniers noirs est ainsi parfaitement semblable à celui des

hommes de même race que l'on observe dans les bas-reliefs du tombeau royal découvert à Thèbes par le courageux et infortuné Belzoni.

Les deux autres prisonniers marchant à gauche, appartiennent à une nation différente ils se distinguent par une barbe longue et épaisse la tête de l'un est nue, celle du suivant est couverte d'une coiffure, très ample vers la nuque et fixée par une bandelette ou diadème. Ils portent un grand collet, ou pèlerine, qui descend jusques au coude et enveloppe tout le buste. Ces captifs ne différent en rien de ce peuple barbu, contre lequel furent livrées tant de grandes batailles par les pharaons de

la XVIIIe dynastie, scènes guerrières sculptées avec les détails les plus circonstanciés sur les murs des palais de Karnac et de Louqsor, comme dans les magnifiques excavations de la Nubie.

Ces deux nations, ainsi qu'une troisième toujours peinte en rouge avec des cheveux roux et même des yeux bleus, sont les ennemis constants de la primitive monarchie Égyptienne, les derniers surtout, évidemment les moins civilisés puisqu'ils se montrent, pour l'ordinaire, les cheveux longs et en désordre, vêtus soit d'une peau de bœuf conservant encore son poil, soit d'une simple pagne couvrant le milieu du corps, et que leurs bras et leurs jambes sont souvent décorés d'untatouage grossier. J'ai lieu de croire que ces barbares ne sont autres que ces fameux pasteurs, ces Hikschôs ( lHKWC ) qui, à une époque très-reculée, sortis de l'Asie envahirent l'Egypte et la dévastèrent jusqu'à ce que les princes de la XVIIIe dynastie eussent mis un terme à leurs déprédations en les chassant d'abord de l'Egypte et en repoussant ensuite leurs nouvelles invasions. Les monumens égyptiens n'offrent jamais l'image de ces peuples, que dans un état de défaite, de captivité ou d'abjection on les représente, par exemple, renversés et liés sur les marchepieds du trône des Pharaons ...


p.77

Rien ne rappelle dans le Musée, à l'exception de quelques scarabées et amulettes, le règne des autres princes de la XVIIIe dynastie, quoique ces rois aient, pour la plupart, laissé des témoins mémorables de leur magnificence et de leur piété, sur le sol de l'Egypte Ramsès II et Ramsès'III, l'un en élevant les deux superbes obélisques de Louqsor à Thèbes et le vieux temple de Calabsché en Nubie, l'autre en décorant une portion du palais de Karnac où avaient fait travailler tous les rois ses aïeux Ramsès IV, surnommé Méïamoun ...


p.79

Mais le règne d'aucun Pharaon n'a été marqué par la construction d'un plus grand nombre de monuments, que celui de Ramsès II, compté comme chef de la XIXe dynastie royale, quoique fils du dernier souverain de la XVIIIe. Ses conquêtes et ses entreprises guerrières furent fameuses jusques dans l'occident, et sur les bords du Nil on

conserva un souvenir plus juste et plus durable encore de la sagesse qui dirigea pendant plus d'un demi-siècle les actes de son gouvernement sous lequel l'Egypte recouvra ses plus précieuses libertés. Aussi le respect pour la mémoire, et la reconnaissance pour les bienfaits de ce grand prince que l'antiquité grecque et romaine a connu et célébré sous les noms divers de Ramsès, Séthosis,Sésoosis et Sésostris, restèrent si profondément gravés dans le cœur des habitants de l'Egypte,que près de mille ans après la mort de ce Pharaon, un pontife de Memphis eut la noble hardiesse de s'opposer ouvertement à ce que la statue du roi régnant à cette époque, fût placée, dans le temple de Phtha, plus honorablement que celle de Ramsès; résistance glorieuse et pour le prêtre et pour le Pharaon, puisque le roi régnant était un monarque étranger, un Perse, Darius qui, par la force seule des armes, asservissait à ses lois l'Égypte déjà écrasée par l'atroce tyrannie de Cambyse.


p.92

Si nous tenons compte de l'extrême divergence des historiens anciens dans les noms qu'ils donnent à la plupart des souverains de l'Egypte auxquels ils attribuent les mêmes exploits ou les mêmes travaux sous des noms totalement différents si nous considérons que le plus célèbre des Pharaons, le conquérant de l'Afrique et d'une portion de l'Asie, ne porte pas même, dans les listes royales extraites de Manéthon, le nom que tous les monuments élevés sous son règne nous présentent sans exception aucune, Ramsès, nom qui certes n'a aucun rapport avec ceux de Sésostris 1 Séthosis, Sesoosis par lesquels le désignent Hérodote, Strabon et Diodore de Sicile si nous remarquons surtout que le seul des historiens qui ait employé dans ses écrits le nom de Rhamsès, véritable nom propre du conquérant, est précisément Tacite, le moins ancien de tous ...